Pierre Le Roy (1)

.  « Nous avons raté le virage des consommateurs vers la santé ». Ainsi s’exprimait au début de ce siècle le nouveau président de Coca Cola, qui constatait que son concurrent Pepsi  venait de lui passer devant, et qui l’expliquait par le « virage » des consommateurs. Du coup, non seulement aux Etats-Unis, mais dans le monde entier, toutes les sociétés agroalimentaires se sont interrogées sur la meilleure façon d’intégrer les impératifs de santé dans leur stratégie de développement.  Comme si elles se souvenaient du principe édicté par Hippocrate : « Vos aliments sont vos médicaments » . De leur côté, les pouvoirs publics ont été contraints de suivre le même chemin, du moins dans les pays développés, mais cela s’est traduit par des politiques différentes des deux côtés de l’Atlantique : « aliments-santé » aux Etats-Unis et « alimentation-santé » en France.

– Aux Etats-Unis, la politique mise en œuvre a conduit au développement de la consommation d’aliments-santé : pour les autorités américaines, et notamment pour la « Food and Drugs Administration », aucune alimentation, aussi équilibrée soit elle, ne peut suffire à assurer la santé des consommateurs, qui sont d’ailleurs tous différents les uns des autres : une femme enceinte ou un sportif de haut niveau, mais aussi le consommateur lambda, doivent bénéficier de compléments alimentaires adaptés à leurs besoins, qui sont également différents d’une personne à l’autre. D’où la prescription d’aliments-santé, qui ont pour objet de s’adapter aux besoins de chacun et de pallier les insuffisances de l’alimentation classique.

– En France,   la politique est différente. Pour nos responsables, nul besoin de ces compléments alimentaires : une alimentation équilibrée, c’est-à-dire variée et modérée (« manger de tout un peu ») et un mode de vie sain suffisent à assurer la bonne santé de l’immense majorité des consommateurs, d’où les prescriptions diffusées sur les médias : faites du sport, mangez cinq fruits et légumes par jour, ne mangez ni trop gras, ni trop salé, ni trop sucré etc …

Nous avons maintenant le recul suffisant pour juger de l’efficacité comparée de ces deux politiques, et il se trouve que la politique française paraît la plus efficace :

– Concernant la consommation journalière, ou plutôt la disponibilité,  de calories, nous sommes revenus en France à un niveau inférieur à celui de 1990 : c’était 3515 kilocalories en 1990, 3608 en 2000 ; c’est 3482 en 2013, dernière année statistiquement connue (source : FAOSTAT). Par contre, aux Etats-Unis, la situation s’améliore également, mais pas autant qu’en France. La disponibilité journalière de kilocalories y était de 3507 en 1990, de 3804 en 2000. Elle est de 3682 en 2013. La disponibilité était à peu près identique en 1990. Elle est désormais inférieure de 200 kilocalories en France. (La différence entre les quantités disponibles et les quantités réellement « ingérées » sont environ de 20 %, suite à des pertes et à des gaspillages à tous les niveaux entre les producteurs et les consommateurs. Les chiffres cités dans cet article concernent exclusivement les quantités de nourriture disponibles).

– Concernant les lipides (« Fat »),  selon la même source, l’évolution constatée consacre également la supériorité de la politique française. Dans ce domaine aussi, la disponibilité française est revenue à un niveau inférieur à celui de 1990 (161 grammes en 1990, 170 grammes en 2000, 159 grammes en 2013). Aux Etats-Unis, les quantités disponibles de « fat » continuent à empirer : 140 grammes en 1990, 156 en 2000, 162 en 2013. Notons que la France, dont la disponibilité journalière était supérieure de 20 grammes à la disponibilité américaine, est maintenant revenue à un niveau inférieur à celui des Etats-Unis.

Il reste que ces niveaux, qu’il s’agisse de calories ou de gras, sont très supérieurs aux recommandations des médecins, pour qui une disponibilité de 2800 kilocalories journalières et de 80 à 100 grammes de gras suffit. L’évolution constatée depuis l’an 2000 dans le monde entier traduit pourtant une prise de conscience généralisée de l’importance des liens entre l’alimentation et la santé. On constate partout que la consommation des aliments réputés bons pour la santé progresse, et inversement : la consommation de viande bovine par exemple stagne dans le monde autour de 25 à 26 kilos par an depuis l’an 2000,  alors que la consommation de volailles est passée dans le même temps de 30 à 40 kilos. L’évolution est encore plus significative dans les pays développés. Dans l’Union Européenne, par exemple, la consommation individuelle de viande bovine est passée depuis l’an 2000 de 47 à 41 kilos par an, alors que la consommation  de volailles est passée de 54 à 62 kilos par an. Notons enfin que, dans l’Union européenne, la consommation annuelle de vin par tête est passée de 75 à 62 kilos. Ce dernier exemple explique que, désormais, les politiques de promotion des alcools (comme du tabac) s’exercent de plus en plus activement  en direction des pays en développement …

 

(1)Spécialiste des questions agricoles, auteur de « L’histoire de l’agriculture française, de 1867 à nos jours » (SAF-agr’iDées. 2016) et créateur de l’indice du bonheur mondial (globeco.fr).