En quelques années les réseaux féminins ont explosé en France et se comptent par centaines. Leur but, prendre le pouvoir que les hommes ne leur cèdent pas. Retour sur ce phénomène à l’occasion du premier Forum de la Mixité du 16 décembre 2011.

C’est moi qui l’apprends à un cadre sup’ du Crédit Agricole, étonné, éberlué même. Il ignorait l’existence d’un réseau de femmes au sein de sa banque. Et pourtant, Potenti’Elles, créé en 2008, compte à ce jour trois cents membres, très actives. Il ne savait pas plus le réseau est lui-même fédéré depuis le mois de mars dernier au sein de Financi’Elles qui rassemble huit réseaux féminins de la banque, de la finance et de l’assurance, soit plus d’un millier de femmes un peu, beaucoup, extrêmement puissantes.

Leur objectif : percer le plafond de verre d’un milieu féminisé à l’exception du dernier étage, celui des fonctions exécutives.

Leur méthode pour que ça change : le « réseautage » l’autre mamelle – avec le diplôme – de la réussite à la française. Aux diplômes, à l’ambition et à la compétence, ces femmes ajoutent désormais la formation, le partage d’information, l’entraide, le mentoring.

Comme ces messieurs se cooptent depuis toujours autour d’un cigare, d’un putt ou d’un tablier de maçon, ces dames se boostent désormais au sein de Inter’Elles, Supplément d’Elles, Grandes Ecoles au féminin, BPW ou EPWN, pour ne citer que quelqu’un uns de ces fameux réseaux.

A l’exception de quelques contrées économiques reculées, tous les secteurs de la vie publique, économique et – un peu – culturelle sont touchés par le phénomène : Industrie, services, nouvelles technologies, milieux juridiques et des affaires, universités, grandes écoles … Même la haute fonction publique !

« En 2006, on avait identifié deux cents réseaux de femmes actifs, aujourd’hui, on en suit plus du double, assure Emmanuelle Gagliardi, auteur d’un livre sur ces réseaux en 2007 (épuisé), rédactrice en chef du magazine de la réussite au féminin L/ONTOP et de Connecting Women, organisateur du premier Forum de la Mixité, le 16 décembre à Paris.

Mille deux cents visiteurs inscrits, quatre-vingt exposants institutionnels, entreprises, écoles, universités, consultants, une centaine de réseaux engagés sur la mixité… Un « networking » géant proposé aux femmes cadres, dirigeantes, entrepreneures et aussi hommes investis sur le sujet. « La réaction a été incroyable, assure Emmanuelle. Gagliardi, les stands, les ateliers, tout est archi-complet. La demande est énorme. »

L’idée d’un tel forum lui est venue il y a une dizaine d’années quand elle vivait encore aux Etats-Unis. « J’ai vu la solidarité des femmes là-bas, l’importance des réseaux pour la promotion des femmes dans les entreprises mais pas seulement, même au niveau des quartiers. » De retour en France, elle a eu l’envie d’importer le modèle.


Tout était à faire.

L’époque a fini par s’y prêter. Vincent Nouzille, journaliste, spécialiste des réseaux (La république du copinage, ed. Fayard, La France des réseaux in www.lafrancedesreseaux.com ) s’avoue impressionné par la vitalité, le dynamisme de ces réseaux. « Ces femmes ont tout simplement compris que les élites françaises sont trop pétries d’habitudes pour changer et partager le pouvoir. Si les femmes veulent être à la table, elles doivent s’imposer. Et elles ont visiblement décidé de le faire même si la manière reste policée. »

Détermination et bonnes manières, cela résume assez bien l’esprit d’HEC au Féminin qui fêtait au début du mois son 10ème anniversaire dans un salon de la Bourse, à Paris, dans une ambiance chaleureuse et décontractée, apanage féminin.

« HEC au féminin n’est pas une association à part, précise d’emblée Sophie Reynal, la présidente, elle fait partie de l’association des anciens d’ HEC. Simplement nous avons constaté que les femmes avaient besoin de quelque chose en plus, de solidarité féminine, d’outils pour accélérer leur carrière. » Les douze mille femmes diplômées d’HEC en font automatiquement partie et sont conviées aux quelque soixante événements organisés annuellement: conférences, ateliers, coaching, le prix Trajectoire, commissions thématiques…

« Les temps ont vraiment changé : avant on avait l’impression que pour être dirigeant du CAC 40 il fallait forcément être un costume-cravate. Maintenant on sait qu’il n’est pas nécessaire de se transformer en bonhomme pour réussir. » Pas nécessaire, mais toujours préférable : 86% des directions du CAC 40 sont des costumes-cravate, même si de plus en plus d’entre eux sont issus de HEC…

En dix ans, les réseaux féminins ont évolué.

