Ex-directeur de l’eau chez Suez-Environnement, membre du Conseil Economique, Social et Environnemental Bernard Guirkinger est Co-rapporteur d’un avis sur la COP21..

 Propos recueillis par Yan de Kerorguen –

Dans l’échelle de gravité des problèmes écologiques, quel est le plus important ?

Le problème majeur est sans conteste le changement climatique. La réalité du réchauffement du climat est avérée et les climato-sceptiques ne s’expriment guère plus sur ce sujet. Les scientifiques prédisent jusqu’à 4° d’augmentation de la température d’ici la fin du XXIème siècle. Les changements très importants interviennent dans la circulation de l’eau. Il y a plus d’évaporation d’eau dans l’atmosphère. Le cycle des pluies est modifié. Le niveau des mers monte dangereusement. Les zones de précipitations et les tornades sont plus intenses tandis que la dégradation des sols, la désertification et le manque d’eau frappent de nombreuses régions du monde. Ainsi, en est-il, par exemple, du lac Mead, aux Etats-Unis, qui a perdu une trentaine de mètres de hauteur d’eau. Cela fait craindre aux experts son assèchement d’ici peu. On peut en mesurer les conséquences quand on sait que toute l’économie de la ville de Las Vegas est assise sur le barrage Hoover et l’eau de ce lac. La difficulté d’accès aux terres cultivables va provoquer des crises économiques majeures et des situations de chaos. Cet ensemble de phénomènes est déjà visible en Californie, au Sahel, en Australie, en Asie….Ils entraînent des émigrations massives de populations à la recherche d’un endroit où vivre et travailler. Les premières victimes du changement climatique sont les plus pauvres. Le Subsahara est un exemple de cette injustice. Il y a peu de terre cultivable et peu d’eau. Les habitants sont nombreux à prendre le chemin de l’émigration. Cette situation génère des tensions entre pays et des conflits potentiels. Le réchauffement du climat est une catastrophe annoncée qui impose une mobilisation urgente. Les réfugiés climatiques seront de plus en plus nombreux. Les chiffres sont cruels. Selon les experts, environ 150 millions de personnes se sont déplacés depuis 2008 suite à des catastrophes climatiques. Dans ses études chiffrées sur l’économie du changement climatique, Nicholas Stern indique que le coût de l’investissement à mettre en œuvre pour maîtriser le dérèglement du climat est bien inférieur au coût économique que ses conséquences négatives engendreront.

Et dans l’échelle des priorités, quelles sont les urgences ?

La priorité, c’est l’accumulation des Gaz à Effet de Serre, CO2 et méthane principalement. Ils sont provoqués par les activités humaines. Ces gaz piègent le rayonnement solaire. D’ou l’extrême nécessité de maîtriser et de réduire la quantité d’émissions de GES, partout dans le monde. Tous les pays sont concernés car la planète est un bien commun. Il est ainsi impératif de trouver un accord universel pour diminuer ces émissions. Les conférences sur le climat et la prochaine COP21 à Paris doivent mettre en évidence les urgences à tenir. Les autres pollutions, essentiellement des rejets chimiques se développent dans un espace géographique plus local.

Pourquoi certains pays, parmi les plus grands, peinent-ils à progresser vers une régulation internationale du climat ?

Les gouvernements développent des stratégies liées à la situation politique de leur pays. Ils doivent composer avec leur électorat. Certains pays comme la Chine estiment que les efforts sont d’abord à produire par les pays qui ont été pendant des années les principaux pollueurs. Ils s’estiment moins responsables et veulent attendre. D’autres pays, comme la Russie et le Canada, avec l’ouverture possible de nouvelles voies maritimes par le nord, se disent qu’ils vont bénéficier de nouveaux avantages géopolitiques et économiques. . Ils n’ont pas conscience que eux-mêmes, comme tout le monde, perdront beaucoup à sacrifier l’environnement.

Cependant, observe-t-on des avancées ?

