Sans doute le stress n’a-t’il plus de secret pour vous. Ce sujet fait l’objet d’une multitude d’ouvrages et d’articles généralement de peu de secours pour les intéressés. Mais ici, je parle d’un stress dont on parle justement peu : le stress administratif.

Comme pour le stress au travail, son origine tient à la multiplication des sollicitations, des dérangements, des relances inutiles et tatillonnes engendrées par l’administration que le citoyen, le travailleur indépendant, l’entreprise doivent supporter. Ceci d’ailleurs en y passant un temps toujours trop long.

Le harcèlement administratif peut être indifféremment le fait d’un programme informatique mal ficelé ou le fait d’un employé qui « se couvre » exagérément ou qui, tout simplement, n’a rien d’autre à faire qu’inventer des procédures imaginatives. Chacun connaît la « pièce surprise… qui manque ». La vie, dite moderne, s’est accompagnée d’une formidable inflation des actes de gestion familiale et professionnelle les plus divers. Un véritable calvaire pour les familles souvent mal armées pour faire face à une administration toute puissante, pas toujours serviable. Et si, par chance, vous tombez sur un employé généreux de son temps, il devient vite incapable de vous aider car lui-même est encadré et enfermé dans des normes et des procédures contraignantes qui lui échappent généralement, où on ne lui laisse guère de liberté pour résoudre un problème qui est supposé, dans les sphères pensantes, avoir été prévu. Ce qui est faux, évidement.

Madame X, reçoit ces jours-ci une relance pour retard de paiement de sa tva, accompagné d’une amende de 60 euros. Problème, madame X était largement dans les temps pour son règlement. Oui, mais comment le prouver contre une administration supposée infaillible !? Sa chance sera de constater, sur son relevé de compte bancaire, que le chèque envoyé a été encaissé avant la date fatidique. Sinon, qu’aurait-elle pu faire ? Elle demande alors le remboursement de son amende. On lui refuse. Pourquoi ? Parce que l’amende n’était pas relative à son supposé retard – comme cela était écrit sur le papier de l’administration fiscale – mais parce qu’elle avait payé par chèque. « Pardon !? » « Oui, vous deviez payer par virement. » » Mais je n’ai vu cela nulle part et, de toute façon, je n’ai pas votre numéro de compte ! » « Il fallait nous le demander, madame. » Madame X, trouvera effectivement dans les papiers envoyés par l’administration fiscale, écrit en tout petit, qu’à compter d’une certaine somme, celle-ci exige un virement bancaire. Ce nouvel « IKEA administratif » : – faites le vous même – fonctionne aussi avec le pôle emploi. Le chef d’entreprise envoyait autrefois ses demandes à l’ANPE qui l’exploitait dans ses fiches. Avant l’ère du « do it yourself » (1) , le conseiller recevait et consultait la fiche qui pouvait lui permettre d’orienter un demandeur vers une offre d’emploi auquel il n’aurait pas songé. Maintenant, l’employeur s’inscrit dans une base de données et vogue la galère, son offre n’existera que s’il y a une demande du chômeur explicite et correctement ciblée par des mots clés, à défaut, elle ne viendra jamais sur le tapis, pardon… à l’écran que consulte le demandeur d’emploi ! Côté chômeur, ce n’est pas mieux. L’administration, n’informe pas toujours correctement, ni ne prévient des changements dans ses règles. Le naïf découvre à la dernière minute – que pour d’obscures raisons dont on s’est bien gardé de l’informer- qu’il a été rayé des listes des demandeurs d’emplois. Néanmoins, il comprend-le malheureux- qu’il ne touchera ses indemnités qu’après un âpre combat contre l’administration.

La Mise en demeure pour seul outil de communication

Là où d’autres pays laissent les citoyens s’organiser avec l’aide éventuelle de juges ou de médiateurs, la France n’a de cesse de multiplier des lois et des règles destinées à encadrer tous les actes les plus ordinaires de notre vie quotidienne. Ce qui en a fait un pays rêvé pour la chicane et le harassement administratif. Un journaliste parle lui, de fatigue administrative. Ce qui lui a été le plus pesant, c’est la pression administrative. « Les règles, les exigences de contrôle, les taux de TVA ou de charges sociales n’ont cessé de varier, de se complexifier, et d’augmenter, au fil des années. J’ai ainsi été soumis à plusieurs taux de TVA différents. La CRDS est venue s’ajouter à la CSG, avec des parties déductibles des impôts, mais qu’il faut calculer soi-même au prix de règles de trois compliquées, parce que l’URSSAF est incapable de fournir son propre calcul. La même URSSAF, récemment, m’envoie deux lettres pour me dire que j’ai trop payé et que je devrai déduire ce trop payé de mon prochain versement, ce que je fais, en prenant bien soin de joindre une photocopie des lettres. Inévitablement, 10 jours plus tard, je reçois une missive recommandée m’enjoignant de payer sans délai ce qu’on m’avait demandé de déduire, en y ajoutant des pénalités de retard. Nouvelles lettres, coups de fil (« Tous nos conseillers sont en ligne, veuillez rappeler ultérieurement… »), une matinée de perdue pour régler le problème, sans aucune sorte d’excuse pour l’erreur commise. »

L’Urssaf a délégué la gestion de dossiers à des représentations régionales qui n’écrivent ni ne disent, ni ne calculent la même chose. Et si vous avez, enfin, résolu le problème avec le siège local, c’est pour recevoir une mise en demeure du siège social. Même tabac avec le RSI (Régime Social des Indépendants) qui perd ses dossiers, fait des calculs erronés, s’y perd dans ses propres procédures pendant que le patient cours comme un rat de laboratoire dans les dédales d’une organisation plus soucieuse de fuir ses responsabilités que de suivre correctement ses adhérents. L’invention enfin des accueils téléphoniques automatique est un petit coup de génie. Neuf fois sur dix, et après vous être bien énervé sur la gestion des arborescences que vous ne comprenez pas une fois sur deux, vous êtes renvoyé en touche. Rebelote… si vous n’avez pas fracassé votre combiné, de rage de vous être fait encore avoir… et en payant en plus !

