Le décret sur l’indemnisation des victimes du Médiator est paru dans le JO du 4 août.
Un mois plus tôt, la pneumologue Irène Frachon témoignait dans cette affaire de santé publique lors d’une conférence à destination des professionnels du droit et de la santé organisée à Paris par la Gesica, un réseau international de 350 avocats.

« Nous avons déjà été confrontés au calvaire médical des malades, nous allons être confronté au second calvaire, juridique cette fois, avec un temps judiciaire inacceptable compte tenu des préjudices subis. Il y a un combat entre le temps judiciaire et la réparation morale des victimes» déclare Irène Frachon, l’auteur du livre « Mediator 150 g, combien de morts ? » dans lequel la pneumologue récapitulait les étapes de son enquête qui a abouti au retrait du Médiator en novembre 2010.

Pendant 33 ans, les Laboratoires Servier ont vendu le Médiator, un médicament antidiabétique en tant que coupe-faim. Ils sont accusés à l’automne 2010 par une étude de la CNAM d’avoir causé au moins 500 morts en France en 30 ans et entraîné 3500 hospitalisations pour des problèmes cardiaques. Depuis, les dépôts de plaintes se sont multipliés. Christophe Donnette, avocat au barreau de saint Quentin, secrétaire général de Gesica qui animait le débat en a enregistré une centaine.

A Paris, 1500 plaintes ont été regroupées dans le cadre d’une enquête conduites par 3 juges d’instruction. Dans ce « combat entre David et Goliath », il s’agit de donner tous les éléments du dossier aux avocats impliqués dans ce procès : ceux des parties civiles, mais aussi ceux des médecins généralistes qui pourraient être mis en cause pour avoir prescrit le coupe-faim hors AMM Une chose est sûre, le fonds d’indemnisation des victimes du Médiator ne remplacera pas les procédures judiciaires.

Rappel d’autres affaires sanitaires : l’hormone de croissance

« Un procès pour obtenir une vengeance complète avec mise en cause des responsabilité sera très long et pas forcément couronné de succès. Il vaut mieux que les victimes soient indemnisées sans attendre » estime Maître Yves Lachaud, le président de l’atelier droit de la santé de Gesica. Et d’insister : « dans l’affaire de l’H.C . l’arrêt rendu le 5 mai 2011, soit vingt ans après le début du procès, a abouti à la relaxe générale des prévenus par la Cour ». Maître SylvieTopalov, avocate dans l’affaire de l’amiante, rappelle que « dès 1995 des associations de victimes se sont constituées pour déposer une plainte en 1996. Nous n’avons pas été soutenus par le parquet sur les procédures pénales et avons opté pour des dépôts de plainte en citation directe.

Finalement, l’arrêt du Drouet du 30 novembre 2000 a fait jurisprudence et a été suivi de l’arrêt du 23 décembre 2000 pour la création d’un fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA). Cette jurisprudence est utilisée pour les effets nucléaires et pour les effets du Médiator » rappelle-t-elle. La citation directe est la formule qu’a choisie François Honnorat, l’avocat qui soutient Irène Frachon depuis la censure du titre par Servier et analyse « l’action en tromperie sur les qualités substantielles du Médiator». Il se prépare à un procès très long et complexe.

Le Médiator contient du benfluorex, une molécule de la classe des anorexigènes, qui une fois ingérée dans l’organisme secrète le même métabolite toxique que l’aminorex, à savoir la fenfluoramine, dénoncée dans le cas de l’Isoméride, un coupe-faim « consommé par 5 à 10 millions de Françaises suite à une promotion intensive de délégués de Servier» souligne le Dr Irène Frachon. L’Isoméride a été définitivement interdit en 1997 grâce à une étude épidémiologique de la FDA (Food and Drug Administration)américaine. Les indications de ce médicament avaient été limitées aux seuls obèses à la suite d’une enquête menée par les médecins du service spécialisé sur l’HTAP (hypertension artérielle pulmonaire) de l’hôpital Antoine Béclère de Clamart.

