L’Observatoire Citoyen de la Qualité Démocratique, mis en place en juin 2012 à l’initiative du Pacte Civique, publie aujourd’hui son premier rapport annuel. C’est l’occasion pour notre collectif de rappeler l’origine de cette action, et de tirer des enseignements des observations qui nous sont proposées.

Pourquoi cette priorité accordée à l’amélioration de notre démocratie ?

La démocratie est au cœur du Pacte Civique. Certains parmi nous l’érigent en valeur éthique ; nous nous accordons tous sur le fait qu’elle constitue une réponse obligée aux maux de notre temps. Pourquoi ?

Notre société est caractérisée par un brouillage et souvent une perte générale de repères, de références et de valeurs : la notion de progrès ne fait plus l’unanimité ; la « méritocratie républicaine », offrant aux meilleurs des perspectives d’ascension sociale quelles que soient leurs origines, ne fonctionne plus ; dans un monde ouvert et divers, soumis à un flux d’informations de plus en plus rapide, les pouvoirs, proches ou lointains, sont désacralisés ; l’autorité est contestée avant même de pouvoir s’exercer, particulièrement celle des représentants politiques ; les appartenances traditionnelles s’effritent, y compris l’appartenance familiale ; l’individu se retrouve isolé, seul face à l’angoisse d’un destin à inventer.

Dans une situation de marasme économique marquée par le chômage de masse et la précarité, cette solitude peut se transformer en peur, favorisant les corporatismes, les replis identitaires et/ou communautaires, le rejet de l’autre et la recherche de boucs émissaires.

Or les problèmes qui se posent à nos sociétés sont importants et complexes : pour ne citer que l’essentiel, nous devons nous acquitter simultanément des trois dettes accumulées depuis plusieurs décennies : dette sociale envers les plus fragiles d’entre nous, dette financière que nous ne pouvons pas transmettre tranquillement aux générations qui nous suivent, dette écologique vis-à-vis d’une nature que nous ne pouvons plus continuer à épuiser.
Comment résoudre cette triple équation dans une société divisée ? Comment retrouver de nouveaux équilibres permettant à nos sociétés d’avancer? Comment articuler transformations personnelles et collectives? Une solution repose sur l’approfondissement démocratique : rendre les choix de plus en plus partagés par la délibération et la recherche permanente de compromis, ce qui suppose une démocratie beaucoup plus approfondie et performante que celle dont nous avons hérité. Les problèmes qui se posent à nous sont bien trop complexes pour être résolus par les seuls experts ou professionnels ou politiciens. Un nouveau système politique et une nouvelle gouvernance sont à inventer.

Pourquoi un Observatoire Citoyen de la Qualité Démocratique ?

Pourquoi observer, alors qu’il y a tant à faire pour lutter contre le chômage, contre le populisme, contre les inégalités et tant d’autres maux de notre société qui réclament une action urgente ?

Parce qu’en matière de démocratie, observer c’est déjà agir. La démocratie est une pratique complexe, qui s’appuie sur des comportements (domaine de l’éthique), mais aussi sur des institutions et des méthodologies adaptées à chaque cas. Bien sûr, les apports des chercheurs sont précieux pour mieux comprendre les processus démocratiques. Mais ils doivent être complétés par une approche citoyenne : interroger les acteurs de terrain et comprendre ce qui les anime, relever les bonnes pratiques, mais aussi les échecs, les méthodes « prometteuses » qui s’avèrent peu efficaces sur le terrain, tirer profit de chaque expérience, pratiquer une observation critique de quelques processus représentatifs, c’est contribuer efficacement à l’amélioration de la qualité de notre vie démocratique. Les outils d’observation, aussi simples que possibles, se forgent dans l’action, et s’améliorent à l’usage.

Les investigations menées par l’équipe projet « OCQD » montrent que ce créneau porteur de « l’observation citoyenne » est encore largement inexploité.

La qualité démocratique

Plutôt que de s’interroger longuement sur une définition rigoureuse et complète de la qualité démocratique, l’OCQD a préféré se lancer dans l’action, et forger petit à petit ses convictions en la matière. Au bout d’un an et demi de pratique, quelques tendances fortes se dégagent :

 La qualité démocratique poursuit deux objectifs complémentaires, qui contribuent également au regain de confiance dont notre société a besoin :
Elle répond au souci de prendre ensemble, devant chaque question, avec la méthode adéquate, la meilleure décision possible, acceptée à défaut d’être toujours consensuelle ;

 Elle ne laisse pas les citoyens inchangés : toute personne s’impliquant dans un processus démocratique réussi se transforme ; une bonne pratique démocratique contribue à former de bons citoyens.

