7 septembre 2012

Hâte-toi lentement

C’est la rentrée !
Non, rassurez-vous, chers lecteurs (je mets au pluriel, espérant que vous êtes plusieurs à me lire), je ne vais pas vous faire le coup de l’article de rentrée, type bilan et perspectives.

C’est juste un clin d’œil. Je suis toujours étonné du nombre de papiers qui commencent par ces trois mots, de manière très originale, en cette période de l’année. De quelle rentrée s’agit-il, si ce n’est de la rentrée des classes ?

Nous sommes à tel point façonnés par le système scolaire que nous continuons toute notre vie à vivre à son rythme, à nous référer à lui, même quand nous sommes parvenus à la retraite (et qu’il n’y a donc plus de notion de congés et de rentrée). La France est un pays de profs et une société scolaire modelée par l’Éducation nationale. Là gît peut-être une des raisons de la difficulté que nous avons à devenir « résolument modernes », selon la formule de Rimbaud (remarquez la référence scolaire !) ou, simplement, à nous adapter à une réalité sociétale qui n’est plus celle de Jules Ferry.

Versatilité

Mais, donc, c’est la rentrée, marronnier indépassable de notre temps et en particulier, celle des nouveaux président et gouvernement qui occupe la Une des journaux et nourrit les débats télévisés sur le thème : « Mais où sont-ils ? Que font-ils ? Quand vont-ils commencer à résoudre sérieusement les problèmes urgents de la France ? ».
Mon propos, je le rappelle, n’est pas, dans cette chronique, de juger de l’efficacité ou de l’inefficacité de ceux qui nous gouvernent, de prendre fait et cause pour ou contre eux, mais de m’interroger sur les mœurs de la gent journalistique. Et, une fois de plus, cette dernière ne laisse pas de me surprendre par sa versatilité.
Rappelez-vous, il n’y a pas si longtemps, au printemps dernier, avant l’élection présidentielle. L’agitation de Nicolas Sarkozy, ses effets d’annonce, sa stratégie d’occupation permanente du terrain médiatique, son omniprésence sur tous les événements, son opportunisme idéologique étaient quasi unanimement stigmatisés dans la presse (même parfois dans celle de droite) comme l’une des causes du désamour des Français pour ce président énervé (qu’ils avaient pourtant élu pour son activisme).

En face, François Hollande a donc pris le contrepied et joué la carte du président « normal », c’est-à-dire de celui qui ne serait pas sur tous les fronts, prendrait son temps pour décider en s’appuyant sur la concertation et travaillerait sur le long terme. Ce à quoi, il semblait vouloir se tenir.

Las, 3 mois sont à peine passés, les fameux 100 jours, qu’on lui reproche d’être celui qu’il a dit qu’il serait, un président arbitre, prenant un peu de hauteur et de distance, et qu’on dénonce son immobilisme (y compris la presse de gauche). Et déjà pointe, en filigrane, la nostalgie de l’impétuosité sarkoziste : avec lui, au moins ça bougeait dans tous les sens, même si, au final, on ne sait plus très bien dans quel sens ça a bougé.

Impuissance

Je lis, dans ce revirement, non pas tant le problème du gouvernement ou de son président, que celui de la presse. Ce qui la charmait avec l’ancien, c’est que tous les jours il y avait quelque chose à commenter, en bien ou en mal, et que son excitation même était sujet de débat. Ce qui l’angoisse, chez le nouveau, c’est son absence médiatique : pas d’annonce quotidienne de mesures aussi spectaculaires qu’inapplicables, pas de présence ubiquitaire sur tous les terrains. D’où le sentiment qu’il ne se passe rien, qu’il n’y a rien à se mettre sous la dent. Comme la presse a horreur du vide, elle fait de ce vide apparent son sujet : puisqu’il n’y a rien à dire, parlons abondamment de ce rien, traquons-en les causes et les conséquences.

Encore une fois, je ne préjuge pas des qualités ou des défauts de ce nouvel exécutif. Je pense seulement qu’il est encore un peu tôt pour se faire une opinion et qu’il faut lui laisser un peu de temps.
Mais c’est bien là la difficulté à laquelle il est confronté. Les médias – et nous avec – ont besoin qu’il se passe toujours quelque chose de « nouveau ». Ils se nourrissent de l’urgence, ils vivent sous le règne contemporain de l’hyperactivité et de la performance à court terme, du « tout, tout de suite ». Ne pas être en mesure de résoudre immédiatement tous les problèmes est un signe d’incompétence. Pire encore, reconnaître que tout changement prend du temps, c’est faire preuve d’impuissance.

A cet égard, il est vrai que François Hollande s’est lui-même piégé avec son slogan : « Le changement, c’est maintenant ». Il lui est malaisé aujourd’hui de réclamer de pouvoir agir dans la durée.
C’est pourtant, peut-être, ce dont nous aurions besoin pour transformer réellement notre pays : une action déterminée, mais plus calme, plus lente qui s’attaque à la racine des problèmes plutôt qu’à la surface des choses.

Se hâter lentement pour travailler en profondeur. Mais cela est-il encore possible dans nos impatientes démocraties médiatiques ?

Lire la chronique précédente

Au Roland de ma Ferrari !

Au sujet de Bruno Tilliette

Bruno Tilliette est journaliste indépendant, ancien rédacteur en chef des revues Autrement, Management et conjoncture sociale et Dirigeant. Il tient une chronique régulière sur place-publique.fr depuis plusieurs années. Il est également auteur ou coauteur d’une dizaine d’ouvrages portant sur la communication et le management en entreprise, l’éducation et la formation ainsi que sur l’évolution de la société française.

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