Vieux nantis contre jeunes exclus, enfants de la prospérité contre enfants de la crise, dette publique, dégâts environnementaux, vieillissement de la population … autant de signes qui semblent annonciateurs d’une « guerre des âges ». Mais c’est une « drôle de guerre » en vérité : toujours annoncée, jamais déclarée ! Plutôt que de prophétiser la fin des solidarités intergénérationnelles, essayons de comprendre les raisons de leur poursuite, de leur mutation, et – pourquoi pas ? – les conditions de leur renforcement.

Réfléchir et enquêter sur les métamorphoses de l’intergénérationnel, telle est la proposition faite par le Campus Lab, un Centre de recherche/action dirigée par Juliette Weber et mis en place par la MACIF, la MAIF et à l’Assurance mutuelle des Motards. « Plutôt que de fantasmer sur des oppositions théoriques, nous vous proposons d’explorer cette vision positive (mais non idyllique) des liens concrets entre générations », expliquent les initiateurs de cette expérience. « Menons ensemble cette enquête sur les nouveaux lieux du lien à travers toute la France. Les récentes recherches menées sur le lien intergénérationnel montrent qu’une solidarité intergénérationnelle existe, mais qu’elle se recompose. La mise au jour de cette métamorphose des solidarités invite à aller observer du côté des évolutions sociologiques en vue d’identifier comment la société se transforme » précise le Campus Lab.
Où se trouvent les zones de fragilité des individus ? Par quelle(s) solidarité(s) sont-ils maintenus aux autres ? »

Une enquête itinérante, une méthode de recherche action originale

C’est une première étape et c’est une bouffée d’air. L’enquête itinérante, lancée par le Campus Lab, qui a été inaugurée à Rennes le 20 novembre 2013, sur le thème spécifique de « l’habitat intergénérationnel », a montré que le lien entre générations est une question féconde et très mobilisatrice, bien qu’elle ne fasse pas partie de l’agenda des questions sociétales développés généralement par les experts et les médias.

Le parti pris du Campus Lab est de réfléchir à l’intergénérationnel dans les lieux de sa pratique, en réunissant dans un même débat les différents acteurs (associatifs, économiques, administratifs, politiques, …). D’où la préconisation d’organiser un cycle de rencontres/débats dans plusieurs villes de France.
La méthode de recherche/action adoptée par le Campus Lab est simple. Elle associe :

 d’une part, des expériences concrètes (à Rennes, sur l’espace « Simone de Beauvoir », une réalisation urbaine reposant sur le lien entre génération, mise en place par la Ville de Rennes, soucieuse de lutter contre l’isolement des personnes fragilisées socialement ou médicalement..),

 d’autre part l’interprétation et l’analyse ( lors d’une conférence débat avec le sociologue Serge Guérin, le philosophe Pierre-Henri Tavoillot et Patrick Charrier, directeur général d’Espacil Habitat qui a été le maitre d’œuvre de la transformation de la résidence « Simone de Beauvoir ».

 enfin l’échange interactif, au cours d’un débat qui a rassemblé 500 personnes, des acteurs clefs des pouvoirs publics, des sociétaires, des associations, ainsi que des chercheurs.
La démarche, dans sa globalité, a ainsi permis de réunir des points de vue sur l’intergénérationnel qui ont rarement l’occasion de s’exprimer ensemble.

L’intergénérationnel fait lien

Pour le philosophe Pierre-Henri Tavoillot, l’un des artisans de cette initiative, l’affluence du public sur cette thématique, à Rennes, est en soi un signe et déjà un résultat sur la qualité du lien intergénérationnel : « l’intergénérationnel « fait lien » : en parler, c’est déjà le tisser, le réfléchir et le renforcer. Voilà un sujet qui intéresse et mobilise. On apprécie de partager ses expériences en la matière sans inhibitions et quelles que soient les catégories socio-professionnels ou les niveaux culturels. C’est un thème fédérateur de pensée et d’action qui transcende les fractures de notre société ». Il fait donc aussi lien entre les différentes sphères de l’existence individuelle. « La thématique relie des expériences personnelles que la vie contemporaine a souvent tendance à séparer et à fragmenter : le professionnel, le familial, le loisir, … l’intergénérationnel »

