Quelle est la vocation de l’institut de la longévité ?

L’Institut de la longévité Charles Foix est un centre de recherche et d’innovation que nous avons fondé en 2008. Il est unique car il est dédié à la gérontologie et vise à développer la recherche fondamentale et clinique sur toutes les maladies associées au vieillissement (Alzheimer, maladies cardiovasculaires…). Il a pour but de réunir sur un même site l’ensemble des forces et des compétences, pour relever le défi de l’allongement de la vie. Cela permet d’aborder le vieillissement sous l’angle de la biologie, de la médecine, des sciences humaines et sociales.

Pourquoi avoir créé un tel institut ? Que peut-on en attendre ?

Aujourd’hui beaucoup de médecins et de chercheurs travaillent sur le vieillissement mais de façon segmentée et isolée. Résultat : on avance mais pas assez vite, eu égard aux enjeux que pose la révolution silencieuse de l’allongement de la vie. Seule une approche pluridisciplinaire et intégrée des questions soulevées par la longévité et du vieillissement peut produire de réelles avancées.

Comment expliquer cette segmentation ?

Elle est historique. La biologie, la médecine et la physiologie ont conduit à classer l’individu dans une segmentation d’organes. La médecine scientifique s’est organisée, dans l’histoire des sciences, selon ce modèle par spécialité, portant sur des maladies aigües, modèle qui a fait ses preuves pendant tout le XXème siècle. Le cerveau aux neurologues, le rein aux urologues, le cœur aux cardiologues etc. A côté de cela, il y a en France des domaines qui ont du mal à émerger. C’est le cas de la gériatrie, de la pédiatrie, de la biologie du vieillissement ou de la médecine interne généraliste.

Pourquoi la gériatrie a-t-elle du mal à émerger ?

Elles constituent des démarches médicales et scientifiques encore jeunes qui jusqu’à présent n’ont pas fait l’objet d’un DESS mais ont été intégrées comme complément d’une spécialité majeure. Elles n’ont pas encore été reconnues comme des spécialités cliniques à part entière. Combien croyez-vous qu’il y a de gériatres ayant un cabinet de médecine en ville ? Seulement une trentaine. Les autres gériatres exitants sont praticiens dans les hôpitaux, médecins coordinateurs dans les EHPAD. Heureusement les choses évoluent. La gériatrie est une discipline en ascension qui sera reconnue comme spécialité en 2015.

Comment définir la gériatrie ?

La gériatrie est un domaine transversal qui s’occupe de la fin du processus de vieillissement. Elle regarde l’individu âgé dans sa totalité en faisant valoir l’idée que le corps humain n’est pas qu’un sac d’organes. La gériatrie considère l’individu dans son âge, dans son environnement, dans son milieu social ou culturel. Ces jeunes disciplines forment la médecine du XXIème siècle.

Pourquoi ces disciplines sont-elles d’avenir ?

Les temps actuels connaissent un important développement des polypathologies, notamment après 65 ans. Une étude scientifique parue dans le Lancet montre qu’il y a une plus grande fréquence de maladies chroniques. La gériatrie est directement concernée par l’émergence de ces maladies chroniques et par la fréquence des co-morbidités : l’hypertension artérielle, le diabète, le tabagisme, l’hypercholestérolémie, les problèmes rénaux, l’arthrose… Elle apporte, tout comme la pédiatrie ou comme la biologie du vieillissement, le point de vue global et interdiscipinaire qui manque. Quand les vieux sont malades, ils vont d’abord voir un généraliste, puis on les oriente vers un spécialiste, un cardiologue pour le cœur, un urologue pour le rein, un neurologue pour le cerveau etc. Ces derniers ne considèrent la maladie qu’intrinsèquement ; le neurologue ne considère que le cerveau, l’urologue que le rein, le cardialogue que le cœur. Ce n’est pas suffisant. Il y aurait avantage à consulter au préalable un gériatre.

Quel avantage ?

Un neurologue qui voit un vieillard atteint d’Alzheimer ne le voit pas comme un vieux mais comme s’il voyait un patient jeune. Il ne fait pas de différence. Aussi bien, son jugement est biaisé. Tandis que le gériatre lui, apporte un point de vue holistique. Son regard d’ensemble tient compte de l’avancée en âge et des interactions multiples avec l’environnement, le stress etc. Ce qui distingue les personnes âgées, c’est la globalité de leur pathologie, c’est la co-morbidité : cholestérol élevé, glycémie, hypertension… Tout cela doit être considéré ensemble afin de faire les réglages qui conviennent entre les éléments pour que le corps fonctionne mieux.

Et la biologie du vieillissement ?

C’est également une discipline jeune et mal reconnue. Il n’y a que deux Unités Mixtes de Recherche sur le vieillissement en France. Une unité sur le vieillissement et le cancer dirigée par Eric Gibon, et l’Unité mixte de recherche que je dirige « Adaptation, Biologie et vieillissement ». Comparée aux autres pays, la France est très en retard. Dans les organismes de recherche on parle de BCDE Biologie, Cellule Développement, Evolution. Le Vieillissement est compris dans le Développement. Or il aurait dû être intégré à part entière pour former le BCDEV.
L’étude du vieillissement, c’est aussi l’étude de l’interaction des organes. Le projet de recherche que nous développons est axé sur l’étude de grandes fonctions du système nerveux (mémoire, orientation dans l’espace, motricité, rythmes cérébraux), de leurs troubles éventuels (démences, troubles du sommeil…) et sur la mise au point de stratégies de réparation du système nerveux.