 Il n’y a pas, en matière démocratique, de méthode miracle. Par exemple, gouverner démocratiquement, c’est choisir dans chaque cas le processus qui permettra d’impliquer tous les acteurs concernés, de surmonter leurs désaccords (citons notamment la méthode de « construction des désaccords féconds », que nous expérimentons), de faire valoir l’intérêt général, de prendre une décision légitime et de la faire accepter.

Les points forts d’un processus réussi peuvent ainsi se résumer :

 des acteurs représentatifs impliqués personnellement dans la recherche de la meilleure solution ; des délibérations conduites avec méthode ;
la possibilité pour les participants de vérifier, aux étapes clés, l’assentiment de leurs mandants ; le respect des avis minoritaires ;

 la transparence de la prise de décision ;
l’évaluation dans le temps des décisions prises et appliquées.

 Enfin, une démarche démocratique ne peut se passer actuellement d’un recours au volet « électronique » permettant d’élargir considérablement la participation citoyenne, notamment auprès des jeunes générations.

Le rapport 2013 de l’OCQD

Il rend compte des travaux effectués pendant un an et demi par l’Observatoire.
Plutôt que de rechercher la généralité ou l’exhaustivité, il préfère mener avec rigueur quelques observations détaillées, et en tirer des conclusions provisoires, qui ont d’ailleurs été soumises à débat sur le site du Pacte Civique.

Les principales observations portent sur :

La pratique politique de différents élus, parlementaires nationaux et européens;


Quelques réformes de la première année du quinquennat
;

Des initiatives à promouvoir, venant de différents acteurs (Union Européenne, gouvernement, élus, associations, citoyens, médias) ;

Les perspectives ouvertes par des innovations méthodologiques et techniques, notamment l’e-démocratie ;

L’appréciation de notre démocratie dans les classements internationaux.
Le rapport se termine par la recherche d’éléments de diagnostic et la proposition de nouvelles pistes de travail.

Enseignements et interrogations

Les questions qui apparaissent à la lecture de ce rapport sont multiples et passionnantes. Elles conduisent à interroger un certain nombre d’acteurs de notre vie publique :

Les élus

De manière générale, leur probité et leur dévouement à la chose publique n’est pas en cause. La corruption existe au sein du monde politique français. Elle est dévastatrice, mais elle n’est pas généralisée.

En revanche, on peut s’interroger sur leur pratique en matière de démocratie. Pour la plupart d’entre eux, le nec plus ultra de la démocratie participative est la rencontre « sur le terrain » de quelques-uns de leurs mandants (bien souvent les militants associatifs ou les habitués du marché du dimanche matin), dont ils nourrissent leur réflexion et leurs interventions. Bien peu d’entre eux tentent de mettre en place des méthodes démocratiques un tant soit peu systématiques et organisées.
Par ailleurs, l’examen concret des emplois du temps des parlementaires laisse rêveur sur le travail législatif que peut fournir un parlementaire cumulant un ou plusieurs mandats exécutifs. La résistance constatée à la limitation des cumuls apparait tout à fait choquante.

Le gouvernement

Sa volonté, affirmée dès le début du quinquennat, de favoriser la concertation tranche favorablement avec la pratique de ses prédécesseurs. Des conférences sociales, environnementales, etc., ont été mises en place et ont travaillé, souvent dans de bonnes conditions.

Curieusement, la grande réforme sociétale du « mariage des couples de même sexe » a été insuffisamment préparée. Aucune démarche n’a permis un vrai dialogue citoyen entre opinions opposées (le gouvernement n’est d’ailleurs pas le seul en cause dans cette déplorable absence ; pensons en particulier à l’attitude des églises !), ce qui a eu des conséquences très néfastes : malentendus, attitudes d’affrontement dès le début du processus, division profonde du pays, sentiment de rejet de la part des opposants.

