Il y a l’énergie du vent, celle des vagues, il y a aussi l’énergie des courants marins. Après plusieurs années de développement, EDF vient de mettre à l’eau la première hydrolienne de son parc marin. La France n’est pas le seul pays à miser sur l’exploitation de l’énergie hydraulique

Seize mètres de large, haute comme un immeuble de 5 étages, avec un poids de 1.000 tonnes…l’hydrolienne géante construite par la société irlandaise Openhydro, assemblé par DCNS dans le cadre d’un projet de ferme EDF, a largué les amarres le 31 aout 2011, à bord d’une barge conçue spécialement pour la transporter au large de Paimpol- Bréhat (Côtes-d’Armor).

Objectif, une fois que les test s’avèreront concluants : l’ouverture du premier parc hydrolien français relié par câble à la cote. Au total , un projet de 40 millions d’euros dont la puissance globale devrait avoisiner deux mégawatts, soit l’équivalent des besoins en électricité de 3.000 foyers. Trois nouvelles hydroliennes, la rejoindront à 35 mètres de fond d’ici l’automne 2012. En France, une première hydrolienne expérimentale, « Sabella D03 », du nom d’un ver marin, avait été conçue par deux ingénieurs, Jean-François Daviau, ex-cadre de l’IFP, et Hervé Majastre, un électrochimiste. Ils avaient créé le cabinet HydroHélix Energies, en 2000, à Quimper. La machine avait été testée dès 2008 dans l’estuaire de l’Odet, une rivière du Finistère. Les deux ingénieurs n’ont eu de cesse de se battre pour faire reconnaître le bien-fondé de la production d’énergie à partir des courants marins. Le combat d’HydroHelix qui n’a pas été une mince affaire n’a pas été vain. Aujourd’hui, l’énergie hydrolienne prend la mer.

Le principe de l’énergie hydraulique repose sur l’idée d’ «éoliennes inversées », dont les rotors ont des dimensions beaucoup moins importantes que leurs cousines terriennes (lire aussi « Energies éoliennes: encore un effort pour être dans le vent ») . A l’instar du vent qui fait tourner des éoliennes sur terre, l’énergie cinétique issue des courants de marées actionne les pales d’éoliennes sous la mer. Immergées, les turbines bi-directionnelles, fonctionnent en cycle continu. L’immersion peut être suffisamment profonde pour permettre les activités de surface.

Ces hydroliennes sont potentiellement efficaces dans les zones de courants importants. Seules conditions pour être fonctionnelles, les hydroliennes nécessitent une vitesse de courant de plus d’1 mètre par seconde. Avec un courant de 2,5 mètres par seconde, une tour d’hydrolienne de 25 mètres peut produire une puissance de l’ordre de 500 kW, soit l’équivalent d’une éolienne on shore de 43 mètres de diamètre exposée à un vent de 40 km/h.

L’énergie hydraulique ne manque pas d’atouts. Les éoliennes inversées pourraient être implantées à 15 kilomètres des côtes, à des profondeurs allant de 40 à 100 mètres. Outre les installations qui nécessitent peu d’infrastructures, cette énergie est évidemment renouvelable. De plus, les courants sont périodiques, voire permanents, donc plus prédictibles que les vents. Ensuite, à puissance équivalente, les hydroliennes sont des systèmes plus compacts que les éoliennes, car l’eau est 1 000 fois plus dense que l’air.

La France, où les courants de marée peuvent atteindre plusieurs nœuds (notamment sur les côtes de la Manche), dispose dans ce domaine d’un des meilleurs potentiels au monde. La côte bretonne et la côte normande possèdent plusieurs sites où les courants atteignent des valeurs importantes. Les plus connus sont La Chaussée de Sein, le Fromveur à Ouessant, les Héaux de Bréhat, le Cap Fréhel. Moins importants que les vagues en termes de potentiel énergétique, les courants marins sont en revanche plus prévisibles dans le temps et en amplitude. Leur vitesse et leurs horaires dépendent du cycle lunaire.

L’energie des courants marins est encore peu exploitée. La plupart des projets en sont au stade expérimental. En Europe, seule une trentaine d’installations ont pris leurs premiers bains de mer. Les projets les plus avancés sont le Marine Current Turbines (turbine à axe horizontal – 2 pales), l’Engineering Buisness (1 seule pale horizontale: une hydrolienne un peu spéciale), le Tidal Hydraulic Generators Ltd (turbine à axe horizontale – 2 pales – peu de renseignement sur le net). Tous trois sont des projets anglais.

