Dénoncer une dérive, un acte malhonnête apporte plus d’inconvénients que d’avantages.  Julian Assange, Manning Bradley, Irène Frachon,… ils sont de plus en plus nombreux à faire le jour sur les vérités qui dérangent. Chaque année des dizaines de « consciences aiguisées » dénoncent à leurs risques et périls les abus du droit de certains sans être entendus.

Des hommes et des femmes oeuvrent tous les jours afin de rendre moins difficile, plus accueillant, un monde rarement généreux. Ils sont nombreux ceux qui n’auront jamais les honneurs des ors de la République qui, d’une façon ou d’une autre, auront tenté de lever le voile sur des comportements douteux. Contrairement à la vulgate cinématographique avoir du courage ne paie pas. Dénoncer une dérive, un acte malhonnête apporte plus d’inconvénients que d’avantages. Prendre le risque de s’opposer à un puissant, à un dirigeant, même pour de bonnes raisons, fait que le troupeau vous marginalise.

Le livre de Sihem Souid « Omerta dans la Police » sur son propre vécu dans les services de la PAF (Police de l’Air et des Frontières) met au jour des vérités dérangeantes sur les dérapages de quelques policiers et dirigeants de services peu scrupuleux, ni respectueux du droit des personnes. Ce qui frappe c’est que la dénonciation même de ces délits engage son auteur dans une spirale infernale qui met sa vie sociale et professionnelle en danger (quand ce n’est pas sa vie tout court). Elle n’est pas la seule à devoir vivre avec le sentiment de nager à contrecourant de la fuite générale devant l’adversité.

Dans « La fin du courage » (1), Cynthia Fleury, rappelle qu’il n’y a pas de courage sans courage moral car il implique le plus souvent une grande solitude. Un point de vue qui devrait être partagé par Irène Franchon. Celle-ci n’a pas été épargnée par les pouvoirs en place lorsqu’elle a remis en question l’Agence Française de Sécurité Sanitaire lors de son combat pour mettre en lumière la dangerosité du Médiator (2).
Martin Hirsch, lui, a été mis à l’index suite à la sortie de son ouvrage Pour en finir avec les conflits d’intérêts( 3). Personne ne viendra le féliciter de mettre au jour les risques de dérives et les petits arrangements entre amis que l’on se concocte dans les diners d’affaires où se retrouvent quelques élus. Bien dressés à tout accepter sans trop se poser de question mais aussi par peur et par faiblesse, nombreux sont ceux qui pensent qu’il n’existe pas de « dénonciation honorable ». Belle façon de se soustraire à l’obligation d’un courage minimum et à s’absoudre à l’avance de ses propres turpitudes. C’est ainsi que se forge une société pervertie, soumise à la prévarication et au chantage. Pas un seul d’entre nous qui n’ait un jour ou l’autre entendu parler, subi, ou vu des magouilles et des malhonnêtetés. Pas un seul qui n’ait vu un supérieur outrepasser ses droits, une banque ou une assurance abuser de l’ignorance de ses clients, un opérateur flirter avec l’abus de confiance, un agent de la force publique se laisser emporter.

Nos bibliothèques, nos librairies sont gavées d’ouvrages dénonçant des manoeuvres malhonnêtes, des détournements de fonds, des abus de pouvoir, des magouilles, la corruption ou les lâchetés d’hommes ou de femmes de pouvoir. Au mieux ils seront achetés à quelques milliers d’exemplaires par des lecteurs avertis mais ignorés par des millions d’autres et vite oubliés. Désormais ces dérapages entre dans la vaste mémoire de la Toile, soumis au risque de se voir filmés, photographiés et dénoncés par de simples citoyens. Avec Internet, un outil existe pour les ramener à l’ordre, à la mesure, à la responsabilité de leurs actes. Des centaines de vidéos ou de témoignages aidés par la puissance éditoriale de la Toile, circulent un peu partout dans le monde afin de faire sortir de l’ombre les magouilles ou les abus de certains responsables.
Ayant accès à des informations confidentielles de l’armée américaine, Manning Bradley  prendra le risque de les divulguer via WikiLeaks, notamment parce qu’il est révolté d’apprendre les conditions dans lesquelles des reporters américains ont été tués en Irak par un hélicoptère de l’armée. D’autant que la caméra de bord montre que les tireurs de l’hélicoptère de combat Apache vont jusqu’à abattre des individus venus porter secours aux blessés. Ce qui est totalement contraire à la convention de Genève sur les lois de la guerre.