Les acteurs politiques ont pendant trop longtemps laissé faire les marchés. Pourtant l’action politique doit diriger l’économie car on a atteint la ligne rouge. Les principaux pollueurs, les Américains et les Chinois, réalisent désormais que ces changements vont les affecter. Il y a une prise de conscience. Mais les objectifs de diminution des GES manquent encore d’ardeur. Les grandes conférences sur le climat qui se succèdent peinent à progresser vers une régulation internationale. Une chose est sûre : si les grandes nations, Etats-Unis, Europe, Inde et Chine, qui produisent près de 60% du CO2, bougent sur le front de l’environnement, comme ils sont enclins à le faire actuellement, le reste suivra. C’est positif. La question qui se pose aujourd’hui est : quelle est la hauteur de l’ambition à tenir et à quel rythme les réformes peuvent-elles se mener ? Il est nécessaire de mettre en place un système dynamique vertueux pour avancer en permanence. Si la représentation politique, au niveau mondial, reprend confiance pour mettre en place des initiatives, elle ne se donne toutefois pas encore les moyens nécessaires pour accélérer le processus. L’Union Européenne a adopté en octobre 2014 un nouveau paquet climat énergie 2030. Il répond aux enjeux. Mais l’Europe pourrait faire preuve de plus d’audace et semble hésitante sur les questions environnementales par exemple, en ce qui concerne l’économie circulaire. Si on veut préserver les ressources naturelles, il faut augmenter le recyclage. Cela, bien entendu, ne peut pas être déployé par les seules forces du marché.

Bref, il manque souvent aux décideurs politiques de la vision et une volonté politique d’être efficace. Deux outils sont nécessaires pour avancer : d’une part, la réglementation, appliquée dans toute sa rigueur ; d’autre part, la fiscalité écologique basée sur des principes « pollueur-payeur ». Ce principe qui a déjà été appliqué avec succès doit s’étendre à toutes les activités polluantes. Mais dans la mise en place de l’éco-fiscalité il faut être attentif à l’impact sur les plus pauvres et mettre en place des mécanismes de compensation pour les populations les plus démunies. Par exemple reverser une partie des taxes collectées pour la réhabilitation des logements des pauvres. Ces mécanismes ne sont pas simples. Mais une vision claire du chemin à prendre peut permettre de résoudre les difficultés. I


Les citoyens sont-ils suffisamment mobilisés ?

La société civile a un rôle important à jouer pour influer sur les décisions. Elle est souvent plus en avance que les élus sur les questions d’écologie. Si elle est en mesure d’exprimer fortement ses attentes et son exaspération, les gouvernements seront obligés de suivre. La pédagogie est au cœur de l’enjeu. L’éducation à l’environnement et la sensibilisation aux ressources naturelles sont essentielles. Les jeunes générations sont davantage attachées que leurs aînés à la cause environnementale. Et pour cause ce sont elles qui en feront les frais, si leproblème du changement climatique n’est pas pris à bras-le-corps.

Et les entreprises ?

Leur mobilisation est très hétérogène.. Mais la volonté d’agir sur le climat est présente et plus personne ne conteste la responsabilité humaine dans le réchauffement du climat. La prise de conscience est manifeste.. Les initiatives du World Business Council for Sustainable Development qui rassemble près de deux cents compagnies mondiales sont nombreuses et des engagements sont pris. Sous l’égide de la Banque mondiale de nombreuses entreprises ont signé pour l’introduction d’une taxe carbone. Plusieurs grandes entreprises pétrolières comme Total, Shell, BP…ont exprimé la même demande. C’est une étape historique. Les entreprises se préparent aux marchés « bas carbone » de demain. Mais sur ces marchés, elles ne peuvent rien faire toutes seules

En quoi la question climatique interfère-t-elle sur l’économie ?

L’écologie ouvre un débat plus large sur nos modèles économiques. Le modèle actuel qui provoque l’épuisement des ressources naturelles et fait croître les inégalités devient inapplicable. Les limites matérielles seront insurmontables quand, en 2050, nous serons 9 milliards d’habitants sur la planète. Il y a plusieurs décennies , le Club de Rome a prédit que le modèle de croissance se heurterait à des limites naturelles.. Les états ont refusé de prendre en compte ses conclusions en considérant qu’elles étaient malthusianistes. Aujourd’hui, nous sommes à la croisée des chemins. Etre réaliste exige que nous allions vers plus de sobriété dans la consommation et que nous retrouvions une relation plus équilibrée avec la nature en préservant la biodiversité. Les choses bougent. Des nouveaux modèles de développement innovent vers des économies collaboratives, conviviales, non marchandes. Le problème n’est pas de croitre ou de décroitre mais de continuer à créer des richesses et des emplois par un mode de croissance différent fondé sur des énergies propres et des ressources renouvelables.. Cela exige des efforts collectifs.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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A LA UNE, ENVIRONNEMENT

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