Le troisième acte de la décentralisation a donné lieu à une guerre de positions entre élus faute de bilan des deux premiers actes et de mise en perspective. Le riche débat organisé sur la transition écologique n’a pu déboucher sur une loi consensuelle. Enfin dans le domaine économique (budget de la nation, loi bancaire, pacte de compétitivité …), les décisions ont été prises selon le parcours législatif standard, avec recours aux experts et dans les meilleurs des cas aux ONG spécialisées (loi sur la fraude fiscale). Nous intervenons activement pour que la grande réforme fiscale récemment lancée adopte d’autres voies et soit l’occasion d’un vrai débat citoyen.

Mais, même lorsqu’il organise la concertation, parfois de manière innovante et prometteuse, le gouvernement se heurte à de multiples obstacles, et butte, plus encore que ses prédécesseurs, sur un mal bien français : la difficulté à réformer. Quel diagnostic porter sur cette terrible maladie, et surtout, que proposer pour la surmonter ? C’est l’une des questions clés que pose ce rapport.

Avançons quelques pistes :

1/ Les conditions morales d’un bon fonctionnement de la démocratie ne paraissent pas réunies en France, sans doute depuis longtemps, ce qui se traduit par une exacerbation des corporatismes et des intérêts particuliers, nourrie par la peur généralisée du déclassement. Pour les surmonter, il faut parvenir à établir un dialogue entre catégories, clans ou corporations porteurs d’intérêts différents ou contradictoires. Pour que ce dialogue fonctionne, il faut un consensus civique minimum, qui se résume à trois attitudes fondamentales :

  la reconnaissance de la légitimité d’intérêts opposés et de positions divergentes ;


  la conviction que l’intérêt général ne se résume pas à une somme d’intérêts particuliers, mais qu’il les transcende ;

  l’acceptation d’une démarche coopérative et non violente permettant de gérer les conflits et de construire des compromis au nom de l’intérêt général.
A qui revient-il de porter cette parole et de développer une véritable éthique de l’action publique ? Au gouvernement ? Aux partis politiques ? A des collectifs organisés ? Aux intellectuels ? Aux médias ? A des leaders charismatiques ? A tous ?

2/ Pour convaincre et s’appliquer dans de bonnes conditions, toute réforme doit s’inscrire dans une vision et une stratégie explicites de transformation de notre société, et être reliée aux autres actions politiques en cours ou à venir. Le projet politique ainsi constitué, pour obtenir l’adhésion des citoyens, doit s’appliquer de manière cohérente et juste, les efforts étant équitablement répartis et ressentis comme tels. Cette mise en perspective est très clairement du ressort du Président et de son gouvernement, qui courent à l’échec s’ils se contentent d’évoquer une à une les promesses sur lesquelles ils ont été élus, rendant leur action illisible par la majorité des citoyens. L’inscription d’une action politique dans un grand dessein historique n’est pas contradictoire avec la pratique démocratique moderne, modeste et « normale » que le gouvernement essaye souvent de mettre en œuvre.

3/ La gouvernance démocratique que nous appelons de nos vœux est tout sauf une démarche facile. Elle ne s’improvise pas ; elle se perfectionne en tirant le meilleur parti de ses réussites, de ses insuffisances et de ses échecs. Les difficultés auxquelles le gouvernement doit faire face, que n’importe quel autre gouvernement aurait sans doute rencontrées, ne doivent pas le dissuader d’approfondir sa pratique démocratique et de progresser sur la voie d’une gouvernance adaptée à notre temps, modeste mais cohérente, collaborative mais efficace, à l’écoute de la société mais courageuse et pédagogique.

Les institutions

Bien sûr, le fonctionnement des institutions dépend étroitement des femmes et des hommes qui les utilisent. La meilleure des architectures démocratiques marchera mal si elle est animée par des élus corrompus, despotiques ou incompétents. Mais on ne peut en rester là ! Le degré de défiance engendré par nos institutions finit par poser question. Depuis la dyarchie bancale qui couronne l’état jusqu’aux multiples doublons qui caractérisent notre « mille feuilles territorial » en passant par la faible productivité d’un système législatif dominé par l’exécutif et inadapté à l’insertion internationale de notre pays, la liste est longue des dysfonctionnements qui décrédibilisent notre système politique.

Rénover nos institutions, oui, mais d’abord les penser ! Vaste champ de réflexion pour les chercheurs, les partis politiques, les citoyens ! Mais comment échanger sur ces questions sans se faire la guerre ? Qui a la capacité et la volonté d’animer ce débat ? La question est moins urgente que la manière de résorber le chômage, mais il est sans doute temps de la prendre à bras le corps. La paresse n’est jamais bonne conseillère !

