Certains veulent habiter dans l’espace, d’autres préfèreraient vivre sous la mer. Tel est le cas de Dennis Chamberland, ancien ingénieur de la Nasa. Ce dernier rêve d’un monde où tous les humains habiteraient dans des colonies sous marines d’ici 2100.

L’homme peut-il vivre sous l’eau, y habiter, y travailler, y évoluer ? Est-il physiquement en condition de supporter plusieurs jours, plusieurs semaines, plusieurs mois, pareille expérience ? Allons plus loin : serons-nous un jour en mesure de respirer dans l’eau, comme les dauphins, les tortues ou les cachalots ? Toutes ces questions, des milliers d’hommes se les sont posées. Certains d’entre eux ne font pas que s’interroger, ils concrétisent ces projets. Ils sont marins, architectes, ingénieurs, scientifiques, inventeurs, plongeurs…

Les plus habitués à la vie sous-marine sont les sous-mariniers. Ils forment une communauté pouvant rester plusieurs semaines, confinés dans un bâtiment submersible. Imaginez que vous vivez dans un réduit sans voir le jour, rempli de matériels et de personnes pendant 90 jours, sans pouvoir communiquer avec votre famille, sans être informés des nouvelles du monde. Imaginez que vous êtes obligés de limiter votre consommation d’eau à un verre d’eau pour faire votre toilette le matin. Pas évident. Heureusement, dans un vaisseau submersible, on n’est pas seul. Et on peut circuler. Un sous-marin reste un bateau. Beaucoup plus rares sont les individus qui ont tenté, seuls, de séjourner sous l’eau, dans un habitat fixe, sans remonter à la surface pendant au moins une journée.

Des expériences sous forte pression.

Le premier aquanaute, Robert Stenuit, a passé, en 1962, une journée dans un caisson oxygéné, à 61 mètres de profondeur, dans la baie de Villefranche-sur-mer, en Méditerranée. Un biologiste australien Lloyd Godson est resté 13 jours sous l’eau, enfermé dans un petit caisson métallique biorégénérateur de la taille d’une chambre de bonne. Une algue produisant de l’oxygène et absorbant le gaz carbonique lui permettait de respirer. Son repas : du plancton. Sa boisson : de l’eau potable, issue de l’humidité dans l’air. Plutôt rudimentaire. Et pas conseillé !

Séjourner sous la mer à mille mètres de profondeur, c’est s’exposer à une pression ambiante cent fois plus importante que celle qui règne à la surface. Les conséquences de l’augmentation de pression sont ce qu’on appelle l’ivresse des profondeurs. Elle peut dégénérer vers des complications neurologiques graves, à plus de 100 mètres. Durant le temps du séjour en profondeur, l’azote contenu dans l’air se dissout alors dans le corps. Le problème est que l’azote qui constitue 79 % de l’air produit un effet narcotique à partir de 40 mètres. L’oxygène, elle, est toxique à partir de 60 mètres. Remonter à la surface n’est pas non plus une partie de plaisir. La pression diminue et les tissus vont alors restituer l’azote en sursaturation dans le corps. Si l’on ne respecte pas les paliers de décompression en remontant à la surface, le risque est de provoquer une embolie gazeuse. Les cellules ne sont alors plus alimentées en oxygène. Cela provoque la destruction des centres nerveux. Survient l’accident de décompression que connaissent certains plongeurs sous-marins.

Pour éviter pareille mésaventure, les apnéistes, qu’ils soient animaux ou humains, emportent le moins d’air possible dans leurs poumons. Ils doivent acquérir une certaine endurance à l’élévation du taux de CO2 dans le sang. En la matière, l’homme est bien moins outillé que le cachalot. Ce dernier peut rester sous l’eau jusqu’à l’épuisement total de l’oxygène disponible. D’autres accoutumances sont nécessaires pour vivre sous l’eau en respirant de l’air. Régulièrement, il faut dormir. Les espèces marines à respiration aérienne choisissent de dormir, soit au fond de l’eau, soit en surface, comme les cétacés. Faire la planche suppose toutefois de continuer à se mouvoir et rester en état de veille pour ne pas couler. Aussi bien, il n’y a pas de sommeil profond possible. Il faut s’organiser. Les dauphins accompagnent leur répit d’un mouvement constant pour ramener leur évent, l’orifice unique qui leur sert de narine au sommet de la tête, hors de l’eau. L’animal est ainsi obligé de maintenir une activité cérébrale vigilante qui lui permet de se « réveiller» au moindre bruit.

Des hommes-poissons ?

