Annie de Vivie est fondatrice et Rédactrice en chef d’Agevillage. Coordinatrice des formations Humanitude .
Propos recueillis par Yan de Kerorguen

Quelle est la vocation de AgeVillage ?

L’objectif est d’accompagner le grand public et les professionnels de la gérontologie en leur fournissant des informations transversales sur le vieillissement. Ces derniers travaillent en général en tuyaux d’orgue et ne voient pas ce qui se passe à côté de leur spécialité.

Quelles sont les raisons personnelles qui vous ont amené à vous intéresser au problème du vieillissement ?

C’est venu naturellement. Ma mère était agent de service, puis chef de la lingerie dans une maison de retraite congrégationniste dans le nord de la France. Les sœurs gestionnaires ouvraient les portes aux enfants des employés et faisaient donc de la garde d’enfants. J’ai été élevée en partie dans cet environnement, de l’école élémentaire au collège, pendant une dizaine d’années. En vivant quotidiennement avec les personnes âgées, j’ai appris à les connaître. Certaines me faisaient peur car elles étaient au bord de la démence, d’autres m’aidaient à faire mes devoirs et m’offraient des bonbons.

Avez-vous un souvenir marquant de cette expérience qui a été déterminant dans votre parcours ?

Je me souviens d’une dame très handicapée qui ne pouvait se tenir debout et vivait dans une chambre, en permanence allongée sur une planche. Elle était obligée de manger liquide à l’aide d’un arrosoir. Petite fille, je trouvais cela génial. Elle s’appelait Hélène et arrivait à détecter rien qu’au bruit du pas dans le couloir si la personne qui venait à sa rencontre allait bien ou pas. Elle était continuellement scotchée à la radio, connectée à l’actualité du monde, et connaissait tout sur tout. Un véritable baromètre vivant !

Qu’est ce qui explique votre engagement dans la création de Agevillage ?

Notre société ne prend pas conscience des enjeux du vieillissement. Le risque : la maltraitance. J’ai été confrontée très tôt dans cette maison de retraite à la difficulté qu’avait le personnel de l’établissement à prendre soin de résidents jugés difficiles. Souvent, les soins étaient donnés de force car certains vieux ne voulaient pas manger ou prendre leurs médicaments. Il fallait utiliser des grands moyens. Ce n’est pas une question de manquer de cœur. Même ma mère, qui était une personne plutôt douce, pouvait devenir brusque. Ce phénomène m’avait effrayé quand j’étais jeune. Cela n’a pas beaucoup évolué. Et cela risque de ne pas s’arranger car les vieilles personnes fragiles sont de plus en plus nombreuses. Personnellement, je n’ai pas envie qu’on me maltraite quand je serais vieille. Ce problème est, pour moi, le plus important. C’est une question d’humanité à traiter en urgence

Comment expliquez vous cette maltraitance ?

Les personnels aidant ne sont pas violents par nature ni méchants, mais ils sont amenés à être expéditifs ou brutaux par contrainte pour remplir leur tache. Ils ne savent pas comment s’y prendre autrement. Il leur manque des outils et un management qui les soutiennent pour que ces soins de force disparaissent. Ils doivent pallier la faiblesse des moyens et le manque de temps dont ils disposent. Peu nombreuses, les équipes sont sous tension, les soins sont impératifs et certains malades sont difficiles ou récalcitrants.

Etes vous spécialisée en gérontologie ?

Pas du tout. J’ai suivi un parcours d’école de commerce. Du fait de mon intérêt pour la cause des plus âgés, je voulais travailler dans le conseil en gérontologie. Mais en sortant de l’école je n’avais pas les moyens de créer une entreprise. Je suis donc rentré dans le groupe Accor qui transformait des hôtels en maisons de retraite (marque « Hotelia »). A cette occasion, j’ai appris à gérer dans le détail et sur le terrain des services aux personnes âgées. Avec des artistes, j’ai aussi créé « un dimanche savoureux » : une journée porte ouverte des maisons de retraite (jusque 1000 établissements mobilisés). Puis je me suis sentie capable de monter ma structure. Le projet associatif original ne trouvait pas de financement. J’ai alors fondé une société avec comme modèle économique : l’utilisation des nouvelles technologies et d’internet au service du vieillissemment.

Quelle était l’idée fondatrice de ce projet ?

L’idée était de créer une sorte de boite à outils pour les aidants familiaux et professionnels des personnes âgées. Des business angels et la Caisse des Dépôts ont apporté leur concours financier à l’entreprise. Aujourd’hui, nous sommes une douzaine à travailler au sein de Agevillage. Auquel il faut ajouter les directions régionales et les formateurs Humanitude.

Concrètement, quels sont les outils mis en place?

Nous avons développé deux missions : informer et former. Informer via un magazine d’information sur le web, Agevillage, consacré aux solutions du « bien vieillir ». La ligne éditoriale tient en deux mots : « vieillir debout.» Agevillagepro.com est le portail destiné aux professions de la gérontologie. Le modèle économique s’appuie sur des abonnements, de la publicité et des contenus que nous diffusons sous forme de newsletters, d’articles, de dossiers, de flux d’informations, et un annuaire de 25 000 solutions locales mises à jour en continue (cf. agence de contenus spécialisés). Avec le temps et l’expérience, nous sommes devenus une référence en matière de prévention, d’animation et d’aide sur tous les sujets afférents aux vieux. Nous travaillons avec des mutuelles, des collectivités locales, des acteurs de l’aide sociale, des entreprises. Ils achètent et louent nos contenus et applications web.