Dans les années 90, le gouvernement Blair a déposé sur la table 140 millions d’euros pour la recherche hydrolienne, dans la perspective de la reconversion de son offshore pétrolier. Le lieu de prédilection se trouve dans les Orkney Islands. Cet archipel est un des lieux les plus retirés de l’Ecosse, où l’on ne trouve guère que des phoques. Il connaît les marées les plus fortes, les vents les plus puissants et les courants marins les plus véloces. Ils peuvent atteindre 8 nœuds. Mais un autre animal marin y séjourne. Il possède deux jambes, plantées au beau milieu des flots, et une sorte de corps jaune auquel, tel un oeil cyclopéen, se trouve suspendue une énorme turbine. Le site où il loge s’appelle « Fall of Warness ». Inauguré en Septembre 2007, après que la compagnie OpenHydro y ait installé ses premières turbines en 2006, Fall of Warness a l’ambition de devenir un « centre d’excellence » mondial pour les énergies renouvelables.

Il existe aussi un projet norvégien, le Hammerfest Storm (turbine à axe horizontal – 3 pâles), un projet canadien, le Blue Energy (turbine Davis à axe vertical). Sans compter le modèle français qui vient d’être mis à la mer.

D’après le groupe de recherches et de conseil britannique gouvernemental, Carbon Trust, les étendues maritimes ont la capacité de produire jusqu’à 4 000 Térawattheures d’électricité par an (Térawattheure = un milliard de kWh). Suffisamment pour procurer à un pays comme la Grande-Bretagne dix fois l’énergie qu’elle consomme. Nous n’en sommes pas encore là. Les analystes estiment que d’ici à 2020, l’Europe aura suffisamment d’installations utilisant l’énergie des vagues pour produire entre 2 000 et 5 000 mégawatts (1 megawatt = 1 million de watts). Cela représente l’équivalent de quatre à dix centrales électriques alimentées au charbon.

La rentabilité de ces installations n’est toutefois pas encore assurée et leur gestion s’avère techniquement plus compliquée qu’on ne pensait. Du moins si l’on s’en réfère à l’exemple du projet RITE d’alimentation de la ville de New York, par énergie des courants.

Six prototypes, dotés d’hélices de 5 mètres de diamètre, sont à l’heure actuelle installés par neuf mètres de fond à l’embouchure de l’East River, le bras de mer qui traverse la ville. Le RITE mené par la compagnie américaine Verdant Power, a ainsi connu bien des déboires qui ont contraint à l’arrêt total de l’exploitation. Plusieurs incidents techniques sont en effet survenus sur les pales en fibre de verre qui se sont brisés net sous la force du courant de marée. Puis des boulons ont cédé sur deux hydroliennes. Sans oublier les lourdeurs administratives considérables et le caractère onéreux des coûts d’installation. Les éoliennes sous-marines ont tourné à un rythme relativement lent pour que les poissons puissent passer entre les pales de la machine. Beaucoup reste à faire dans ce domaine, en particulier pour limiter les problèmes liées à la corrosion.

Il n’y a pas encore à ce jour de retour d’expérience suffisant de toutes ces initiatives originales. Les bonnes ou les mauvaises pratiques ne sont pas définies, ni la durée de vie des machines. Or elles ont des fonctions d’exploitation énergétique et doivent être installées pour des périodes de 20 à 30 ans. Il est difficile de définir leur «survivabilité » dans un environnement hostile, sous-marin et corrosif, confronté aux courants et à la houle»

Pour que les hydroliennes se développent et produisent de l’énergie dans un but commercial, d’autres problèmes doivent être réglés. Par exemples, les problèmes liées à la formation de bulles de gaz au sein d’un liquide en mouvement, un phénomène de cavitation généré par le mouvement des pales. Ces bulles s’en prennent aux pales des hélices. Une solution est de limiter la vitesse de l’extrémité des pales à environ 8 m/s. La prolifération des algues sur les pales de la turbine constitue un autre problème à résoudre. Une solution, proposée par la société Marine Current Turbines, est de fixer la turbine à un pylône planté au fond de la mer et dépassant de la ligne d’eau de façon à pouvoir faire remonter la turbine à l’air libre pour la maintenance

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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