« Enfumage généralisé »

« Mais les laboratoires Servier ont bien spécifié dans les annés 1980 qu’il n’y avait pas de relation entre ses coupe-faim tels que le Médiator et l’aminorex » s’exclame le docteur Frachon. En 2007, celle-ci relance l’enquête quand une patiente obèse qui prend du Médiator depuis dix ans vient la consulter pour une HTAP, à l’hôpital de la Cavale Blanche à Brest. Elle est immédiatement alertée pour avoir vu mourir, alors jeune interne à l’hôpital Béclère, des patientes atteintes d’HTAP dont le seul point commun était d’avoir absorbé de l’aminorex.
Alertée, elle s’adresse alors aux Laboratoires Servier en 2008, pour savoir s’il y a une proximité chimique entre l’Isoméride et le Médiator, la réponse tombe : « Il n’y a pas de relation ni par la structure chimique ni par les voies métaboliques . C’est signé Information Servier » assène-t-elle. De même, lorsqu’un médecin généraliste de Brest rencontre une visiteur médical Servier, il reçoit une réponse ferme et définitive, « il n’y a aucun signal de toxicité » (Réponse donnée alors qu’une enquête de pharmacovigilance est ouverte depuis dix ans par l’AFSSAPS). «Normalement quand un labo vous répond ça, on ferme le dossier. C’est alors que la pharmacie centrale Brest me rapporte un document déposé en 1980 par les laboratoires Servier en même temps que l’Isoméride, je m’aperçois que la molécule du Médiator ( benfluorex) est semblable à celle de l’Aminorex » raconte-t-elle.

« Je ne m’attendais pas à ça, la pharmacodélinquance, le mensonge écrit, c’est quelque chose que j’ai mis beaucoup de temps à admettre » assure-t-elle. Ensuite, l’AFSSAPS a exigé une étude épidémiologique pour étayer ses dires et la pneumologue a entamé un travail de description de cas (sur les blocs opératoires, à la morgue) .

Sa deuxième stupéfaction : le Médiator a été retiré de la vente en 2009 sans qu’il y ait aucun rappel. « L’HTAP est un arbre qui cache la forêt des valvulopathies. Comment se fait-il que les cardiologues, après 33 ans de commercialisation du Médiator, n’aient pas fait la relation entre Isoméride et valvulopathies pas plus qu’entre dérivés du benfluorex et valvulopathies » s’étonne-t-elle. Omerta ?

Un fonds d’indemnisation pour les victimes

Le décret créant un fonds d’indemnisation pour les victimes du Mediator a été publié le 4 août au Journal officiel à la suite d’un vote à l’unanimité à l’Assemblée nationale puis au Sénat de l’article 57 de la loi de finances rectificative pour 2011.

Le décret est entré en vigueur le 1er septembre et permet aux victimes de disposer « d’un guichet unique, géré par l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) ». Il permet également « une indemnisation intégrale des victimes tout en garantissant leur droit d’intenter une action pénale si elles le souhaitent », selon le communiqué du ministère de la Santé, qui précise que cette indemnisation ne sera pas à la charge des contribuables.
« C’est la raison pour laquelle l’ONIAM demandera systématiquement, sur le fondement de l’avis d’un collège d’experts, aux laboratoires Servier de faire une proposition d’indemnisation. S’ils refusent, l’ONIAM pourra, après avoir indemnisé les victimes, saisir la justice pour se faire rembourser ces sommes. Dans ce cas, le responsable pourra se voir appliquer une pénalité de 30 % pour ne pas avoir accepté la demande initiale ». Les associations de victimes telles que l’INAVEM (Fédération Nationale d’aide aux victimes) seront associées à la gouvernance du fonds d’indemnisation.

La rédaction définitive de l’article L1142-24-4 du code de la Santé ajoute le principe du respect du contradictoire qui est essentiel, souligne Maître Donnette. « Ce fonds n’indemnise que les personnes souffrant de déficits fonctionnels » regrette-t-il. Il s’inquiète également des délais trops courts accordés aux victimes pour les procédures d’expertises. « Il est indispensable que les victimes soient assistées non seulement d’avocats mais également d’experts particulièrement compétents et réactifs » estime-t-il. « On risque d’assiter à une véritable bataille d’experts ! ».