Durant, les premières années, les femmes semblaient vouloir avant tout partager leurs expériences. « Elles ont tendance à chercher des oreilles compatissantes où déverser leurs plainte, déplorait en 2005 à l’Express Nicole Rosa, fondatrice de La Compagnie des femmes,  elles ont du mal à passer à l’action ».

Les temps ont changé, les réseaux aujourd’hui misent sur l’utilitaire, l’opérationnel. Les femmes veulent du concret pour avancer. « Elles affluent dans nos ateliers de formations sur le management ou la confiance en soi. Elles cherchent aussi à faire avancer un meilleur équilibre vie privée/vie professionnelle», confie Cristina Kawamoto, chef de projet Diversité chez Renault et co-animatrice du réseau Women@Renault créé en 2010 sur encouragement de la direction.


Nombre d’ entreprises sont demandeuses de davantage de mixité.

Certaines suscitent elles-mêmes la création de réseaux féminins, comme cela a été le cas chez France Télécom, IBM, Hewlett-Packard, General Electric Medical Systems et d’Essilor, récemment rejoints par l’Agence spatiale européenne.

Vus d’en haut, ces réseaux sont considérés comme un bon outil pour moderniser leur management ou plus prosaïquement pour remplir les obligations légales (loi sur la parité de 2006) ou les accords Egalité qu’elles ont signés. « Elles cherchent des moyens de mettre en places ces politiques de mixité, assure Emmanuelle. Gagliardi, certaines ont envoyé jusqu’à 50 collaborateurs à notre forum pour que cette idée de la mixité ne reste pas l’apanage de un ou deux responsables RH mais qu’elle essaime dans l’entreprise. » 

Convaincre au sein de l’entreprise est toute une affaire.

Dans un débat du Women’s forum,  l’an dernier, Michel Landel, P-DG de Sodexo avait lâché, un peu dépité : « La mixité c’est une grande cause mais c’est épuisant, l’inertie peut avoir raison des plus grandes résolutions.»

Mais que valent les bonnes résolutions des entreprises sans l’impulsion de la puissance publique dans un pays comme la France ? Pas grand chose, estime Olga Trostianski, présidente de La Clef (réseau de lobbying féminin en Europe) et co-fondatrice du Laboratoire l’Egalité. Elle compte bien profiter de la campagne présidentielle pour mettre le sujet de l’égalité homme/femme au cœur des préoccupations publiques.

La loi Zimmerman/Copé (2010) instaurant 40% de femmes dans les conseils d’administration des grandes entreprises d’ici 6 ans a fait passer le pourcentage de femmes de 10 à 15% pour la seule première année. Des femmes qu’on disait impossibles à trouver…

Fort de telles expériences, le Laboratoire a élaboré un Pacte qu’il compte faire signer aux candidats à l’Elysée. « Nous centrons le projet sur l’égalité professionnelle car aujourd’hui, c’est l’enjeu principal », explique Olga Trostianski, également adjointe au maire de Paris.

Au menu : parité, égalité salariale, implication des hommes dans la vie familiale, et culture de l’égalité, autrement dit lutte contre les stéréotypes. Dans ce domaine, la tâche est immense. Un récent sondage publié par Financi’Elles révèle que 64% des hommes estiment que la situation professionnelle des femmes s’est améliorée alors que 70% des femmes pensent que non. Et pour les hommes les faibles progrès viendraient du manque de volonté des femmes d’accéder au pouvoir…

A cause ou non de tels stéréotypes, la réalité du monde du travail demeure tristement hostile aux femmes :

 écart persistant de 17% des salaires entre hommes et femmes,

 plafond de 10% de femmes dans les comités exécutifs des grandes entreprises.

Et les témoignages sont innombrables de ces femmes cadres qui racontent assurer des fonctions sans en avoir le titre ni le salaire, des stéréotypes qui leur rendent la vie impossible, de la culture du « présentéïsme » hostile à toute vie privée, de leur difficulté à afficher une ambition tout en ayant des enfants…

Doit-on penser comme l’écrit le psychiatre Christophe André: « Le paradigme du monde de l’entreprise est organisé sur la base de méthodes conçues selon des critères masculins et dépassés, il n’a jamais considéré avec sérieux l’arrivée des femmes. » (L’estime de soi », ed. O. Jacob) ? Vincent Nouzille pense que c’est encore le cas dans le cœur de la machine de l’élitisme français. « Le pouvoir est tenu par les Polytechnique-ENA-HEC, les X-mines et les inspecteurs des finances. Ils sont tous mâles et refusent l’accès à d’autres qu’eux, les femmes notamment.» Mais pour le journaliste, c’est une question de temps. « Ils seront contraints de changer.

L’arrivée des femmes est une vague, une vague irrépressible. » Combien de temps ça prendra ? « C’est ça la question. Trente ans ? Si les femmes continuent de s’activer ça ira plus vite. »

Références des ouvrages cités

 Vincent Nouzille : « La république du copinage », éditions. Fayard

 Christophe André : « L’estime de soi », éditions Odile Jacob