La France cultive une méfiance instinctive (contre le politique, les dirigeants économiques, les syndicats…). Une méfiance qui lui coûte quelques points de PIB.

« Carrément méchant, jamais content », et si la chanson de Souchon incarnait vraiment cet esprit gaulois ? Ce n’est pas nous qui l’affirmons, mais deux économistes, Yann Algan et Pierre Cahuc, deux chercheurs de Normale Sup’ dans un essai éclairant et disponible gratuitement en ligne : « La société de défiance ».

Les deux économistes avancent, batterie de statistiques à l’appui, que la France se distingue par sa méfiance instinctive : contre le politique, les dirigeants économiques, les syndicats… Seules les ONG et les professeurs s’en sortent à peu près, mais même ces autorités morales sont moins appréciées que dans nombre d’autres pays de l’OCDE.

Là où la thèse devient intéressante, c’est lorsqu’ils avancent que cette méfiance généralisée a un coût de l’ordre de quelques points de PIB. Pas confiance, pas de financement, d’embauche, de location d’appartement à celui qui n’a pas le dossier absolument parfait. Etonnant, non ? Ces thèses ne sont toujours pas « mainstream », mais suffisamment pour avoir fait avancer la cause des indicateurs alternatifs. Ne plus mesurer que le sacro-saint PIB, mais prendre en compte l’utilité sociale, voire le bonheur comme le promeut le nouveau think tank, la Fabrique Spinoza.

Toutes ces initiatives nous renvoient à un débat extrêmement ancien que nous avons tous connu en arrivant devant un verre que nous désirons boire et dont nous constatons qu’il contient exactement la moitié de sa capacité maximale. D’où le dilemme : est-il déjà sur la fin ou reste-il encore une moitié à boire ?

La réponse a évidemment plusieurs entrées. Laissons de côté les réponses individuelles, selon lesquelles il y aurait des optimistes et des pessimistes et que chacun avance selon son petit bonhomme de chemin. Les réponses collectives sont plus éclairantes, au premier rang desquelles l’éducation. Hélas, le système éducatif français est sans conteste une machine à former des pessimistes : un élève qui intègre l’ESSEC ne jubile pas d’arriver dans la seconde école de commerce, mais peste d’avoir raté HEC et tout est à l’avenant… Enfin, il y a ce qui nous surplombe et nous façonne, Ce qui nous pousse à modifier notre perception des choses : les médias.

Problème mondial, les médias se font le miroir déformant de ces turpitudes mondiales. Imaginez que les nouvelles contenues dans les journaux, notamment sur les chaînes d’info en continu à la télévision, reflètent véritablement l’état de ce qui se passe dans le monde et les dépressions nerveuses généralisées seraient une perspective inéluctable. On parle bien trop souvent des trains qui arrivent en retard, des avions qui s’écrasent, des licenciements, et des plans sociaux.

Les médias français ne font pas exception : en ce moment, les plans sociaux accaparent tout l’espace médiatique dévolu à l’emploi. On peut le comprendre, le chômage augmente continuellement depuis des mois et globalement, depuis 2008.

Néanmoins, si la perception des médias reflétait notre marché du travail, nous serions à 80% de chômeurs, ce qui n’est tout de même pas le cas. Et c’est bien dommage que l’on ne parle pas plus de toutes les pépites françaises, toutes les gazelles, toutes les petites entreprises (ou moins petites d’ailleurs) qui recrutent, font confiance et vont de l’avant. Cela commence, un peu à venir. Nombre de dirigeants de médias ont bien senti le décalage.

Peu à peu, les médias traditionnels ouvrent un peu plus leurs colonnes, ondes et antennes aux bonnes nouvelles. Mais cela reste marginal, et pour cause : le lien entre efficacité commerciale et infos catastrophistes est trop affirmé et ancré dans les esprits de tous les directeurs pour envisager un vrai virage à 180°, 90°, voire même 45°. Là où le changement est plus patent, en revanche, c’est du côté d’Internet où de nouveaux acteurs émergent avec comme objectif de faire la promotion des initiatives positives, Christian de Boisredon avec reporters d’ espoirs fut il y a quelques années le précurseur, mais aujourd’hui la relève arrive avec Shamengo qui a déjà filmé 1000 pionniers d’un nouveau monde ou plus récemment Sparknews qui affiche clairement la volonté d’être une nouvelle agence d’information alternative.

Ces défricheurs voyant le verre à moitié plein ne changent pas le contenu du verre, mais représentent sans doute une marche à suivre. En effet, la conclusion d’un sujet aussi insoluble en apparence physique, ne peut être laissée qu’à un sage. Le philosophe de l’occasion est Kofi Annan. L’ancien secrétaire général de l’ONU avait une excellente formule pour résumer notre pensée : « face à la crise, il y eut deux visions du monde : celle des optimistes et celle des pessimistes. Ils se sont tous les deux trompés. J’ai la faiblesse de croire que les optimistes ont simplement vécu plus heureux ».

Au sujet de Muriel Jaouën

Journaliste de formation (ESJ Lille, 1990), Muriel Jaouën publie régulièrement dans le magazine de Place-Publique. Ses spécialités : économie sociale, développement durable, marketing, communication, organisations, management.

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ECONOMIE

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