Le nouvel exercice de prospective nationale des métiers et des qualifications, « Les Métiers en 2022 », met en perspective les grandes évolutions qui contribueront à façonner l’emploi et le marché du travail dans les années à venir.

Depuis la fin des années 1990, des exercices de prospective sur les métiers et les qualifications (PMQ) sont régulièrement menés afin d’examiner les perspectives d’évolution des ressources en main-d’œuvre et d’emploi par métier. Ces exercices sont pilotés par France Stratégie1, en partenariat avec la Dares (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques). Ils réunissent l’ensemble des partenaires et administrations concernés par l’analyse des évolutions à moyen terme de l’emploi par métier et qualification.

En 2012, la Dares et le Centre d’analyse stratégique ont publié une synthèse des résultats du dernier exercice (PMQ 2020). Cependant, les projections macroéconomiques sur lesquelles reposait cet exercice ne prenaient pas en compte le retournement conjoncturel observé en 2011. Le présent exercice (PMQ 2022) actualise donc ces projections. Par rapport aux précédents exercices, il se distingue notamment par la présentation de trois scénarios, qui permettent d’apprécier les effets sur l’emploi par métier de l’évolution macroéconomique et sectorielle, dans un contexte conjoncturel particulièrement incertain. Il comporte également des zooms sur les jeunes et l’apprentissage, les seniors et les territoires.

 Une recomposition sectorielle déjà à l’œuvre, qui conduirait à une réallocation de l’emploi, différenciée selon les scénarios envisagés

Trois scénarios d’évolution de l’économie française ont été élaborés. Ils se situent dans l’épure proposée par l’Insee autour de trois tendances de long terme de productivité globale des facteurs. Le scénario central correspond à une hypothèse « médiane » de sortie de crise progressive dans un contexte contraint par l’ajustement des finances publiques. L’économie française créerait 177 000 emplois par an en moyenne sur la période 2012-2022, soit un niveau proche de celui de l’ensemble de la période 1997- 2012 (182 000). Les secteurs les plus créateurs d’emplois seraient, comme par le passé, les services liés à la santé, l’action sociale, l’éducation et les services aux personnes, ainsi que les activités récréatives, culturelles et sportives. Les secteurs de la distribution, de l’hôtellerie-restauration, et les services d’appui scientifiques et techniques (bénéficiaires de l’externalisation des entreprises) connaîtraient également une forte dynamique d’emploi sur la période. La construction et les services associés seraient en revanche peu contributeurs à la croissance de l’emploi.

 Enfin, la désindustrialisation serait ralentie, mais de façon très contrastée selon les secteurs. L’agriculture et les services centraux de l’administration continueraient à perdre des emplois.

Deux scénarios alternatifs sont mobilisés, avec des hypothèses différentes qui influent sur le volume et la réallocation sectorielle des emplois.

Le scénario « de crise » envisage une dégradation de la compétitivité française et européenne et un renforcement des contraintes financières pour les agents économiques. Dans ce scénario, l’économie française créerait 115 000 emplois par an en moyenne, soit 62 000 emplois de moins que dans le scénario central. Si tous les secteurs sont affectés par la faiblesse de la croissance, le recul de l’emploi serait plus marqué dans les services aux entreprises, tandis que les services d’aide et de soins aux personnes créeraient moins d’emploi. Le scénario « cible » envisage au contraire une croissance de la productivité de l’économie française prenant appui sur une stratégie d’investissement et d’innovation dans un contexte règlementaire et fiscal qui facilite l’éclosion de nouvelles activités. L’économie française créerait alors 212 000 emplois par an en moyenne, soit 35 000 de plus que dans le scénario central. Les impacts sur l’emploi selon les secteurs seraient plus différenciés que dans le scénario de crise, le retour de la croissance ne bénéficiant pas à l’ensemble des secteurs. En particulier, les secteurs intensifs en énergie et l’automobile seraient pénalisés par l’introduction d’une contribution climat-énergie ; à l’inverse les secteurs très innovants, dans l’industrie ou les services, amélioreraient sensiblement leurs performances économiques.

 Une population active plus âgée et qui continuerait de croître

En dépit du vieillissement démographique, la croissance de la population active devrait se poursuivre à un rythme rapide (+ 1,2 million d’actifs entre 2012 et 2022) pour atteindre 29,5 millions de personnes en 2022, selon le scénario central des dernières projections de l’Insee. L’impact des réformes successives des retraites devrait, en effet, se traduire par une plus forte participation au marché du travail des seniors, avec une nette élévation du taux d’activité à partir de 55 ans entraînant un accroissement mais aussi un vieillissement plus prononcé de la population active. Cette dynamique distingue la France d’autres pays européens, singulièrement l’Allemagne, dont la population active est sur une tendance décroissante.

