En 2050, un Français sur trois aura plus de 60 ans, contre un sur cinq en 2005. L’allongement de la durée de la vie impose un réajustement de l’économie en fonction des considérations générationnelles.

Chanceux… les jeunes seniors ? En apparence, seulement. Ils ont profité des Trente glorieuses et ont pu s’élever grâce au plein emploi, à l’ascension sociale, à la croissance de l’éducation, et à l’accès à la propriété, explique Louis Chauvel, sociologue des générations (« Le destin des générations ». PUF). Parmi eux, les pauvres sont moins pauvres, et les riches plus aisés, mieux portants. Idéale…leur condition actuelle ? Pas pour tous, ni pour longtemps. Tous les indicateurs plaident pour une paupérisation à court terme d’une grande partie des jeunes seniors.
Les revenus des retraités de 60 ans restent très inégaux selon qu’on est femme, agriculteur, ouvrier ou bien cadre d’entreprise, fonctionnaire. En outre, la concentration du patrimoine sur un segment privilégié de cette population cache des différences importantes.

Inégaux aussi devant la santé. Les ouvriers et paysans, usés par un travail plus pénible, ont une espérance de vie plus courte que les cadres.
Enfin inégaux devant l’emploi. Avec le chômage massif des jeunes et celui des cinquantenaires, la France est un des rares pays développés qui n’a, grosso modo, qu’une seule génération au travail, entre 30 et 55 ans. L’âge de 45 ans est le seuil à partir duquel les entreprises hésitent à former et à promouvoir. Après 55 et jusqu’à 64 ans, il n’y a plus qu’une personne sur trois en emploi (37,5 %). 10 % seulement après 60 ans. Ainsi, l’âge médian de sortie du travail est de 58 ans en France, alors qu’il est de 64 ans en Suède et 68 ans au Japon. « Le problème du financement des retraites vient notamment de ce que nous n’avons pas su maintenir en emploi les salariés seniors, âgés de plus de 50 ans » note Anne Marie Guillemard, sociologue, professeur à l’Université Paris-Descartes, (« Les défis du vieillissement » Armand Colin). On se retrouve ainsi avec deux populations mal protégées, observe l’OCDE : les jeunes, diplômés ou pas, et les vieux des couches défavorisées. Ce système discriminatoire est porteur de précarité.

Quelles que soient les inégalités, parfois criantes, rencontrées, force est d’admettre que les retraités d’aujourd’hui sont, en moyenne, mieux lotis que ne le seront ceux de demain et qu’en outre, leur sort est plus enviable que celui que connaitront les jeunes générations. « Déjà, avec les progrès dans le bien être et la santé, la durée de vie sans incapacité est en constante augmentation », souligne Jean-Marie Robine, chercheur à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). Aussi bien, nombre d’entre eux, encore en bonne santé, souhaitent-ils rester sur le marché du travail, pour compenser la baisse de leur pouvoir d’achat, mais aussi pour maintenir un lien social fort.

Pour Anne Marie Guillemard, « Le vieillissement et l’allongement de la vie représentent non une fatalité, mais au contraire une chance et une opportunité pour développer une autre gestion des âges. Il importe de changer radicalement nos manières de penser et de gérer les temps sociaux, en raisonnant non plus en termes de groupes d’âge mais de « parcours de vie ». Selon elle, il s’agit en outre de réactiver la notion d’attractivité des entreprises pour augmenter l’offre de travail des seniors.

Une chose est sûre : les besoins des aînés influenceront largement l’organisation des activités économiques et sociales : qu’il s’agisse de l’adaptation de l’habitat et des transports, du système de soins, des activités de proximité, de la sécurité. Sans compter le marché des technologies qui va apporter plus de confort et de mobilité à ces populations. Pour les entreprises, ce marché est d’avenir, au même titre que le marché de la « green economy ». Selon la Fondation Internet Nouvelle Génération (FING), l’opportunité de créer des emplois est réelle. On pourrait compter presque un million d’emplois associés au vieillissement en 2025 (soit un doublement en vingt ans pour le nombre d’intervenants à domicile et une croissance de 25% sur la même période pour les postes en établissements pour personnes âgées). La manne économique qu’apportent avec eux les seniors aisés dans les régions qu’ils affectionnent sur le plan des services touristiques et des transports (TGV, avions, transports en commun..) est également susceptible de revitaliser nombre de régions.

Un rapport, remis le 6 juillet 2010 a Nathalie Kosciusko-Morizet, Secrétaire d’État à la Prospective et au Développement de l’Économie numérique, met en évidence le défi numérique que représente le vieillissement de la population en France. Le développement des usages des outils numériques s’affirme comme un important levier pour le développement de l’autonomie des personnes âgées et du maintien du lien social, expliquent les auteurs du rapport. En effet, les seniors sont de plus en plus nombreux à communiquer par téléphone portable et internet. Cette faculté renforce le lien avec des populations plus jeunes et au sein des familles. L’avancée dans la vieillesse n’implique plus forcément l’isolement ou le renoncement aux plaisirs de la vie. Au contraire, les nouvelles technologies de la mobilité rendent possibles un engagement actif dans la dynamique de la vie locale associative et entrepreneuriale.

L’enjeu de l’allongement de la vie est aussi de développer la solidarité économique intergénérationnelle. Finalement le problème des vieux est celui des jeunes. Et réciproquement. Pour le prospectiviste Michel Godet, professeur au CNAM, ( « Le courage du bon sens ». Odile Jacob), « si nous ne fournissons pas un effort d’attention et de compréhension à l’égard des jeunes, nous risquons de devenir un pays de vieux. Le défi est aussi éviter que « par peur de l’avenir, la France piétine et se languisse »

*Article également publié dans le magazine « jeune dirigeant »

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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