Depuis quelques mois, les grandes compagnies pétrolières ont obtenu du gouvernement français des permis d’exploration de gaz de schiste dans le plus grand secret.

En 2010, dans la foulée du Grenelle de l’environnement, Jean-Louis Borloo, alors ministre de l’écologie (sic !) et champion autoproclamé des énergies renouvelables a signé en toute confidentialité des permis d’exploration à plusieurs compagnies pétrolières et gazières, concernant les gaz et les huiles de schiste. Dont Total, le texan Schuepbach, allié à GDF et Toreador Resources, dirigée par Julien Balkany (frère du maire de Levallois Perret) pour la recherche d’huiles de schiste dans l’Aisne et dans… la Seine et Marne !

Pendant des mois, cette info est passée inaperçue dans les médias traditionnels. Seule réaction notable à l’époque, celle des défenseurs historiques du plateau du Larzac, José Bové en tête, qui ont exigé l’abrogation immédiate des arrêtés d’exploration. Ironie du destin, ils sont parmi les premiers concernés, l’un des sites visés touche en effet une partie du parc National des Cévennes, située aux confins de la Lozère et de l’Aveyron. ( Permis de Montélimar ; Permis de Nant, Permis de Villeneuve de Berg)

La ruée vers l’or gazeux.

Las, en France comme partout dans le monde, il existe des gisements colossaux de cette énergie fossile (des milliers de milliards de mètres cubes de gaz en Europe, sept fois plus en Amérique du Nord et plus encore en Asie et en Australie, d’après le rapport rédigé par Andreas Korn pour le géant italien E.ON en février 2010). Certains schistes contiennent du méthane piégé dans leurs fissurations, mais en faible concentration, dans un énorme volume de roche ce qui rendait jusqu’à présent leur exploitation extrêmement difficile.… Or une technique permettant l’exploitation de ce type de gaz a été mise au point ces dernières années par la société d’armement étasunienne Hallyburton. Elle consiste à forer la roche à 2500 mètres de profondeur, puis à la fracturer en y injectant des tonnes de litres d’eau sous haute pression (entre 7 et 15 millions de litres par fracturation), additionnée de sables et de produits chimiques. Pour que l’extraction soit rentable, il faut bien souvent transformer la roche en gruyère, comme en Pennsylvanie, dans le Colorado où au Texas où d’immenses étendues se sont hérissées de puits de gaz de schiste tous les 200 mètres.

Chaque puits peut être « fracturé » 15 fois. Concernant les produits chimiques utilisés, leur grande majorité sont reconnus dangereux pour l’environnement comme pour les organismes vivants. Or, seule la moitié du volume d’eau est récupérée pour être recyclée. L’autre moitié reste dans le milieu géologique, et peut finir par atteindre les nappes phréatiques, pour les polluer. La partie récupérée, quant à elle, doit elle être acheminée par camion vers des raffineries dédiées. On estime le nombre d’allers retours de camion à 200 pour chaque fracturation. C’est dire l’impact sur les milieux et les paysages… Mais qu’importe, si cela permet de flamber encore pendant quelques décennies et faire de confortables profits en spéculant sur les matières premières, sans avoir besoin de développer les énergies renouvelables ?

Mobilisation citoyenne

Face à l’avancée masquée des groupes gaziers en France, c’est comme d’habitude sur le net, via les blogs écolo que la mobilisation a pris de l’ampleur grâce aux Pétitions en ligne et à la diffusion de « Gasland » le film documentaire de Josh Fox, prix spécial du jury au festival de Sundance.
en attendant une sortie nationale, peut être en Mars ou en Avril. Europe Écologie a récemment été relayée par « Sauvons les Riches » qui a, comme toujours, organisé une flash mob aux petits oignons :

Le 2 février 2011 au matin, une trentaine de militants casqués ou déguisés en texans se sont retrouvés sur les Champs Elysées, aux cris de « Le climat on s’en fout, on en viendra tous à bout ! ». Armés de marteaux piqueurs, de sable, de mélasse et de fumigènes, ils ont ouvert symboliquement un « forage pédagogique » devant l’hôtel Marriott qui accueillait le sommet européen du lobby des gaz non conventionnels. Une action logique pour Sauvons les Riches, explique Ophélie Latil, membre du collectif : « Ce sont toujours les mêmes membres de l’oligarchie au pouvoir en France qui se partagent les postes et se cooptent pour obtenir un profil maximum, sans un instant penser aux risques qu’elle fait courir à la population et à la planète». En cela ils rejoignent les thèses développées par Hervé Kempf dans ses deux ouvrages analysant les contradictions sociales et écologiques du capitalisme : « Comment les riches détruisent la planète » et « Pour sauver la planète, sortez du capitalisme ».

Une première victoire

Premier résultat concret de cette mobilisation, l’actuelle ministre de l’écologie, Nathalie Kosciusko-Morizet, annonçait le 4 février « une mission pour évaluation de l’exploitation ». Et d’effectuer un vrai rétropédalage dans la foulée, lors d’un entretien à Libération : «Pour récupérer les gaz disséminés dans la roche, il faut injecter des produits extrêmement agressifs. Les paysages sont ravagés, l’eau polluée. La sécurité est douteuse, le gaz sort des robinets. Nous disons aux sociétés : «Si vous pouvez faire autrement, montrez-le nous.» Si elles nous répondent : «il faut faire à l’américaine, sinon on ne fait pas», nous ne les suivrons pas.» Seul problème, cette louable mais tardive prise de conscience sera-t-elle suivie par les autres membres de l’UMP aujourd’hui aux affaires ? On peut légitimement en douter, d’autant qu’il y a fort à parier que les brevets de la fracturation resteront americains, comme l’explique Ophélie Latil « grâce au système bien rodé du patent trolling étasunien (le dépôt de centaines de brevets de procédés annexes à une technologie pour en empêcher d’autres de voir le jour), quoi que veuillent nous faire croire les communicants ! »

En outre, le gouvernement pourrait être contraint de durcir sa position à la suite d’une déclaration européenne favorable à la prospection de ce gaz. Sans compter que le forage des huiles de schiste, cette forme de pétrole piégée dans la roche dont l’extraction demande des techniques similaires aux gaz, devrait, lui, débuter dès le mois de mars près de Château-Thierry dans l’Aisne, sans aucune consultation locale préalable.


Pour signer la pétition contre le gaz de schiste :

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http://www.petitions24.net/gaz_de_schiste__non_merci-> http://www.petitions24.net/gaz_de_schiste__non_merci]

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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