 Selon le scénario envisagé, entre 735 000 et 830 000 postes par an seraient à pourvoir entre 2012 et 2022

Cette population active en croissance devrait se voir proposer un nombre relativement élevé de postes à pourvoir. Ces derniers correspondent à la somme des départs en fin de carrière (620 000 par an en moyenne quel que soit le scénario) et des créations nettes d’emplois (115 000 à 212 000 selon le scénario envisagé), à l’exclusion des flux d’embauche1 liés au turnover et à la flexibilité externe des entreprises. Ainsi, 735 000 à 832 000 postes seraient à pourvoir par an en moyenne entre 2012 et 2022, environ 80 % correspondant à des départs en fin de carrière. Ils ne seront pas répartis de façon équivalente selon les métiers, parce que la structure des emplois évolue en faveur des métiers tertiaires et des qualifications élevées, et parce que les taux de départs en fin de carrière varient d’un métier à l’autre.

La poursuite de la tertiarisation des emplois devrait continuer de s’appuyer sur une forte dynamique des métiers du commerce et des services de soin et d’aide aux personnes, qui ferait plus que compenser le repli des emplois administratifs de la fonction publique et des emplois de secrétaires. Symétriquement, les métiers industriels se stabiliseraient ou reculeraient (pertes d’emplois moins fortes que par le passé parmi les ouvriers non qualifiés de l’industrie, et créations pour certains métiers d’ouvriers qualifiés). Les métiers agricoles poursuivraient en revanche leur repli.

 Une relative polarisation de l’emploi se poursuivrait, même si elle apparaît moins marquée en France que dans d’autres pays, en particulier les États-Unis.

Elle se traduirait par une forte progression de l’emploi dans les métiers très qualifiés (principalement les métiers de cadres), par une diminution du poids des ouvriers et des employés qualifiés et par une relative stabilité de la part des ouvriers et des employés peu qualifiés, les créations d’emplois dans les métiers d’aide à la personne et de services (employés de l’hôtellerie-restauration, agents de gardiennage et de sécurité) compensant les destructions d’emplois d’ouvriers peu qualifiés.
Certains métiers, peu créateurs d’emplois, offriraient des postes à pourvoir en raison de nombreux départs en fin de carrière : les agents d’entretien, les aides à domicile, les enseignants, les aides-soignants et infirmiers, les cadres des services administratifs, comptables et financiers, les conducteurs de véhicules et les vendeurs.

La construction et les services associés seraient en revanche peu contributeurs à la croissance de l’emploi. Enfin, la désindustrialisation serait ralentie, mais de façon très contrastée selon les secteurs. L’agriculture et les services centraux de l’administration continueraient à perdre des emplois.

 De nombreux départs en fin de carrière à l’horizon 2022

Quel que soit le volume des créations nettes d’emplois de l’économie française, de nombreux postes seront à pourvoir en raison de l’arrivée en fin de vie active des générations du baby-boom d’après-guerre. Le vieillissement de la population française est un phénomène massif. À l’horizon 2022 et au-delà, il se manifestera, sur le marché du travail, par un flux conséquent de départs en fin de carrière des générations particulièrement nombreuses nées entre 1945 et 1975. Au total, sur la période 2012- 2022, le nombre de départs en fin de carrière devrait avoisiner 620 000 par an en moyenne, contre 400 000 sur la période 1993-2001, avec un volume plus important à la fin de la décennie qu’à son début. Toutefois, des disparités importantes pourraient subsister selon les métiers, à l’image de la situation actuelle : les familles profes- sionnelles d’indépendants et de cadres termineraient leur carrière à des âges plus élevés, avec la liquidation de la retraite comme principal motif de départ, tandis que les familles professionnelles d’ouvriers, d’employés peu qualifiés, les professions de soins aux personnes et les employés administratifs pourraient être particulièrement concernés par des départs précoces pour raisons de santé ou d’inaptitude.

 La part des femmes dans l’emploi continuerait de s’accroître, grâce à la féminisation des métiers les plus qualifiés

Les femmes pourraient former 49,1 % de la population en emploi en 2022, contre 47,7 % en 2012, en progression ininterrompue depuis 1975. Cette progression résulterait de l’accroissement de leur part dans les métiers les plus qualifiés. Alors que la faible mixité professionnelle se concentre en bas de la hiérarchie professionnelle, les hommes et les femmes les plus diplômés occuperaient de plus en plus les mêmes emplois.

