Entreprises virtuelles, Métaorganisations, Réseaux coopératifs… cet entretien avec Denis Ettighoffer apporte un éclairage sur ce que sera l’avenir des PME. Les chefs d’entreprises égo-centrés auront du mal à survivre.

En 1992, vous avez publié L’Entreprise virtuelle. Vous estimez que les propriétés de cette entreprise virtuelle doivent prévaloir dans le concept de l’entreprise étendue. Quelles sont ces propriétés ?

La notion d’entreprise virtuelle a donné lieu à de nombreuses définitions qui ont inspiré plusieurs autres concepts comme ceux de l’entreprise en réseau ou encore l’entreprise étendue. Pour moi l’entreprise étendue recouvre plutôt la mise en réseau de plusieurs établissements dans un même espace « juridique » (cas d’une multinationale). Quand à l’entreprise virtuelle, plutôt qu’une définition, j’ai voulu montrer à la fin des années 80, que l’entreprise classique tendait à devenir virtuelle grâce à une logique de coopération et à la mise en œuvre de trois nouvelles propriétés, fondement de la netéconomie. L’entreprise étendue ne fait allusion qu’à la première: la chute des frontières des espaces de travail traditionnels.

Cette première propriété de l’entreprise virtuelle tient à la « déspécialisation des espaces de travail » rendue possible par les télécommunications ; la seconde, « l’omniprésence » permet au capital de travailler 24 heures sur 24 : « on passe commande même durant le week-end ». Elle va de pair avec « une dérégulation des temps de travail » ; enfin « l’omniscience » autorise l’accès à des savoirs passés dans les réseaux d’ordinateurs ; ce qui facilite les échanges à moindre coût d’une somme colossale de connaissances. L’entreprise étendue tend à donner de la cohérence à son écosystème en capturant filiales et sous traitants dans un même réseau.

Dans « Mét@organisations, les nouveaux modèles d’entreprises créateurs de valeur », j’ai préféré lui donner le nom de « méta-réseau » et même dans certains cas de « méta-réseau intelligent » compte tenu de sa capacité à s’autoréguler et à coordonner automatiquement les actions de ses différents composants. Différemment, dans le cas d’une entreprise virtuelle nous trouvons des entreprises reliées en réseaux coopératifs. C’est à dire une chaîne d’entreprises qui compose un écosystème économique (cas d’un GIE ou des réseaux de sous et cotraitants) cohérent où chaque maillon –fut-il juridiquement indépendant – apporte son expertise et ses ressources à l’ensemble ainsi composé indépendamment de sa taille, d’où son importance pour l’avenir des PME.

Quel est le principal intérêt d’une PME à devenir le maillon d’une entreprise en réseaux ?

D’ici à quelques années, à la place d’une économie concentrée dans d’importantes sociétés représentant un pays donné, nous trouverons un ensemble fédéré de PME internationales très spécialisées. Parfois issues de l’éclatement volontaire de grands groupes, tournées vers le marché, elles seront capables d’une forte interactivité et multiplieront les occasions d’utiliser les « networks » pour développer leurs affaires. Dans cette perspective, les réseaux électroniques deviennent non plus de simples instruments de productivité spécifiques à une ou plusieurs entreprises, mais aussi un levier qui favorise les coopérations inter-entreprises, le développement de leurs affaires, donc des emplois.

L’avenir des PME passe par leur capacité à sceller des alliances qui aboutissent à un partage à la fois de leurs moyens mais aussi de leur capital immatériel que sont leur matière grise et leurs expertises. On a découvert, avec la netéconomie que les entreprises en réseaux créent ensemble plus de valeur ajoutée qu’une entreprise isolée d’une taille comparable à l’ensemble. Les grappes d’entreprises en réseau génèrent deux fois plus de marge, créent deux fois plus d’emplois grâce au partage des spécialités, des expertises de chacun des maillons qui les composent. Aussi, l’avenir des PME passe par leur capacité à sceller des alliances leurs permettant de partager des savoirs et des ressources tout en économisant du capital (des investissements en propre).

Malheur à la PME qui tient à s’isoler ! Elles ont intérêt à s’allier afin de constituer un écosystème économique et social en multipliant les partenariats. Une démarche largement engagée par des grandes entreprises qui ont été jusqu’à créer une direction des partenariats dont les directeurs sont aujourd’hui regroupées dans l’Adalec, (Association Nationale des Directeurs des Partenariats). La maxime « « l’union fait la force » n’a jamais eu autant d’importance. Les patrons de PME qui ont une vision trop égocentrique de leur souveraineté d’action auront du mal à survivre dans de telles modes d’organisations en réseaux. On ne peut imaginer que les PME françaises pourront rester compétitives uniquement en tirant sur leurs coûts et leurs ressources propres. Ils leur faudra l’être plus par l’innovation et l’échange d’idées nouvelles, voilà pourquoi je crois beaucoup au développement de réseaux d’experts inter-PME.