La société civile

Le rapport que nous présentons fait une large place à la société civile, ou au moins à une partie d’entre elle : associations, collectifs, réseaux … (NB : le fonctionnement des entreprises, des lobbys et des administrations a été volontairement exclu de nos observations, faute de moyens suffisants). Le foisonnement, la diversité et la pertinence des actions de terrain que l’on peut observer constituent un vrai motif d’espoir. Leurs objectifs et la vision du monde qui les sous-tend (développement durable, sobriété, fraternité …) en font un acteur essentiel de la transformation.

Nos interrogations portent sur plusieurs points :

L’extrême atomisation, le manque de lisibilité et de coopération des organisations qui composent la société civile ;

Leur fragilité, face aux lourdes difficultés qu’elles doivent surmonter : manque de disponibilité citoyenne, problèmes de financement, de leadership, d’incompréhension entre générations. Ce qui justifie la volonté de notre collectif d’interpeler les pouvoirs publics sur « ce que devrait être une éducation populaire et citoyenne tout au long de la vie ».


Une tendance très présente à l’apolitisme, entendu non pas comme le refus de s’engager dans la vie partisane, qui n’est pas synonyme d’incivisme, mais comme un repli excessif sur l’individuel, le local et les microréalisations (« small is beautiful »), sans « pensée globale » et perspective de transformation de la société ;

L’initiative des Etats Généraux du Pouvoir Citoyen, dont le Pacte Civique est partie prenante, tente d’apporter une réponse à ces interrogations, en « mettant en scène et en chaîne » les multiples initiatives de la société civile, en favorisant le tissage de lien en son sein autour d’initiatives à soutenir et le dialogue avec la « société politique » au sein d’une société civique à promouvoir.

Les médias

Le rapport que nous présentons est globalement assez négatif à l’égard des grands médias. Il fustige la dictature de l’immédiat, le recours trop fréquent au sensationnel, une vision guerrière et dénigrante du débat politique, la priorité accordée aux nouvelles les plus déprimantes, le manque de couverture des initiatives prometteuses.

Cette sévérité ne veut pas dire condamnation, ou incompréhension, ou ignorance des contraintes, en particulier économiques, qui pèsent sur les journalistes et sur tous ceux qui fabriquent l’information. Elle est liée à l’importance décisive que revêtent les médias dans la vie de la société, le débat citoyen et l’évolution des mentalités.
Le thème des médias devient donc, pour l’OCQD, tout à fait prioritaire en 2014. Il est urgent d’entreprendre des observations citoyennes approfondies sur la manière dont les médias rendent compte de l’actualité, et d’entrer en dialogue avec les professionnels qui souhaitent que les « choses bougent » aussi dans le monde médiatique.

Conclusion

Le premier rapport annuel de l’Observatoire Citoyen de la Qualité Démocratique ne prétend ni à la perfection, ni à l’exhaustivité. Il souffre du manque de moyens dont a disposé l’équipe dans la phase de démarrage. Mais il donne une idée de la richesse de la démarche d’observation citoyenne. Complémentaire aux analyses des chercheurs et journalistes, fondée sur une approche concrète des hommes et des institutions, celle-ci permet de faire avancer notre connaissance des processus démocratiques, de faire connaître les méthodes qui marchent et les enjeux liés aux nouvelles technologies. Les nombreuses questions soulevées par ces observations sont de nature à enrichir le débat citoyen, et à promouvoir une nouvelle manière, démocratique et adaptée à notre temps, de faire de la politique.
Le collectif Pacte Civique ne revendique aucune exclusivité sur cette démarche d’observation. Il souhaite ouvrir l’Observatoire à tous ceux qui la jugent intéressante. Il est parfaitement ouvert sur le choix des observations à mener et sur les méthodes à mettre en œuvre. Bienvenue à celles et ceux qui, à titre individuel ou par le biais de collectifs existants, souhaitent participer à cette œuvre collective!

Cette note est parue sur le site du Pacte Civique

* Collectif Pacte Civique
250 Bis, Boulevard Saint Germain – 75007 Paris Tél. : 01 44 07 00 06 – contact@pacte-civique.org – http://www.pacte-civique.org

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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