Affirmer que les jeunes ne s’engagent pas sur le plan politique est une contre-vérité. Certes, la méfiance des membres de la génération Y (nés après 1980) vis-à-vis des organisations est bien connue. Dans un monde en mutation où nous avons besoin de redonner du lien social, la question devient stratégique : Comment impliquer les jeunes dans le débat démocratique ?…

La méfiance des jeunes à l’égard de la politique

Les jeunes de la génération Y sont le reflet de la société actuelle. Leur vision est imprégnée par l’explosion des technologies de communication avec internet et les réseaux sociaux mais aussi par le 11 septembre 2001 et les 35 heures. Nés dans un monde incertain, ils sont aussi très marqués par le chômage de leurs parents, serviteurs zélés de l’entreprise, qui a 50 ans se retrouvent du jour au lendemain sans emploi. Fini le rêve de l’emploi à vie, du contrat social et de l’entreprise paternaliste.

Pour les jeunes, les idéologies politiques font partie de l’histoire du 20ième siècle. Les références apportées naguère par la famille, l’église ou l’armée n’ont pas le même poids. Celles des pairs est souvent plus déterminante que celle du père. Ils ont assisté à la déliquescence de grandes institutions comme l’ONU incapable de faire respecter la moindre résolution au Moyen Orient. Peu de chance aussi que la crise financière des « subprimes » avec plus 500 milliards de dollars de perte apporte une quelconque légitimité au Fond Monétaire International (FMI).

Les jeunes ne font pas confiance aux organisations qu’elles soient entreprises, partis politiques et syndicats. Les professionnels de la politique manquent à leurs yeux de crédibilité. Les discours « langue de bois » sont rapidement critiqués, eux si sensibles à l’authenticité et à la transparence des émotions.

La prise de conscience est réelle

A ce propos, il est intéressant de constater que le Congrès National de la CGT a consacré en décembre 2009, à Nantes, une partie conséquente de son temps à la problématique du recrutement des jeunes. En effet, seulement 7 % des syndiqués ont moins de 30 ans. Il a été décidé d’innover les modes d’organisation pour être efficace et plus proche d’un salariat en pleine mutation. Dans le même temps, nous savons que la CFDT a mis en place une structure pour développer l’engagement des jeunes.

Les partis politiques ont bien compris l’enjeu et s’évertuent à attirer les jeunes sur leurs sites. Une enquête en 2010 du cabinet Medias permet de constater que seulement 2 % des visites concernent la tranche 17/24 ans. De quoi s’inquiéter sur le fossé entre les attentes des jeunes et le discours des politiques.

Certes, ce phénomène n’est pas typiquement français, il suffit de voir l’effondrement ces dernières années des adhésions des jeunes dans les partis politiques et les syndicats aux Etats Unis et au Canada pour imaginer ce que cette réalité va provoquer en France dans les années à venir.

Les aspirations des jeunes

En même temps, il n’échappe à personne que les jeunes sont intéressés par les questions de justice et de protection de l’environnement. Le mouvement altermondialiste dans sa diversité incarne bien aujourd’hui cette sensibilité.
La théorie de la « décroissance » recueille aussi de nombreux échos dans la jeunesse. Certains se définissent comme des « objecteurs de croissance » du fait de l’épuisement des ressources énergétiques, du dérèglement climatique et du problème posé par la destruction des déchets. Il faudrait de 3 à 8 planètes pour permettre à la population mondiale de vivre comme un européen. Pour les citoyens du monde que sont nos jeunes, la maîtrise de la croissance est devenue un enjeu vital.

Dans le prolongement d’une telle approche, l’éco-responsabilité est un style de vie qui donne du sens et une application concrète. Chacun doit être exemplaire dans sa manière de consommer voire de se déplacer. Nos jeunes préfèrent le pragmatisme aux grandes théories… et plus que d’en appeler à la toute puissance de l’état, ils préfèrent croire à l’implication individuelle. Ils ne prétendent pas révolutionner cette société mais ont l’ambition de peser sur les décisions qui les concernent.

Les jeunes se refusent à signer un chèque en blanc à une quelconque organisation, sans pouvoir exercer un contre-pouvoir. La lucidité caractérise leur engagement. En cela, l’élection d’Obama représente un exemple intéressant de l’influence à laquelle les jeunes peuvent prétendre dans le débat politique.

Un exemple : l’élection d’Obama

Cette génération ne vote pas pour un parti. Elle vote pour des idées mais aussi pour une personne. La logique rationnelle n’est pas suffisante pour les mobiliser, ils ont d’émotions. Ces jeunes sont fascinés par le monde du spectacle et le charisme est une donnée décisive dans leur engagement.

La génération Y est à l’origine de l’élection d’Obama car ils ont appuyés massivement sa campagne sur le net. En utilisant les outils interactifs du web 2.0, Obama a changé la manière dont les politiciens fédèrent habituellement les soutiens, assurent la promotion de leur campagne, se défendent contre les attaques des adversaires. Les clips vidéo gratuits sur « You Tube » furent plus efficaces que les spots publicitaires diffusés sur les grandes chaînes de télévision.