L’affaire Wikileaks est le symbole outrancier du besoin de loyauté de notre Société envers ses dirigeants. Daniel Domscheit-Berg, l’a bien compris. Cet ancien hacker, un brin anarchiste, considéré comme le numéro deux de WikiLeaks, a ouvert  un  site baptisé OpenLeaks. Ce dernier permet à des whistle-blowers (sonneurs d’alarme) de dénoncer des actes illégaux ou immoraux perpétrés par leur patron, leur supérieur ou un responsable officiel. Herbert Snorrason, un des fondateurs de ce nouveau site entend collaborer avec des ONG, des associations et des médias avec qui Openleaks analysera les dossiers reçus par le biais de boites à lettres sécurisées. Pour garantir la transparence de son fonctionnement, Daniel Domscheit-Berg a créé une fondation enregistrée en Allemagne. OpenLeaks espère ainsi se financer grâce aux dons de sympathisants et au soutien de grands sponsors.

A partir des Etats-Unis où il s’est réfugié, un avocat moscovite, Alexei Navalny s’engage dans la lutte contre la corruption en Russie qui représenterait jusqu’à 50% de son PIB (5). Son site, Rospil.info publie des documents souvent embarrassants provenant d’administrations et d’entreprises russes prises la main dans un bol qui n’est pas que de miel !
A Bruxelles, un groupe de journalistes militants,a lancé un site Brussels Leaks dédié au fonctionnement – selon eux- obscur de la Commission Européenne. Ces militants du respect du droit et de la loyauté envers les citoyens deviennent des sources d’information qui intéressent de nombreux médias traditionnels. Al-Jazira vient de lancer Transparency.
A Anorfolk (Connecticut), prés de New York, un jeune journaliste, Matthew Terenzio, lance LocaLeaks. Une boite à lettre fortement sécurisée récupère et centralise des informations anonymes qui seront vérifiées avant d’être envoyées vers les journaux de la région concernée. Matthew Terenzio indique que de nombreux titres de presse ont déjà déclaré leur intérêt.

Les initiatives se multiplient qui font craindre des dérapages qui inciteraient les pouvoirs publics, toujours réticents face à des divulgations souvent gênantes, à les faire fermer ou à les encadrer. Il suffira que quelques dénonciations hasardeuses, quelques délations absurdes et les ravages de l’inquisition numérique pour anéantir un formidable espoir de voir des salauds ou des malhonnêtes mis face à leurs responsabilités. Ce risque de voir museler toute dissidence même mesurée et argumentée doit nous interpeller. Toute vérité n’est pas bonne a révéler… c’est vrai. Mais lorsqu’elle l’est, démasquant tout à coup la face grimaçante de nos systèmes et de nos dirigeants, doit –on en condamnant le porteur du message – se priver de ne voir jamais se révéler les horreurs commises par certains. Pensons-y lorsque nous porterons un jugement sur ces justes d’un nouveau type.

1 Editions Fayard

2 Elle vient de gagner le procès qu’avait engagé le laboratoire Servier contre elle et son éditeur.

3 Éditions Stock, 2010

4 . On lui reproche en sus d’avoir téléchargé plusieurs milliers de messages du département d’Etat confiés ensuite à Wikileaks.

5 La France ce site à la 25eme place dans la calcul de l’indice de la corruption sur 178 pays, entre l’Uruguay et l’Estonie.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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