Triple 0, telle est la notation que l’on devrait accorder aux dirigeants qui ont mené l’Europe à l’impotence. Triple 0 à ces décideurs qui décident de rien du tout sinon de plonger les citoyens dans un climat anxiogène. Triple 0 à ces agences de notation qui prétendent détenir la vérité de l’économie.

Place publique n’a pas pour habitude de céder au pessimisme.

Pourtant, ce qui s’est passé en 2011 sur le terrain de l’économie ne laisse présager rien de bon pour l’année à venir. Et notre confiance en l’Europe du citoyen a pris de sérieux coups dans l’aile depuis que, de sommets en sommets, les dirigeants de quelques pays n’en font qu’à leur tête. L’union européenne dont la vision était d’éradiquer toute tentative de guerre et de rassembler les peuples est en train d’oublier ses promesses, par la faute de quelques leaders nationaux qui ne tiennent plus compte ni des citoyens, ni des élus du Parlement européen.

On ne compte plus les sommets européens de la dernière chance, ni le nombre de fois où l’on parie sur la prochaine chute du triple A de tel ou tel pays. Ni l’inflation de communiqués d’autosatisfaction du gouvernement français en particulier, sur les capacités du couple franco allemand à surmonter les difficultés. Ni la quantité de fois où l’on proclame la fin de l’euro. Et tout ça avec une grande légèreté d’explications. « Chez ces gens-là, Monsieur, on ne parle pas, on compte », chante Jacques Brel. Au royaume des chiffres, les experts sont aveugles.
Aujourd’hui, c’est fait, la France qui s’est servi du Triple A comme moteur de son dynamisme s’est vue dégradée. En guise de meilleurs voeux, on ne fait pas mieux.

Mais puisque de comptes il s’agit, allons jusqu’au bout.

Si l’on sait calculer, pas besoin d’aller très loin. Quatre personnes font aujourd’hui la pluie et le beau temps en Europe. Les deux premiers sont seuls devant leur clavier à prétendre noter les pays. Les seconds sont seuls à vouloir décider du sort de l’Europe. Les deux premiers sont des experts comptables de Standard and Poor’s. Les seconds sont les chefs de gouvernement de l’Allemagne et de la France. Cela semble incroyable mais c’est pourtant vrai. D’un côté, deux types devant leurs claviers, installés dans leur bureau et de l’autre côté, un couple qui se déteste s’improvisent prévisionnistes en chef et déterminent par leurs bulletins réguliers le sort de 27 pays, 500 millions d’européens, et quelques 500 députés de l’UE.

Les deux types devant leurs claviers s’appellent Moritz Kramer et Marko Mrsnik. L’un est allemand, l’autre est slovène. Ils appartiennent à l’agence Standard and Poor’s. Eux seuls ont le pouvoir dans le plus grand secret de surveiller et d’évaluer la dette de la France et de la dégrader. Deux hommes seuls sont ainsi en mesure de dynamiter la campagne électorale en France sur des évaluations dont on sait qu’elles ne sont pas fiables. Oui, cela peut paraître irréel mais c’est comme ça, deux types arrivent à définir la politique de la France par la notation qu’ils peuvent lui accorder et ainsi à crisper le relationnel franco-allemand, l’avenir de l’euro, et par extension celui de l’Europe toute entière. En vendant leurs informations, en estimant la solvabilité des états, ces deux hommes qui n’ont de compte à rendre à personne, sont en train de provoquer les catastrophes qu’ils annoncent. En dégradant la notation des États par un jeu d’évaluation empreint d’une grande subjectivité, quelques hommes seulement dans le monde détiennent le pouvoir d’ accroître le taux d’intérêt exigé par les acteurs financiers. Dans le langage courant, on appelle cela « des prophéties autoréalisatrices » !

Ces experts ont beaucoup de pouvoir mais pas forcément les compétences requises.

Voyons de plus près leur bilan. Standard&Poor’s, Fitch et Moody’s n’avaient pas vu venir la crise des subprimes. Ces mêmes agences ont aussi en toute impunité accordé de bonnes notes à des fonds qui se sont révélés extrêmement toxiques. Elles n’ont pas hésité à certifier des comptes mauvais. Enron, Lehman Brothers, autant de scandales qu’elles ont laissé passé. Et il y a deux ans quand il était encore temps de prendre des décisions pour juguler la crise grecque, ces experts en notation n’avaient rien dit non plus. Le bilan de leur incompétence révèle la nullité de ces officines, ou plutôt, on peut se poser la question, la force de leur cynisme.

Rendez-vous compte, trois agences de notation livrées à elles-mêmes se partagent à 90% le marché mondial de la notation.

Quelques agences toutes puissantes, tapies dans l’ombre,engrangent ainsi des profits considérables, payés au prorata des affaires que font leurs clients.
En réalité, ces agences ne sont pas indépendantes. On peut s’interroger : ces notations ne sont-elles pas purement politiques ? Sinon comment expliquer que certains pays européens , avec de meilleurs scores économiques obtiennent une notation inférieure à des pays anglosaxons qui ont des dettes plus élevées. Et certains experts de se demander si le but n’est pas, au fond, de couler l’euro, cette monnaie qui les dérange. D’autres vont plus loin : tout cet embrouillamini traduit la revanche des marchés spéculatifs et des investisseurs supranationaux qui, parce qu’ils se sentent menacés par les projets de taxation de transaction financière et de lutte contre la spéculation, influent sur la notation. Arrogance, incompétence, cynisme… après tant d’erreurs, nos dirigeants et nos experts continuent à leur faire confiance. Notre premier ministre en tête qui conseille à François Hollande de soumettre son programme à Standard and Poor’s. Comme si cette officine était « La » vérité.