Les hommes politiques doivent désormais se méfier de ce qu’ils disent ou font car ils sont entourés par des milliers de journalistes citoyens qui reportent leurs faits et gestes, en temps réel, sur les réseaux sociaux.
Aujourd’hui, Obama mesure qu’il doit composer avec le Congrès mais qu’il a dorénavant en temps réel sur le net un contre-pouvoir encore plus puissant et réactif.

Les hommes politiques français expérimentent aussi cette réalité. Ce qui est « off » pour les journalistes peut très facilement devenir « on » pour des internautes disposant d’un téléphone portable.
Le monde politique va devoir très vite composé avec ces jeunes comme devront le faire aussi les entreprises.

L’engagement des jeunes

Trouver des thèmes sur lesquels les jeunes se mobilisent n’est pas difficile. Il suffit pour cela d’apprécier la richesse des interactions sur facebook, twitter ou bien encore surfer sur cette kyrielle de blogs où l’information circule.
Toutefois, l’interrogation subsiste lorsqu’on voit le faible nombre de jeunes impliqués au sein des associations dans lesquelles ils devraient trouver naturellement leur place.

Voici quelques idées qui devraient permettre de réduire la distance et l’intégration des jeunes dans la vie associative :

 1 Etre présent dans les réseaux sociaux pour stimuler leur participation active
Ne pas attendre qu’ils viennent frapper à la porte mais se donner les moyens d’être présent dans les réseaux sociaux. Provoquer plutôt que subir la relation. Les moteurs de recherche peuvent à travers quelques mots clés (tags) donner les moyens d’être présent là où il faut sans investir une énergie démesurée…

 2. Favoriser l’interactivité et le recours aux outils du Web 2 : blog, forum, vote…
Il est sûr que les pratiques de communication des associations paraissent désuètes. Elles privilégient encore trop souvent l’information descendante, là où les blogs favorisent l’échange. Ne pas attendre d’être au clair sur un projet ou sur un plan d’action pour communiquer. Les associations doivent apprendre à s’ouvrir sur leur environnement. A titre d’exemple, Apple a sollicité les idées des chercheurs, des entreprises mais aussi celles de ses clients pour développer les nombreuses applications de son iphone bien avant la mise sur le marché de son produit.

 3. Accepter un engagement sur un projet précis et dans un temps limité
Les jeunes n’apprécient pas les organisations mais ils peuvent tout à fait accepter de faire un bout de chemin pour défendre un projet. Les associations sont elles capables de dépasser l’idée qu’il faut s’encarter pour avoir le droit de s’impliquer. Il devient urgent de mettre de la souplesse sur cette question au risque de se priver des apports de nos jeunes qui n’apprécient guère les contraintes.

 4. Pouvoir apporter librement ses idées sans contraintes horaires, ni de lieux…
Là encore, la réunion dans les associations est le mode de fonctionnement privilégié. L’expression collective la démarche la plus fréquente. Il devient indispensable de repenser ce mode de fonctionnement en utilisant au mieux les nouvelles technologies. A tout moment, un jeune doit pouvoir apporter sa contribution personnelle sans subir la contrainte de devoir le faire avec la validation d’un groupe.

 5. Eviter le formalisme : aller à l’essentiel, le fond plus que la forme…
Les jeunes n’aiment pas écrire c’est bien connu. Il privilégie aussi l’efficacité au respect de rituels qui laissent notamment la part belle à la communication écrite, aux effets de style et aux références historiques.
Faut-il considérer que le format de twitter limitant une information à 140 caractères puisse devenir la norme à retenir pour communiquer ?… En tous les cas, les jeunes apprécient la réactivité et la force des idées.

 6. Favoriser à travers le web le travail collaboratif plutôt que la production individuelle
Développer son pouvoir d’influence pour un jeune passe par la capacité à partager l’information et à l’enrichir. Les jeunes ne veulent pas se retrouver anonymes au sein d’un groupe. Les réseaux sociaux savent à la fois privilégier l’émulation individuelle mais aussi la coopération.

Un outil comme le « mapping mind » ou carte heuristique concilie la rigueur de la méthode et l’ouverture du champ des possibles. Les jeunes sont multi tâches. Ils ressentent le besoin de se retrouver dans des schémas ouverts où l’on peut ouvrir en même temps plusieurs pistes…

 7. Travailler dans le plaisir et la convivialité
Les associations savent répondre au besoin relationnel mais parfois les méthodes de travail restent routinières et répétitives. De quoi très vite faire zapper nos jeunes qui sont impatients et supportent mal le poids des habitudes. Il est possible de travailler sérieusement par le biais de méthodes d’animation qui laissent la part belle au plaisir, à l’innovation et à la créativité.

 8. Privilégier la motivation d’agir au statut ou à l’expertise reconnue
Le leadership est multiple et l’envie d’agir doit primer sur le statut ou l’expérience acquise. Il n’est pas certain que les associations soient plus performantes que les entreprises sur cette question. Les jeunes font peur parfois parce qu’ils ne respectent pas les convenances. Quelle est la place laissée aux jeunes ?… Est-il reconnu pour ce qu’il est ou pour ce qu’il représente…

*Directeur associé. THERA Conseil , spécialiste du management intergénérationnel et co-auteur avec Catherine Tanguy en 2008 de l’ouvrage « Génération Y mode d’emploi – intégrez les jeunes dans l’entreprise -» aux éditions De Boeck Université, Bruxelles, novembre 2008.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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