Faut-il encore rappeler l’importance de la recherche scientifique pour l’avancée des connaissances et le progrès de nos sociétés ? Faut-il encore rappeler que ces avancées ne peuvent être prévues à l’avance et que les recherches fondamentales ont, souvent, des conséquences tout à fait imprévues ? Faut-il encore rappeler que les bénéfices de ces recherches n’apparaissent parfois qu’après des dizaines d’années, voir plus?

Ces rappels ne semblent pas être nécessaires pour certains pays qui ne cessent d’augmenter leurs efforts de recherche. Ainsi en Corée du Sud, l’investissement en recherche est passé de 2.40% du PIB en 2002 à 4.35% en 2012, en Chine de 1.07 à 1.98% (http://www.oecd.org/fr/science/pist.htm). En revanche en France cet investissement a stagné de 2.23 à 2.29% durant la même période. La conséquence de cette politique est directe : dans un contexte de compétition internationale intense, les chercheurs français ont de plus en plus de difficultés à faire fonctionner leurs équipes.

Les équipes de recherche sont actuellement financées de deux manières.

 Une partie de leurs moyens provient de la dotation que l’Etat verse tous les ans aux structures de recherche. Ce financement est en diminution constante. Ainsi au CNRS elle était de 166,5M€ en 2004 (équivalent à 194M€ en euros constants 2013: source: www.cnrs.fr/cw/fr/ accu/notedu0401.doc) pour seulement 145,2M€ en 2014 (source: http://www.cnrs.fr/insis/infos-DU/docs/docs2014/DU2014/DGDR.pdf). S’ajoute à cette baisse le fait que les charges d’infrastructure des laboratoires (entretien des bâtiments, électricité, eau) sont maintenant à la charge des laboratoires, alors qu’elles ne l’étaient pas en 2004.

 L’autre moyen provient de financements sur projet, en particulier par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR). Ce type de financements permet de développer des nouveaux projets, en particulier ceux qui demandent des moyens accrus, et de donner la possibilité à de jeunes chercheurs de prendre leur indépendance. Malheureusement le nombre et l’enveloppe attribuée dans ces financements ne permettent pas de financer des projets sur leur totalité.

La seule manière de survivre sur le moyen terme dans ce contexte est de multiplier ces demandes. Ceci veut dire également que l’on doit multiplier de la même manière les rapports et autres justifications de l’utilisation des financements. La conclusion est donc que le chercheur français passe le plus clair de son temps à rechercher de l’argent et à faire du « copier-coller » pour faire correspondre ses demandes aux formats divers et variés des différentes sources de financement, au lieu de travailler directement à faire avancer sa recherche. Et à angoisser sur l’arrivée des résultats qui décideront de la vie ou de la mort de son équipe. Quand le taux de financement passe en dessous de la barre des 10% comme cela a été le cas en 2014 à l’ANR, notre travail s‘apparente à un jeu de roulette russe.

Construire une équipe de recherche prend du temps : il faut former des jeunes chercheurs/ses et des techniciens/nes qui acquièrent durant plusieurs années des expertises souvent irremplaçables. Utiliser des CDDs pour financer cette étape dans la formation des personnels ne serait pas un problème si il y avait des perspectives d’emploi stable à la clé.

Or la situation de l’emploi dans les structures de recherche en France est actuellement désastreuse, tant au niveau chercheur que technicien. Ainsi, avec une moyenne annuelle de 30 candidats par poste de chercheurs ouvert au CNRS depuis quelques années, le recrutement ne tient plus à de la compétition mais à de la loterie, tant le nombre de candidats excellents dépasse le nombre de postes proposés. De même, le nombre de postes de techniciens ouverts au concours est ridicule, et quand ils existent, ces postes sont en général maintenant réservés à des plateformes.

Comment alors motiver les jeunes qui travaillent dans nos laboratoires ? L’ironie est à son comble lorsque, bien qu’on ait la chance d’obtenir un financement pour renouveler un CDD, on nous refuse ce renouvellement. En effet, depuis la loi de Mars 2012 de résorption de l’emploi précaire dans la fonction publique, les organismes de recherche freinent à renouveler les contrats après 3 ans, et les interdisent après 5 ans.

Ceci nous mène enfin à la question de la reconnaissance de la formation par la recherche dans notre société. Si des débouchés existaient pour les jeunes que nous formons dans d’autres secteurs que la recherche publique, une partie du problème serait résolue. Or ce n’est pas le cas. Trois fois plus de docteurs sont au chômage en France que dans les pays de l’OCDE et le doctorat n’est pas reconnu dans les conventions collectives. Pourtant cette formation permet au jeune d’acquérir de nombreux talents, qui peuvent être appliqués en dehors de la recherche scientifique proprement dite et sont des atouts pour n’importe quel travail en entreprise: entre autres, le management de projet, la créativité, la résolution de problèmes. Associé à des perspectives d’emploi et derémunération faibles dans la recherche publique, il est alors peu étonnant que les meilleurs étudiants se détournent du doctorat ou partent à l’étranger. Ceci est une catastrophe non seulement pour la recherche publique, mais aussi pour toutes les branches de la société française.

Les problèmes du financement et du recrutement dans la recherche publique en France et celui de la valorisation du doctorat sont des points consensuels dans la communauté scientifique. C’est de ce constat qu’est né le mouvement « Sciences en marche » en Juin 2014 à Montpellier.

Une piste simple est proposée par les chercheurs (aussi bien de l’académie des Sciences et du mouvement Sciences en Marche) : la redistribution d’une partie du crédit d’impôt recherche (CIR), un avantage fiscal accordé aux entreprises dans le but d’augmenter l’investissement R&D en France. Or, le coût du CIR a explosé ces dernières années (5.17 milliards d’euros en 2011 !), alors que son efficacité, difficile à évaluer, est mise en doute par la Cour des Comptes. Ceci donnerait un grand bol d’air à notre recherche publique. Le choix est simplement politique. C’est la raison pour laquelle, même si on peut (et doit) débattre des solutions aux problèmes de la recherche en France, il faut soutenir
le mouvement Sciences en marche (http://sciencesenmarche.org/fr/) en rejoignant les chercheurs pour une grande marche le 17 Octobre à Paris.

NOTE : En réponse à la baisse des crédits et des postes à l’Université et dans la recherche publique, le collectif Sciences en Marche, s’est formé en juin dernier et a déjà rallié plus de 2500 chercheurs rassemblant doctorants, chercheurs, CDD et statutaires de toutes disciplines, mais également simples citoyens, des quatre coins de la France. Cette mobilisation se veut large et se concentre sur 3 revendications principales : Mettre en œuvre un plan pluriannuel ambitieux pour l’emploi statutaire à tous les niveaux de l’ESR Renforcer les crédits de base des laboratoires et des universités Reconnaitre le doctorat dans les conventions collectives. Faciliter l’emploi des docteurs, et la diffusion de la culture scientifique, dans les entreprises et la haute fonction publique.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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