Terrorisme : Le moins qu’on puisse dire est que la révision constitutionnelle devant inscrire la déchéance de la nationalité dans la constitution créé la perplexité dans le monde politique. Mais la plupart des Français semblent en accord avec cette mesure. Dans un sondage BVA pour Orange et i-Télé*, publié dimanche 10 janvier 2016, l’acceptation de la déchéance de nationalité pour l’ensemble des binationaux, s’élève à 75 % d’opinions favorables
Pourquoi Place Publique est-il contre cette mesure ?

  De quel binationaux s’agit-il?
Il y a d’abord les binationaux qui ont acquis la nationalité depuis moins de dix ans sous forme de contrat et qui ne l’ont pas respecté. Pour l’instant, la loi autorise cette mesure uniquement pour ces derniers. Dans ces conditions, la loi de déchéance est considéré comme légitime car il s’agit de personnes qui n’ont pas tenu leur engagement de loyauté. Elle est d’ailleurs en usage.
Il en va différemment de l’extension de cette loi aux binationaux nés en France telle qu’elle est prévue dans la proposition de loi, car ces binationaux ont la nationalité française de manière automatique.

  Quel problème juridique pose la loi ? Elle porte atteinte à l’égalité devant le droit du sol. Parce que certains Français peuvent être déchus de la nationalité et que d’autres ne le seront jamais, cette loi ruine de facto le principe de l’égalité de tous devant la loi, sans distinction d’origine. Si la loi est votée, il y aurait donc dans notre République deux catégories de Français, les 5 % de binationaux Français sous condition et les 95 % de vrais Français. « Etre déchu de sa citoyenneté, c’est être privé de son appartenance au monde », écrit la philosophe Hannah Arendt pour qui la déchéance de nationalité et par là l’inégalité devant la loi sont l’arme des régimes totalitaires.

  L’effet de cette loi ne serait-il pas préjudiciable à la cohésion du pays ? Les binationaux pourraient se sentir menacés en cas de dérive. Cette mesure renforce le nationalisme et donne raison à Le Pen pensent les opposants à la mesure qui jugent triste pour la gauche que de suivre les traces des propositions du FN. Changer la constitution pour quelques cas de terroristes et dérouter 4 millions de binationaux qui ne se sentiront pas tout à fait Français, on ne fait pas mieux pour créer des divisions et des ressentiments.

  Etre binational un avantage ? disent certains. Pour beaucoup, binational, c’est la seule richesse. Certains naissent dans des milieux fortunés. D’autres ont pour seule richesse le fait d’avoir une histoire, une origine, d’avoir éventuellement le choix de retourner vivre au pays d’origine, là où se trouve la famille, si les conditions sont meilleures. On peut aimer deux pays de façon égale. D’ailleurs nombre de Français, notamment des retraités choisissent de vivre dans une autre pays. Pour certains Français, être binational est lié à une profession ou à des circonstances économiques: la mondialisation des relations, la recherche, l’art, la diplomatie, un parcours familiale. Quel message négatif cela serait pour les artistes, intellectuels, chercheurs dont la double culture permet à la France de s’élever ?

  Ne devrait avoir qu’une seule nationalité autorisée ? Certains souhaitent qu’on retire le droit d’avoir deux nationalités et militent pour qu’une seule nationalité soit possible. Comment dire à un jeune réfugié qui quitte son pays parce qu’il y a la guerre ou la famine ou les catastrophes climatiques de quitter son origine s’il a la chance d’être naturalisé français ? D’autre part dans plusieurs dizaines de pays être binational est un état de fait. Que dire aux binationaux qui le sont contre leur volonté? Par exemple, les Français nés en France n’ayant jamais mis les pieds au Maroc mais dont le père est Marocain, ce qui les inscrit d’entrée, par voie filiale, comme Marocain.