Une majorité des citoyens n’est pas armée pour résister aux difficultés, à la pression et à la complexité administrative. Le harcèlement administratif est une cause sérieuse et fréquente de l’abandon de certaines activités économiques où –pire – de leur entrée en clandestinité. De petits entrepreneurs se décident à réduire leurs activités pour limiter la pression de la paperasse. On décide de rester petit par crainte de la multiplication des actes administratifs et des risques de ne pas savoir s’en sortir. Parmi les exemples qui me viennent à l’esprit, il y a cette intervention récente de mon électricien. Il a, en quelques instants, échangé mon radiateur électrique contre l’ancien en panne et rajoutée une prise électrique. Une intervention qui a enclenché une liasse de demandes comme l’attestation de fin des travaux puis une seconde demandé par Bercy (accompagné de la notice d’explication pour la remplir). Le tout nécessitant une procédure d’aller retour entre l’artisan et moi, le client, qui sera ensuite complétée par l’envoi de ce papier de l’artisan au Ministère du Budget des comptes publics et – tenez vous bien –de la Réforme de l’État. Au fait vous ai-je dit le montant de la facture qui aura enclenché cette belle machinerie ? Non ? 300 euros principalement pour payer le radiateur ! Trois cents euros de chiffres d’affaires sur lesquels nous avons tous dépensé un temps inutile. Ne pensez vous pas que cette procédure imposée par la bureaucratie française aurait pu n’être obligatoire que pour des sommes plus conséquentes !?

Un État incapable de se réformer et de respecter ses engagements contractuels

Récemment, un artisan me faisait observer que Bercy avait unilatéralement réduit encore les possibilités de remboursement des frais kilométriques des voitures de sociétés, des travailleurs indépendants. Pour cela, l’administration fiscale a décidé de réduire son barème en refusant de prendre en compte les frais des voitures de plus de 7 cv. Les voitures de 9cv – la majorité- se voient désormais autorisées un remboursement au kilomètre qui passe de 0;64 euros à 0;587 euros le km. Oui, vous avez raison, ce sont de petites choses, rien de dramatique en soi. C’est la permanence de ce gymcana des lois sans cesse modifiées, remises en question qui devient lassant autant pour le contribuable que pour les fonctionnaires.

Malgré les efforts réels de l’administration, l’ensemble de ces phénomènes constitue un stress social qui se répercute sur l’humeur des citoyens, engendre la morosité et le pessimisme ; « à quoi bon ! » vous rétorque t-on !? La France reste un des pays les plus administrés au monde. Le World Economic Forum 2012 la classe au 129ème rang sur 144 en matière de complexité administrative . Toute erreur est sanctionnée, même si elle est le fait de la dite administration. Faire rectifier une erreur, corriger une injustice devient un casse tête pour le citoyen. Les plus chanceux, rencontrent des fonctionnaires résistants qui, conscients de l’incapacité de leurs administrations à se réformer, se mouillent en oubliant ou en falsifiant volontairement des informations afin de rectifier le caractère dolosif d’une procédure mal fichue. Cette tyrannie du tiers état administratif est à l’origine d’un stress social que partagent – ce n’est pas le moins dommageable – les agents des différentes administrations, à la fois « esclaves et bourreaux » d’un système parfois inhumain.

Ce n’est un secret pour personne, la France est une championne de la création des textes de lois. Plus de 400 000 textes règlementaires qui sont autant de pièges à fric et à délais décourageants que les plus malins utilisent à leur profit, à l’exemple du « chantage au blocage des chantiers » de constructions. Ils occupent la majorité du temps des députés et des sénateurs. Sans doute une façon de les détourner de l’essentiel, à savoir de préserver la République de certaines dérives dues à une administration devenue toute puissante. Les français n’y ont sans doute pas prêté attention mais le Conseil Constitutionnel vient de légitimer, le 29 décembre dernier, le droit pour l’État d’inventer des lois à effets rétroactifs ! « Quand cela est justifiée par un motif d’intérêt général suffisant » . Nous voilà pas bien loin d’un régime soviet caractérisé par la toute puissance publique, aux ordres d’une oligarchie de hauts fonctionnaires. En d’autres termes, tout citoyen français peut se retrouver dans l’embarras ou hors la loi par le fait d’une loi rétroactive qu’il n’a pas su anticiper.

1. « Faite le vous-même »

2. Les Echos du19 février 2013

3. http://institutdeslibertes.org/letat-de-droit-mal-defendu

* Denis Ettighoffer est auteur de « Syndrome de Chronos » et « Du Mal travailler au mal vivre » (Dunod).

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

Catégorie(s)

Le Magazine

Etiquette(s)