Un espace emblématique du lien intergénérationnel ; la résidence Simone de Beauvoir

A l’occasion d’un déjeuner réunissant dans le restaurant associatif de l’espace « Simone de Beauvoir » une soixantaine de personnes concernées par cette question, un tour de table a permis de cerner l’idée que se faisaient les participants de l’intergénérationnel. Ces derniers ont spontanément mentionné l’aide au parent, l’éducation des enfants, les transmissions de compétences (notamment professionnelles), l’engagement associatif, comme autant d’expériences partagées. « On parle d’ailleurs plus volontiers des situations de lien dans lesquels on est moteur et acteur, plutôt que de celles dont on est « bénéficiaires » font remarquer les membres du Campus Lab.

Danielle Schwartz, chercheur au sein du Campus Lab, raconte : « les habitants que nous avons rencontrés ont choisi de vivre au sein de l’espace « Simone de Beauvoir » car ils aspirent à cette nouvelle forme de vie sociale plus solidaire entre voisins. D’autres sont venus à la demande du gestionnaire du parc de logement social, en raison de la fermeture définitive de leur immeuble, et ont découvert le projet . Tous ont fait une promotion enthousiaste de la qualité de vie dans la Résidence. Ils nous ont raconté comment ils avaient inventé d’autres modes de rencontres intergénérationnelles, autour de la transmission des savoir-faire, notamment des dîners préparés par une personne retraitée qui invite un étudiant de la résidence accompagné d’un autre étudiant, qui entre ainsi dans le cercle relationnel de la Résidence, ou bien une soirée musicale de « slam », qui a permis la rencontre improbable et la naissance d’une amitié entre une vieille dame, aimant les mots et la poésie, avec un jeune « slameur ». Les activités ne s’arrêtent pas au seuil de la Résidence, elles s’ouvrent aux habitants du quartier, qui le souhaitent et qui sont accueillis chaque jeudi après-midi par les Résidents, dans le cadre convivial du restaurant « Fourchette & Compagnie », pour prendre un café, un thé, jouer à un jeu de société, engager une conversation, trouver une oreille attentive, se sentir moins seul ».

Pérenniser l’initiative vers d’autres secteurs

« L’attention portée aux propres situations individuelles, loin de signifier un rétrécissement, produit une ouverture à l’autre, une mobilisation collective et un dynamisme social. Il y a là une énergie sociétale et une attente politique encore largement sous-estimée », ajoute Pierre-Henri Tavoillot. Pour ce dernier, le dynamisme de l’intergénérationnel en France se joue dans ces quelques expériences emblématiques qui fonctionnent comme des pôles d’attraction exemplaires pour de nombreuses autres. L’exemple de Rennes en appelle donc d’autres, afin de disposer de plusieurs témoignages par secteur : culture, environnement, santé, sport, éducation et apprentissage, entreprise, citoyenneté, art.
« Ces emblèmes se situent souvent à des carrefours d’actions, mêlant — c’est leur originalité — le soutien politique, l’engagement associatif, l’aide d’entreprise et l’action d’individus clairement identifiés. Peut-on mettre au jour une « grammaire », une « recette », voire un « cahier des charges » de cette convergence ? Voilà un axe fort de réflexion future » précise Pierre-Henri Tavoillot.

Mais cela conduit aussi à s’interroger sur la pérennité de ces initiatives une fois l’enthousiasme « pionnier » dissipé, ajoute ce dernier. « Comment faire en sorte que ces initiatives puissent s’installer dans la durée de manière aussi certaine que possible ? Telle est une autre piste de réflexion à explorer : assiste-t-on à une forme de « réinstitutionnalisation » par le bas des liens intergénérationnels ? Ou va-t-on vers une recomposition permanente à la faveur d’initiatives toujours renouvelées ? »

La seconde étape de cette enquête itinérante devrait apporter des réponses à ces questions.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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