  Oui mais cette loi ne concerne que les terroristes, dit-on ? On devrait ne pas en douter. S’il apparaît dans l’esprit du gouvernement qu’il s’agit strictement des actes de terrorisme comme ceux que la France a connu dernièrement, ce n’est pas aussi clair pour tout le monde. Le Premier ministre a notamment annoncé que la déchéance de nationalité sera étendue aux crimes et délits les plus graves pour les binationaux. Ou placer le curseur de gravité ? Dans une situation de crise nationale (Election de Marine Le Pen, conflit international grave..), la mesure pourrait être utilisée de façon mal intentionnée pour des raisons xénophobes, raciales, discriminatoires. En outre, la forte poussée de l’extrême droite en Europe peut faire craindre un totalitarisme rampant qui ferait de tous les indésirables des terroristes en puissance. Bien sûr, on n’en est pas là. Il n’empêche. La mesure incite à se poser la question de ce qu’est le terrorisme. Les sionistes étaient considérés comme des terroristes, tout comme les Républicains irlandais et les résistants français. Les « allumés » de Tarnac ont aussi été qualifiés de terroristes.

  Quelle est l’efficacité de cette mesure ? L’efficacité de la mesure en matière de lutte contre le terrorisme sera, de toute évidence, à peu près nulle. Si 5% de binationaux sont concernés, 95% ne le sont pas. Or les terroristes ou personnes portant atteinte à la nation française se trouvent évidemment parmi ces nationaux. Des terroristes « acceptables » en quelque sorte car ils ne connaîtraient pas la même déchéance. Retirer leur nationalité à des gens qui n’en ont rien à faire à l’issue de leur peine d’emprisonnement, c’est presque risible. Un djihadiste qui n’a qu’une envie, c’est de déchirer ses papiers, se glorifierait d’être déchu d’un pays auquel il a déclaré la guerre. Il y a mieux à faire que rentrer dans une tourmente de révision constitutionnelle et risquer le ridicule. Par exemple : redoubler de moyens pour lutter contre le terrorisme et mobiliser l’Europe pour le partage des données sur les réseaux djihadistes

  C’est un symbole fort, affirment les partisans de la mesure. Un symbole plutôt négatif, en réalité, contraire aux valeurs républicaines. Un symbole, ça unit, ça grandit, comme le drapeau ou La Marseillaise, cela ne divise pas. il y a manifestement mieux à faire en matière de révision constitutionnelle que de s’appesantir sur des mesures pour la plupart purement symboliques.

  Pourquoi ne pas choisir de réintroduire la peine d’indignité nationale et à la perte de tous les droits des terroristes? Une mesure enterrée par l’Assemblée en mars 2015, mais qui a le mérite de faire consensus à droite comme à gauche. D’autre part, il serait sans doute judicieux de permettre l’élévation à la nationalité de ceux qui le méritent ? La France de 2016 devrait reprendre à son compte le décret de l’Assemblée national législative du 26 août 1792 et conférer la nationalité française à « tous ceux qui, quel que soit le sol qu’ils habitent, ont consacré leur bras et leurs veilles à défendre la cause des peuples contre le despotisme des rois, à bannir les préjugés de la terre et à reculer les bornes de la connaissance humaine ».

  Les conséquences politiques ? Cette mesure est politiquement maladroite. La révision constitutionnelle devant inscrire la déchéance de la nationalité dans la constitution nécessite une majorité des 3/5 des parlementaires réunis en Congrès. Ce n’est pas gagné. Cela serait un échec pour le président Hollande. Cela serait un échec pour la gauche de gouvernement qui se voit ainsi divisée. Cela serait un échec pour la droite qui a a soutenu cette loi. Seule gagnant le Front National. De plus, cette réforme constitutionnelle est imposée sans débat. Modifier la Constitution n’est pas une mince affaire. Elle créé la zizanie dans un pays qui a plutôt besoin de consensus pour mieux résister aux vicissitudes. Cette mesure ne devrait pas être une affiche électorale sur laquelle on inscrit ses options.

  N’y a t-il pas le risque de créer des apatrides ? Quel mépris à l’égard des pays d’origine, cela serait de renvoyer après leur peine dans leur pays d’origine des terroristes Français binationaux dont la France est responsable puisque c’est elle qui les a élevé dans ses écoles. Et si ces pays n’en veulent pas ? Que faire ? Qu’est ce qui arriverait si de nombreux pays votaient une telle loi, la terre s’apparenterait à une déchetterie. Sans nationalité, l’apatride n’a plus d’existence légale. Le droit à une nationalité est l’un des fondements de l’Etat de droit. Les conventions internationales interdisent le fait d’être apatride. Ce droit, inscrit à l’article 15 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, adoptée par l’ONU en 1948, est un des droits fondamentaux garants de la protection de la personne contre l’arbitraire de l’Etat.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

Catégorie(s)

EDITO

Etiquette(s)

, ,