 Des perspectives d’emploi favorables aux jeunes diplômés du supérieur, mais des risques de chômage et de déclassement pour les moins qualifiés dans le scénario de crise

Entre 2012 et 2022, la situation des jeunes débutants sur le marché du travail continuerait à dépendre fortement de l’environnement macroéconomique. Ainsi, dans un contexte de conjoncture économique ralentie (scénario de crise), l’insertion professionnelle des jeunes resterait différenciée par niveau de diplôme. La concurrence entre les diplômes serait accrue, entraînant des phénomènes de déclassement en chaîne. Quel que soit le scénario, les perspectives d’emploi devraient toutefois être légèrement favorables aux jeunes débutants par rapport à d’autres catégories d’actifs, en particulier ceux qui sont diplômés du supérieur long, même si les perspectives d’insertion professionnelle seraient sensiblement différentes selon le domaine de formation et les possibilités d’occuper un emploi stable. Par ailleurs, la poursuite du développement de l’alternance serait conditionnée à l’augmentation du recours à l’apprentissage dans des métiers encore peu concernés par ce mode de formation (agents de gardiennage et de sécurité, aides à domicile, par exemple).

 À l’horizon 2022, l’emploi des seniors : des enjeux différents selon les métiers

D’ici 2022, le nombre de seniors actifs devrait s’accroître de plus de 1,5 million par rapport à 2012, leur part dans la population active passant de 27 % à 30 % selon les projections de l’Insee. Les projections d’emploi seraient plutôt défavorables aux métiers où les seniors sont actuellement les plus nombreux.

Les enjeux d’emploi des seniors se poseront de façon spécifique selon les métiers : l’amélioration de la qualité de l’emploi et la diversification des parcours professionnels pourraient particulièrement viser les métiers d’aide et de soins aux personnes ; les reconversions professionnelles concer- neraient plus spécifiquement les salariés en milieu ou fin de carrière dans des métiers fragilisés (ouvriers par exemple) ; une réflexion pourrait être engagée sur l’élargissement du recrutement aux seniors dans des métiers où leur place est encore ténue (vendeurs, employés de l’hôtellerie-restauration, etc.) ; l’accès à la formation continue mériterait d’être développé dans les métiers où les transformations technologiques ou organisation- nelles peuvent être soutenues ; enfin, la prévention de « l’usure au travail » mériterait une attention accrue dans les métiers pénibles et présentant des risques pour la santé.

 ,La disparité de localisation des métiers entre régions et entre territoires et la « métropolisation des emplois » peuvent fragiliser certaines zones

Alors que les « métiers fragiles » au niveau national (métiers agricoles, ouvriers industriels, certains employés administratifs) sont davantage situés dans les aires de moins de 100 000 habitants et en dehors des grandes aires urbaines, les métiers à fort potentiel de création d’emplois sont plus souvent présents dans les métropoles. Par ailleurs, les mobilités d’emploi à emploi sont plus nombreuses en Île-de-France. La fragilité des espaces ruraux, des petites villes et des villes moyennes pourrait ainsi être renforcée au regard des évolutions d’emploi projetées. Enfin, si les jeunes, les cadres et les salariés de la fonction publique changent davantage de région, les seniors, les ouvriers industriels et les employés peu qualifiés ont une mobilité géographique plus faible.

 Du diagnostic à l’action, la nécessaire mobilisation des politiques de l’emploi et de la formation

En réponse aux mutations économiques, démographiques et sociétales auxquelles la France est confrontée, l’exercice de prospective des métiers et qualifications souligne l’importance de favoriser le bon appariement de la main-d’œuvre, des emplois, des qualifications et des compétences. Les projections réalisées sur la base de trois scénarios alternatifs restent fortement soumises aux aléas de la conjoncture. Toutefois, il ne s’agit en aucun cas de prévisions mais bien d’outils destinés à nourrir la réflexion et le débat avec les partenaires sociaux, les acteurs publics, économiques et la société civile.

Ce rapport soulève de nombreuses questions : quels sont les moyens de soutenir et de renforcer l’innovation, de dynamiser la R&D, d’accroître la productivité dans les services ? Quelles politiques d’emploi et de formation mettre en œuvre pour faciliter les transitions professionnelles des personnes les plus touchées par la crise ? Comment améliorer l’insertion professionnelle des jeunes, assurer le maintien et le retour à l’emploi des seniors et réinvestir les territoires les plus fragilisés ? Ce rapport invite les instances et les acteurs en charge des politiques de l’emploi, de la formation professionnelle et de l’orientation à se saisir de ces outils d’aide à la réflexion.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

Catégorie(s)

ARTICLES

Etiquette(s)

, , , , ,