Pour un biologiste, qu’est ce que le vieillissement ?

Dans la biologie du vieillissement, l’effet du temps est important. Ce n’est pas une maladie mais un processus. Avec le temps, les cellules diminuent, se dérèglent et leur remplacement par d’autres s’effectue au ralenti. Quand elles se divisent, les télomères s’atrophient. La cellulle arrête de se diviser, elle vieillit et finit par se détruire elle-même. Cette mort cellulaire diminue la reproduction des tissus et contribue au vieillissement. L’intensité et la fréquence des anomalies croissent avec l’âge. Il y a l’augmentation des phénomènes délétères : le stress oxydatif et l’excès de radicaux libres qui nuit aux. Il y a aussi la baisse des phénomènes protecteurs. En outre, avec les années, les inflammations augmentent. En bref, le vieillissement d’un organisme est le déclin des performances des grandes fonctions physiologiques et des systèmes de connexions et d’interaction qui relient les fonctions. Ces dysfonctionnements aboutissent
à des états de souffrance puis de mort cellulaire.

Comment expliquer que certains individus vieillissent plus vite que d’autres ?

Nous sommes inégaux devant le vieillissement. Prenons deux groupes de souris identiques. Lorsqu’on les fait vieillir, on observe après 24 mois que rien n’a changé puis on remarque que les performances des unes décroissent. Si l’on peut prédire quelque chose d’une évolution différente dans des expériences de vie homogène, c’est que beaucoup de choses se passent avant. Cela se situe dans le génome, donc à la naissance. Les gènes de la longévité, les réseaux de gènes qui font de la résistance au stress, (résilience) apparaissent très tôt au cours de l’évolution. Dans le cerveau, les premières anomalies, c’est la plasticité des synapses puis celles qui disparaissent. Les premiers gènes de la longévité ont été trouvé sur le ver C elegans par Cynthia Kenyon, une biologiste américaine qui a montré que la mort cellulaire était programmée. Dans le cerveau, les cellules meurent par un procédé connu sous le nom d’apoptose, comme dans le reste du corps humain. Ainsi l’apoptose joue un rôle dans la longévité. L’imagerie, les biomarqueurs permettent de faire des diagnostics précoces. Mais il n’y a pas de certitude.

Et la maladie d’Alzheimer? Quelles perspectives ?

Menant des recherches dans le domaine du vieillissement des neurones, nos travaux portent évidemment sur l’étude de la maladie d’Alzheimer chez le sujet âgé. Lors d’une expérience, nous avons mis en évidence le rôle joué par une protéine déjà connue dans les pertes de mémoire liées à l’âge. Alzheimer, c’est un cerveau malade dans un corps sain. Si la fréquence de la maladie augmente aujourd’hui, c’est du fait de l’allongement de la vie. Il y a d’une part de plus en plus de personnes âgées et forcément, les malades qui arrivent à ces âges avancés sont ceux qui ne sont pas décédées d’une autre maladie avant.

Que pensez-vous de la médecine anti-age ? Est-elle nocive?

L’opinion publique a besoin de s’appuyer sur du rêve. D’où le succcès de la médecine anti-âge. Souvent parée de vernis scientifique, elle constitue une zone grise et fructueuse. Beaucoup de médecins, en particulier des endocrinologues, se compromettent dans un business très lucratif d’organisation de Congrès ou de formation dans l’unique souci de gagner beaucoup d’argent. Les endocrinologues vendent des hormones de croissance, sachant que ces hormones peuvent occasionner des risques de cancer. Les dermatologues sont présents dans ce domaine car la peau et les produits cosmétiques sont en grande partie ciblés sur l’anti-âge. Les chirurgiens plasticiens évidemment sont en première ligne. Je ne compte pas les non-médecins qui s’autoproclament spécialistes.

La médecine anti-âge, c’est donc de la com ?

En grande partie, oui. Laurent Alexandre, qui est un chirurgien urologue, mais plus connu comme un entrepreneur. Il a créé Doctissimo. C’est un excellent communicant qui occupe le terrain de l’opinion et répond aux besoins des gens avec un discours simple qu’ils peuvent comprendre. Avec un langage très au point, il a réussi à s’infiltrer dans ce domaine. Il a créé une société DNA vision sur le séquençage des génomes. Il tient une chronique dans les journaux et déclare que le cancer devrait être maîtrisé d’ici 2030. Mais si son autorité semble validée sur le plan médiatique, elle est loin de l’être sur le plan scientifique. La communauté de la recherche l’ignore. C’est un signe.

* Cet interview a été publié dans le livre: « Les seniors ont de l’avenir » aux Editions Yves Michel

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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