La question à se poser est la suivante : en quoi mes compétences sont-elles susceptibles d’intéresser d’autres entreprises, d’autres écosystèmes que le mien ? Car, il leur faut aussi s’ouvrir à de multiples collaborations (universités, centres de recherches, entreprises installées à l’étranger…) constituant autant de pôles de compétences entrant en synergie les uns avec les autres. Sur ce terrain, les PME les plus agiles ont une très bonne carte à jouer.

Jadis on s’est beaucoup gaussé de l’intervention de l’Etat afin d’agir sur le « mécano industriel » français. Même les Anglais, que l’on croît peu interventionnistes, ont lancé dans les années 90, sous l’impulsion du DTI (Department of Trade and Industry), une vigoureuse campagne d’information et de sensibilisation vers leurs PME afin qu’elles s’équipent pour s’habituer à coopérer, notamment pour s’installer ensemble sur de nouveaux marchés. Les pouvoirs publics ont admis que ces réseaux ont un rôle nouveau à jouer dans la compétitivité globale de leurs entreprises en soutenant leurs investissements dans les applications du cooperative working. Ils ont compris qu’encourager ces formes d’organisations c’était, à terme, encourager la constitution de réseaux d’affaires et de développement coopératifs.

En France, Oseo apporte son concours à celles des entreprises qui se lancent dans des projets de développement coopératifs. Selon les Echos (du 18 octobre), cette structure d’aide à l’innovation stratégique a soutenu ces dernières années quelques 73 projets impliquant 356 entreprises . C’est insuffisant. Une majorité de nos PME restent encore trop isolées. Je plaide pour un effort plus visible et significatif de l’aide au co-développement des PME françaises pas encore convaincues de l’intérêt de se constituer en phalanges technico-économiques pour se développer. Concrètement, plutôt que des budgets pour diminuer leurs charges, je suggère que l’on aide financièrement celles qui acceptent de s’associer en grappes pour attaquer de nouveaux marchés. Quelques exemples ? Mise à disposition d’un réseau spécifique « clés en main » pour celles qui s’organisent en grappes, des garanties pour renforcer leurs apports en fonds propres, des encouragements fiscaux pour celles qui pratiquent le partage des ressources humaines (contre engagement de ne pas licencier), mise à disposition de consultants pour définir leur stratégie et leurs objectifs communs.

Pour vous, il faut « mettre de l’imagination dans la façon de s’organiser». Les patrons français seraient-ils en manque de curiosité ?

C’est mon sentiment. Nous devons apprendre non seulement à mettre du génie dans les façons de concevoir, de produire et distribuer nos produits et services mais nous devons mettre aussi du génie dans nos façons de nous organiser. Il n’échappe à personne que les progrès techniques ont eu une influence majeure sur les évolutions de nos infrastructures. Le champ des possibles ouvert par la diffusion généralisé des TICs est considérable. Elles créent autant d’opportunités pour nos PME. Regardez l’avènement récent des sites de commerce électronique, celui des portails entreprises, des écoles en ligne. Aujourd’hui, nous pouvons aussi créer des plates-formes de services partagés entre groupes de PME, faire de la coproduction, du co-marketing ou encore mettre en commun des expertises pour des réponses à des appels d’offre. Les exemples sont infinis de ce que les PME peuvent inventer ensemble. C’est là que se trouve le secret de l’entreprise virtuelle. La symbiose qui peut se constituer entre elles à des effets parfois étonnants. J’ai en tête l’exemple de trois PME qui ont constitué une marque commune et mis en synergie leurs trois activités qui relevaient de la carrosserie, de la peinture électrostatique et de l’électromécanique, ce qui leur a permis de doper leur chiffre d’affaires à l’export, puis, ensemble de monter une usine en Egypte, avec succès. Sauf qu’au bout de quelques années, leurs dirigeants constataient que la symbiose de leurs activités était telle que leur valeur ajoutée était désormais incarnée dans la marque commune. Le périmètre de leurs activités respectives s’était confondu en une entité unique et toutes tentatives de séparation devenaient mortelles. Au final, plus qu’une question d’investissement financier, c’est avant tout une question d’état d’esprit du chef d’entreprise. Il doit s’intéresser à ce qui se passe autour de lui. Il doit se montrer proactif et curieux et surtout … apprendre à pratiquer l’art de la combinazione !

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Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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