Pour la deuxième fois dans l’histoire du barreau de Paris, une femme va accéder à la fonction de bâtonnier. Christiane Féral-Schuhl a capté les suffrages des avocates qui réclament une plus grande reconnaissance au sein de la profession.

La profession d’avocat s’est féminisée. Pourtant, alors que la fonction de bâtonnier créée par Saint Louis existe depuis huit siècles, une seule femme l’a exercée à Paris. En 1998, Dominique de la Garanderie, spécialiste du droit social, y était portée par ses pairs pour un mandat de deux ans. Depuis, les hommes ont repris le flambeau alors que plus de la moitié des avocats sont des femmes et que la profession continue de se féminiser. La profession serait-elle misogyne ?

Voix de femmes

Aussi, en 2010, a-t-on assisté à une véritable mobilisation de quelques ténors féminins du barreau de Paris pour qu’une avocate soit élue en décembre et accède à la fonction en janvier 2012 après une année de dauphinat. Christiane Féral-Schuhl, spécialiste du droit des technologies de l’information et de l’internet, était candidate, en tandem avec Yvon Martinet, spécialiste de l’environnement. Dominique de la Garanderie décida de la soutenir en appelant clairement au ralliement du vote féminin : « Pour savoir ce que représentent les femmes au sein de notre barreau, en nombre et en compétence, je souhaite qu’elles se mobilisent », déclara-t-elle pour soutenir sa consœur. Et pour qu’il n’y ait pas d’ambigüité sur le sens de ce soutien, les deux avocates ont participé ensemble à un débat intitulé « Etre femme et avocate en 2010 ».

Plus tôt dans l’année, Gisèle Alimi totalement engagée dans la défense de la cause des femmes, et Geneviève Augendre qui fut la première avocate d’affaires dans un univers plutôt misogyne, avaient participé avec les deux premières à un « dialogue avec des pionnières », débat retransmis sur internet. Les femmes du barreau brisaient le silence pour évoquer les problèmes spécifiques dont souffrent les avocates, et qui perdurent. Au plan national, d’après une enquête de l’Observatoire du Conseil national des barreaux, une femme sur trois quitte la profession d’avocat après six ans d’exercice. A Paris, huit avocates sur 10 estiment qu’il existe de véritables différences entre les hommes et les femmes dans l’exercice professionnel. A commencer par la rémunération qui, selon le CNB, est deux fois moins importante pour une avocate après dix ans d’exercice (60.000 euros de revenu moyen contre 120.000 pour un avocat, d’après le CNB).

L’ultime débat

Bien sûr, Christiane Féral-Schuhl et Yvon Martinet n’étaient pas seuls en lice. Dans la dernière ligne droite, la veille de l’élection du 2 décembre, l’avocat en droit pénal des affaires Pierre-Olivier Sur et la spécialiste de la santé Catherine Paley-Vincent, défendaient également leur candidature. Deux duos mixtes en compétition, avec une différence : l’un proposait de porter une femme à la fonction de bâtonnier, l’autre un homme – chacun des partenaires étant appelé à occuper le poste de vice-président.

Un ultime débat retransmis sur la chaîne Public Sénat opposa les deux équipes la veille de l’élection. Programme contre programme, des objectifs plutôt consensuels des deux côtés, rien que de très habituel… Jusqu’au moment où Pierre-Olivier Sur revendiqua le combat pour les « valeurs » et réduisit les propositions de son adversaire au seul débat « technique ». Maladresse ! Christiane Féral-Schuhl relevait l’indélicatesse en le remerciant pour « cette élégante observation ». En même temps, elle mettait de son côté toutes les avocates qui aspirent à une plus grande reconnaissance des femmes dans la profession. Le lendemain, la candidate féminine à la fonction de bâtonnier remportait l’élection par un peu plus de 51% des voix des votants, au terme d’une participation record. Les avocates parisiennes – bien sûr épaulées de confrères – s’étaient mobilisées, et le barreau vivait une révolution de palais, certes feutrée mais évidente, au sein de sa représentation.

Ainsi, Christiane-Féral Schuhl qui va fêter ses 30 ans d’expérience professionnelle et a fondé son premier cabinet en 1988, succédera en janvier 2012 à Jean Castelain, l’actuel bâtonnier. La deuxième femme bâtonnier du barreau de Paris exercera sa fonction jusqu’à fin 2013. Il n’est pas anecdotique qu’une spécialiste du cyberdroit soit ainsi mise en avant, alors que la sécurité de demain doit maintenant s’établir sur internet.