Quel constat faites-vous du travail de ces acteurs ?

Les entreprises sont en train de découvrir qu’elles ont plus de salariés qui accompagnent leurs parents âgés que leurs enfants en bas âge. Face au déficit d’informations, au maquis de l’offre de service aux personnes âgées, Agevillage a créé une application pratique personnalisée et géolocalisée d’accompagnement « MonAgevillage », commercialisée en marque blanche pour entreprise, des groupes de protection sociale, des collectivités locales.

Vous avez une fonction de formateur. Comment sont formées les personnes qui travaillent auprès des personnes âgées?

Le problème de la maltraitance est au cœur de notre action de formation. L’axe principal s’articule autour d’une approche non médicamenteuse qui s’appelle l’Humanitude. Cette méthode qui représente un véritable accompagnement dans la bientraitance interroge le lien entre les personnes aidées et les soignants. Ce néologisme a été repris par le généticien Albert Jacquard, aujourd’hui disparu, dans un livre « L’héritage de la liberté : de l’animalité à l’Humanitude.» « L’Humanitude serait les cadeaux que les humains se font entre eux pour se reconnaître dans l’humanité.» Dans les lieux de soin dans lesquels ils ont enseigné la manutention, les professeurs d’éducation physique Rosette Marescotti et Yves Gineste, ont perçu que cette Humanitude, cette reconnaissance était mise à mal. Pour la renforcer ils ont professionnalisé quatre piliers de l‘Humanitude : le regard, la parole, le toucher et la verticalité (l’homme est un animal debout. La philosophie de soin de l’Humanitude et les techniques qu’ils ont mises au point permettent de renouer le lien et de pacifier les soins difficiles. En remplaçant les soins infligés par force aux vieux par cette attitude humaine de tendresse, d’autonomie, de partage, le résultat est concluant. Une étude menée sur 111 personnes jugées difficile avant et après le stage de formation de quatre jours, montre une amélioration de 80% des comportements d’agitation. Quand j’ai découvert l’Humanitude, en 2003, il n’y avait que cinq formateurs habilités. Face aux besoins, ma société a entrepris d’accompagner le développement de ces formations aux concepts protégés (des droits d’auteurs sont reversés à Rosette Marescotti et Yves Gineste). Aujourd’hui, nous pilotons un réseau de franchise de 14 IGM (Instituts de formation Gineste-Marescotti) et 60 formateurs habilités. Nos clients, maisons de retraite, pilotes, ont souhaité un Label Humanitude. Quatre EHPAD (Etablissements pour personnes âgées dépendantes) sont labélisés, une cinquantaine sont en route vers ce label.
Face aux résidents de plus en plus fragilisés, désorientés, malades, les professionnels se sentent impuissants. Culturellement il semble impossible d’éliminer les « soins de force », d’éviter la grabatisation en privilégiant la verticalisation dans les soins. Les établissements labélisés prouvent le contraire, malgré les contraintes (économiques, normatives, culturelles, managériales).

Pour vous, qu’est ce qu’un vieux heureux ?

C’est quelqu’un qui va bien, qui vit ses projets

La retraite est-elle un moment difficile ?

Après une vie active parfois difficile, avoir du temps libre pour soi est positif, mais peut être vécu comme angoissant.
Le principal écueil est de se retrouver seul et d’éprouver un sentiment d’inutilité sociale. Près d’un quart de la population concerné par l’isolement relationnel est âgé de plus de 75 ans. Ainsi plus d’un million de vieilles personnes sont en situation d’isolement. On a du mal à anticiper ce retrait de la vie professionnelle. Pourtant, notre société foisonne de besoins qui peuvent être accompagnés par un bénévolat associatif. Les pouvoirs publics ont pris conscience de cet isolement social des plus âgés. Ils portent MONALISA : mobilisation nationale de lutte contre l’isolement des personnes âgées. Monalisa fédèrent les initiatives locales pour identifier et labéliser des équipes citoyennes (formées, accompagnées) venant en appui des aidants et des personnes isolées.

Et l’intergénérationnel, est ce pour vous une solution économique et sociale à la solitude ?

Les initiatives intergénérationnelles vieux/jeunes ne sont pas encore significatives. L’ « âgisme » qui est une forme de racisme anti-âge est encore très ancré. Pour la plupart des gens, les personnes âgées évoquent l’approche de la mort. Cela les angoisse. Agevillage est en veille contre toute discrimination liée à l’âge comme l’obligation qui serait faite aux vieux de devoir repasser leur permis de conduire, alors qu’ils sont moins accidentogènes que les autres conducteurs. Si de telles mesures de sécurité doivent être prises pour faire baisser le taux d’accident, il faut que cela soit appliqué à tous.

Quelles tendances constatez vous ?

Selon sa retraite, on cherche bien sûr à en profiter (voyages et déménagement vers la mer, la campagne). Mais l’on voit aussi poindre l’interrogation sur le sens de sa vie. L’engagement associatif peut alors se renforcer sur les enjeux comme l’environnement, l’écologie, le social.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

Catégorie(s)

GENERATION, Le Magazine

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