En visite aux Etats-Unis dans les années 1990 pour ses recherches, Gert Tinggaard Svendsen est assailli de questions sur le « modèle scandinave ». Les économistes l’interrogent : comment expliquer le succès économique de cette région ? La question reste d’actualité alors que la Scandinavie semble surmonter la présente crise économique. Au fil de ses travaux sur le capital social et les réseaux sociaux, Gert Tinggaard Svendsen a élaboré une théorie qui fait de la confiance la clef du mystère scandinave.

* Cet interview est paru sur le site du Groupe Chronos

Nous remercions Chronos de nous autoriser à le publier .

Par rapport aux autres pays du globe, la région serait en effet caractérisée par un niveau de confiance élevé entre les individus et à l’égard des institutions. Cette confiance constituerait un des socles du modèle de l’Etat Providence, dans lequel chacun a un rôle à jouer pour contribuer au bien commun. En d’autres termes, l’hypothèse du chercheur est que la confiance sociale qu’il identifie au Danemark (lieu privilégié de ces études) serait une mine d’or capable d’expliquer – du moins en partie – pourquoi le pays occupe une si bonne position dans le classement des nations riches et heureuses.
Dans cet entretien, le chercheur explique le lien qu’il analyse entre confiance et stabilité économique, mais également les enseignements qu’Etats et entreprises peuvent tirer de ces travaux.

• Comment établissez-vous le niveau de confiance d’un pays ?

Tout d’abord, précisons de quel type de confiance on parle. Il s’agit ici de la confiance sociale, c’est-à-dire la confiance entre des individus qui ne se sont pas rencontrés au préalable. Je l’ai mesuré de manière qualitative en demandant à des individus s’ils pensent pouvoir avoir confiance dans la plupart de leurs concitoyens. Les réponses ont été collectées en 2005 dans le cadre d’un projet de recherche et comparées avec les résultats de World Value Surveys, ce qui nous a permis d’obtenir des données comparables pour 86 pays. Les résultats sont saisissants.

Avec 78% de réponses positives, les Danois apparaissent comme les individus avec le niveau de confiance le plus élevé, suivis de près par les Norvégiens, les Suédois et les Finlandais. La Nouvelle-Zélande, le Canada et l’Australie sont aussi relativement bien placés tandis que le Brésil, les Philippines, le Costa Rica ou encore l’Ouganda sont en bas de l’échelle avec un niveau de confiance qui ne dépasse pas 10%. Le ratio moyen dans ces 86 pays est qu’une personne sur quatre indique pouvoir avoir confiance dans ses concitoyens. Un des résultats les plus surprenants est celui de la France, assez mal positionnée par rapport à ses voisins avec seulement 22% de réponses positives. Cela tient peut-être à l’histoire du pays, bien plus tourmentée que celle du Danemark notamment.

• Quel lien voyez-vous entre stabilité économique et confiance ?

La principale explication tient au fait qu’un certain nombre de coûts sont réduits : coûts de transaction, coûts juridiques, etc. Dès lors qu’il n’est pas nécessaire de tout noter par écrit, le gain de temps est important pour les individus et la société. Les firmes danoises sont ainsi connues pour leur capacité à coopérer sans avoir nécessairement recours à des contrats formels, coûteux et longs à mettre en place. De nombreux accords sont passés oralement. Les dépenses dévolues à des poursuites judiciaires ou les coûts associés à des systèmes de sécurité sont par ailleurs relativement faibles. Un autre exemple qui illustre bien la situation, peut être rencontré dans la campagne danoise. On y trouve des stands de fruits et légumes… sans commerçant. Les acheteurs se servent et placent eux-mêmes l’argent dans une boîte. Les cultivateurs peuvent ainsi se concentrer sur leurs productions.

Un niveau de confiance élevé dans les institutions d’un pays permettrait en outre de mieux résister aux chocs économiques. Dans la crise traversée actuellement, le manque de confiance des individus les uns envers les autres dans certains pays est peut-être une des raisons qui les conduit à réduire leur niveau de consommation, leurs investissements, etc.

En d’autres termes, le risque est plus important dans une société avec un faible niveau de confiance sociale de voir les individus se transformer en Robinson Crusoë, peu coopératifs et peu réceptifs à la notion de responsabilité sociale. Or, le manque de coopération entre individus ne peut faire qu’empirer la situation.

• D’où vient la confiance ?

Celui qui saura répondre avec certitude à cette question se verra décerner un prix Nobel ! Des facteurs historiques entrent en ligne de compte. Une histoire nationale paisible contribue probablement à créer les conditions de la confiance sociale. De même, elle est certainement liée au niveau de corruption du pays. Une nation avec des institutions publiques qui fonctionnent bien est plus à même de générer la confiance.

Par ailleurs, la confiance s’oppose souvent au contrôle. Faire l’objet d’un contrôle est perçu comme un manque de confiance. Dés lors, les conditions d’une relation de confiance réciproque ne sont pas réunies et le contrôle peut être perçu comme une incitation à tricher. Aussi, la grande difficulté est de parvenir au bon équilibre entre contrôle et confiance. Dans ce contexte, la réduction des coûts des technologies de contrôle ne doit pas être perçue comme une incitation à y recourir davantage. Le résultat serait contre productif.

• Comment soutenir le développement de la confiance ?

Les Etats devraient mettre en oeuvre des réformes de confiance plutôt que de contrôle. Un retour en arrière s’impose qui accorderait plus de liberté aux individus. Les organisations bénévoles sont également un bon levier de développement de la confiance. Elles permettent de fréquentes interactions en face à face, qui incitent les parties prenantes à respecter leurs engagements. Les Etats devraient encourager et soutenir le développement de ces organisations. On retrouve des mécanismes parallèles dans des services numériques. Sur e-bay par exemple, les commentaires et notes d’évaluation sont générateurs de confiance.
Accroître le niveau de confiance ne se fait pas du jour au lendemain. Des entreprises qui s’installent dans des pays tiers doivent veiller à comprendre les normes locales et développer des stratégies adaptées. Cependant, même dans les pays marqués par un faible niveau de confiance, il est possible de créer des « îlots de confiance ». Il s’agit alors d’une part, d’expliquer ses bienfaits, son impact sur la qualité du travail en entreprise et, sur le long terme, sa compétitivité. Cela signifie d’autre part pour les managers, de prendre le risque, progressivement, de laisser les salariés faire l’expérience d’une plus grande confiance et de diminuer le recours aux outils de contrôle.

NOTE

Pour aller plus loin sur la « confiance », vous pouvez lire l’étude « trusted online communities: strong signs of a brighter future » (Chronos / Blablacar 2012) sur la confiance entre inconnus et cet article sur les 6 clés de la confiance dans les échanges entre particuliers sur Internet.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

Catégorie(s)

ECONOMIE

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