Si le thermomètre est faussé, ne faut-il pas le changer ?

Cela suffit! Comment nos responsables politiques peuvent-ils se laisser abuser par ce jeu de dupes ? Quand sonnera-t-on la fin de la récréation, récréation qui transforme nos dirigeants en écoliers apeurés, craignant la mauvaise note et le piquet ?
Une chose est sûre, depuis deux ans, le couple franco-allemand « Merkozy » s’est laissé dupé en conduisant la politique que les marchés financiers, aussi irrationnels et aveugles soient-ils, leur demandent de mener. Au risque de créer la désunion européenne. Le couple Merkozy a montré son incapacité à gérer une crise des dettes publiques pourtant bien moins virulente sur le papier que celle des Etats-Unis. Globalement en effet, la demande n’est aucunement excessive en Europe. La situation des finances publiques est meilleure que celle des États-Unis ou de la Grande-Bretagne, laissant des marges de manœuvre budgétaire. A la différence de la Grande Bretagne et des Etats-Unis qui, grâce à la Fed et à la banque d’Angleterre, peuvent intervenir et racheter de la dette, l’Europe ne le peut pas, expliquent, dans leur manifeste le groupe « les économistes atterrés ». Depuis Maastricht, les Banques centrales ont interdiction de financer directement les États, qui doivent trouver prêteurs sur les marchés financiers. Résultat de ce choix doctrinaire, la Banque centrale européenne n’a ainsi pas le droit de souscrire directement aux émissions d’obligations publiques des États européens. Privés de la garantie de pouvoir toujours se financer auprès de la Banque Centrale, les pays du Sud ont ainsi été les victimes d’attaques spéculatives. Et le couple franco-allemand n’a rien fait pour assouplir le système afin que les pays en difficulté puissent tenter de s’en sortir. Il fallait punir !


Pour accompagner cette répression financière, le couple Merkozy n’a qu’un seul crédo : l’austérité généralisée
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Plus dure sera la chute ! Interrogez les européens, les parlementaires, mais aussi les responsables politiques des autres pays, ils vous le diront tous. C’est le couple franco-allemand qui nous a mis dans cette impasse. Et maintenant, par une sorte de chantage moral exercé par ce couple improbable dont les sentiments sont animés par une méfiance réciproque, les peuples et les citoyens sont obligés de suivre. Le Parlement européen est réduit au silence. Le président du Conseil Européen, Van Rompuy n’existe pratiquement pas. Pourtant, il a fait des propositions (pas si sottes d’ailleurs) mais elles ont été vite rejetées d’un revers de main. Plus rien de fédéral ne fonctionne dans l’UE. C’est bien l’Europe des nations qui prend le dessus, l’Europe de deux nations. Nous risquons de payer très cher cette attitude autoritaire. Surtout qu’elle n’a jusqu’à présent rien produit de valable. Mais surtout, force est de constater qu’elle est incapable de changer de cap et de désigner l’avenir. Comme le déplore le groupe des « économistes atterrés », le logiciel néolibéral est toujours le seul reconnu comme légitime, malgré ses échecs patents. La place centrale occupée par les marchés financiers est une source permanente d’instabilité, comme le montre clairement la série ininterrompue de bulles que nous avons connue depuis 20 ans : Japon, Asie du Sud-Est, Internet, Marchés émergents, Immobilier, Titrisation.

Sans doute cette année 2012 sera-t-elle celle des impératifs économiques !

Formons des vœux pour que la période qui s’annonce soit celle de la transition. Que la raison européenne revienne. La priorité, c’est de s’occuper des peuples et de redonner la confiance. Les politiques d’austérité budgétaire conçues comme une doctrine n’apportent rien de bon, si ce n’est le chômage et le recul de l’activité à court terme, sans parler à plus long terme de la récession. Exigeons de nos dirigeants qu’ils cessent d’être des enfants, à qui des officines sans contrôle distribuent des bons ou des mauvais points. Qu’ils unissent leurs volontés pour que ces agences soient règlementées et que les notes accordées résultent d’un calcul transparent.

Exigeons d’eux qu’ils désignent l’avenir, qu’ils rassemblent les Européens autour de leurs valeurs communes, et engagent les réformes qu’ils ont promises sur la régulation des marchés, sur la taxation des flux financiers, sur l’interdiction des paradis fiscaux et de toutes les niches. Demandons à nos hommes politiques, comme le fait le groupe des « économistes atterrés » de redéfinir une politique industrielle en limitant les transactions financières à celles répondant aux besoins de l’économie réelle. Demandons leur de lancer un plan de souscription publique qui permette la transition écologique de l’économie européenne, une politique des entreprises qui soit fondée sur les vertus de l’économie sociale et solidaire. Demandons leur aussi de mettre en place une fiscalité européenne (taxe carbone, impôt sur les bénéfices, …) et un véritable budget européen pour aider à la convergence des économies et tendre vers une égalisation des conditions d’accès aux services publics et sociaux dans les divers États membres sur la base des meilleures pratiques.

Exigeons de nos dirigeants à venir qu’ils cessent de perdre leur temps à compter en aveugle mais qu’ils redessinent les chemins de la connaissance et de la croissance.

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Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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