« Sans liberté de blâmer, il n’est point d’éloges flatteurs ». Qu’on me permette de reprendre à mon compte cette maxime de Beaumarchais qui figure au frontispice du Figaro. Cette chronique n’est en général pas tendre avec mes confrères, ce dont je pourrais me justifier par un proverbe latin « Qui bene amat, bene castigat » (qui aime bien, châtie bien). Et il est vrai que mon énervement ou ma colère sont à la hauteur de l’estime que je porte à ce métier de journaliste, qui reste précieux et indispensable, mais qui souffre beaucoup de l’explosion d’Internet (comme nombre d’autres métiers) et du laxisme de certains.


Passe-droits

Je me réjouis donc que la presse vienne de se montrer précieuse et indispensable dans la récente affaire du voyage abracadabrantesque de notre ex-ministre des Affaires étrangères en Tunisie. Je ne reviendrai pas sur les détails qui sont connus. Je trouve qu’il est sain que cette presse tenace ait réussi à obtenir la démission de la ministre malgré sa volonté de s’accrocher à son poste et le soutien de ses collègues du gouvernement qui, devant l’énormité des faits, a fini par s’effriter.

Je n’ai aucune hostilité particulière envers Michèle Alliot-Marie qui me semblait, jusqu’à ce dernier épisode, un plutôt bon serviteur de l’État, comme on dit, malgré sa raideur un peu militaire et sa sécheresse d’expression.
Mais le plus grave de la situation dans laquelle elle s’est enferrée, c’est qu’elle semble n’avoir toujours pas compris la gravité de son erreur de jugement et des manquements à la déontologie de son poste ministériel. Elle a fait, a-t-elle dit finalement pour sa défense (après quelques gros mensonges), ce que tout le monde fait : profiter de son statut pour bénéficier d’avantages et de passe-droits amicaux.

Et bien, la presse a eu raison de rappeler que ce n’est pas parce que c’est devenu habituel que c’est bien et que ça doit continuer à se faire. Utiliser sa position politique pour se faire inviter pourrait même s’apparenter à une sorte d’abus de bien sociaux. Pierre Botton, il y a quelques années, n’a-t-il pas été condamné pour ce genre de pratique (mais c’était lui qui invitait les hommes politiques et autres figures médiatiques).


Connivences et compromissions

Le plus ridicule, évidemment, c’est qu’en tant que patronne du Quai d’Orsay, elle n’ait d’abord rien compris aux événements tunisiens et ensuite pas compris non plus (ou pas voulu reconnaître) qu’elle avait commis une faute professionnelle, ce que les journalistes ont également eu raison de souligner.
Contrairement, donc, à ce que clame Madame Alliot-Marie, il n’y a pas eu de harcèlement médiatique. C’est l’éloignement des réalités que provoque le pouvoir qui lui donne cette impression de n’avoir rien à se reprocher. Les journalistes n’ont fait ici que leur travail qui, dans un pays démocratique, est justement de rappeler les règles de la démocratie et que tout n’est pas permis aux puissants. Premièrement, les responsables politiques sont des citoyens comme les autres et ne vivent pas au-dessus des lois. Leur position même devrait les obliger à se montrer exemplaires. Deuxièmement, la realpolitik, si elle est inévitable, ne doit conduire à de douteuses connivences avec des dictateurs. On se parle, parce que c’est nécessaire, mais on ne fait pas ami-ami. La diplomatie n’est pas la compromission. C’est une nuance que MAM, semble-t-il, n’avait pas bien saisie. Et ne serait-ce que pour cette raison, il fallait qu’elle quitte son poste.

Garde-fou
Ainsi, en enquêtant sur les étranges pérégrinations de la ministre, en établissant les faits tels qu’ils se sont passés, sans interprétation abusive, la presse – le Canard enchaîné au premier chef -, a joué le rôle qu’on attend d’elle : non pas dénoncer pour le plaisir de dénoncer, comme cela arrive parfois, mais redire simplement ce qui est juste et servir de garde-fou aux dérives, plus ou moins inconscientes, de ceux qui nous gouvernent. Cette presse-là est décidément précieuse et indispensable.

 Lire la chronique précédente : Scoop fiction

Au sujet de Bruno Tilliette

Bruno Tilliette est journaliste indépendant, ancien rédacteur en chef des revues Autrement, Management et conjoncture sociale et Dirigeant. Il tient une chronique régulière sur place-publique.fr depuis plusieurs années. Il est également auteur ou coauteur d’une dizaine d’ouvrages portant sur la communication et le management en entreprise, l’éducation et la formation ainsi que sur l’évolution de la société française.

Catégorie(s)

Le Magazine, Médias et démocratie

Etiquette(s)

,