On le voit bien la vie sous l’eau, au milieu des poissons, n’est pas une sinécure. Avec des profondeurs atteintes allant jusqu’à 170 mètres, l’homme est capable de rester plus de huit minutes en apnée sous l’eau. Une prouesse mais évidemment rien à voir avec les scores des mammifères aquatiques respirant de l’air comme le cachalot, lesquels peuvent être en immersion à plus de 3000 mètres. Les tortues et les serpents marins peuvent dormir sous l’eau pendant 6 heures. Leur métabolisme leur permet de s’adapter à la vie sous-marine, de réduire et d’optimiser leur consommation d’oxygène. Jamais donc, l’homme ne sera l’égal des dauphins et le rêve de respirer sous l’eau ou de créer des mutants mi-hommes-mi-poissons , dotés de branchies est un rêve vain, si ce n’est un cauchemar. Les créatures amphibies, capables de nager à d’importantes profondeurs, que l’on trouve dans le film de Sergio Martino (« Le continent des hommes poissons », avec Barbara Bach et Joseph Cotten. 1979.) ne risquent pas d’exister. Mais avec Alon Izhar-Bodner, un inventeur israélien, il sera de plus en plus facile à l’homme de se mouvoir dans l’eau.

«Like a fish », (comme un poisson) ; tel est le nom de la société qu’il a crée. Ce plongeur avisé a inventé un dispositif permettant aux plongeurs de respirer sans bouteilles à air comprimé. Cette technique capable d’extraire l’air de l’eau, fait penser à une essoreuse de machine à laver. Centrifugée à grande vitesse, la pression de l’eau baisse alors et l’air s’en échappe sous forme de bulles. Il suffit alors de récupérer ces bulles d’air dans un réservoir. Si l’on compare avec l’électrolyse, opération qui dissocie chimiquement l’oxygène et l’hydrogène contenu dans l’eau, cet appareil a l’avantage d’être peu consommateur d’énergie.

L’inconvénient ? Le stockage. Il faut environ 200 litres d’eau centrifugée pour pouvoir respirer une minute. Une batterie importante est donc requise pour faire tourner la centrifugeuse. Le problème est que les batteries n’aiment pas l’eau et le sel. L’autre problème est le volume de l’équipement, sa grande taille réduit l’intérêt de la chose par rapport aux bouteilles. Selon les prévisions d’Alon Izhar Bodner, le système de respiration, revu et corrigé, sera attaché à un plongeur sous forme de gilet qui lui permettra de rester sous l’eau pendant une très longue période. Un prototype est déjà réalisé et le modèle complet pourrait être terminé courant 2010. Si tous les fonds financiers sont réunis, il sera commercialisé en 2014. Mais de nombreux scientifiques demeurent encore sceptiques, arguant que les qualités du dispositif ne sont pas à la hauteur des exigences métaboliques d’un humain moyen.

Aquatica, le rêve de l’Atlantide

C’est plutôt vers l’habitat sous-marin que le rêve aquatique trouve son expression la plus achevée. Dans un livre publié en 2007, « Undersea colonies », un ex chercheur de la Nasa, Dennis Chamberland décrit l’imminence d’une colonisation humaine sous la mer. Ce nouveau monde sous-marin de Dennis Chamberland, s’appellera Aquatica et une équipe de dix personnes, dont le réalisateur américain James Cameron, planchent sur le projet de colonisation sous-marine. En attendant de voir se réaliser son rêve, Dennis Chamberland et ses associés dans le projet font le pari de battre le record de temps passé sous l’eau, établi à 69 jours en 1991. Le 4 juillet 2012, ils tenteront un premier essai en s’immergeant à 60 mètres de profondeur, pendant au moins 90 jours.

Il n’y a rien de farfelu dans ce projet, soutient Chamberland à ses détracteurs qui parlent de lui comme d’un utopiste aux relents messianiques qui pense que sous l’eau la vie est meilleure et que c’est l’occasion d’une renaissance de l’homme (Lire Stefany Anne Goldberg. The smart set ). La première colonie d’Aquatica est prévue en 2015 et le promoteur de l’expérience envisage d’y passer le reste de ses jours en famille «Nous sommes les premiers humains qui vont emménager là-bas dans l’intention de ne plus jamais appeler la terre ferme notre foyer. Nous représentons la première génération qui vivra sous la mer.»

Sur son site, Atlantica Expeditions, l’ingénieur de la Nasa a créé la Ligue des Nouveaux Mondes («League of the New Worlds») pour soutenir la recherche sur les colonies sous-marines. Le module d’habitation sous-marine est conçu sur le modèle du Scott Carpenter Space Analog Station, un engin de simulation spatiale sous-marin de la Nasa, Dennis Chamberland a conçu un module d’habitation sous l’eau, le New World Explorer. Deux personnes devraient pouvoir vivre dans ce «New World Explorer » pendant des semaines, pour des essais scientifiques. L’objectif, par la suite est d’accrocher les modules les uns aux autres à la manière des stations spatiales.

L’idée qui sous-tend le projet est de remédier à la surpopulation en s’installant sous l’eau. «[Les habitants d’Aquatica] seront les premiers citoyens d’une nouvelle génération de l’océan dont le but principal sera de surveiller et protéger continuellement l’environnement océanique mondial.» explique Dennis Chamberland.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

Catégorie(s)

ARTICLES

Etiquette(s)

, , ,