En marge des élections du 3 octobre, en Bosnie, l’ancien Haut Représentant de la communauté internationale en Bosnie-Herzégovine, explique que l’« architecture institutionnelle » imposée par l’accord de Dayton, signé le 14 décembre 1995, est le maillon faible du système politique et institutionnel.

– Vous avez quitté la Bosnie-Herzégovine en 2002. Est-ce que vous gardez encore des liens avec ce pays ?

Wolfgang Petrisch – « Je garde des liens forts avec la Bosnie-Herzégovine. Je maintiens le contact avec mes nombreux amis bosniens et, de temps en temps, je vais à Sarajevo et à Mostar où je soutiens notamment depuis plusieurs années United World Colleges. Il s’agit d’une école internationale privée, située au cœur de Mostar, comptant 35 nationalités ; la moitié des étudiants sont des Bosniens de toute la Bosnie-Herzégovine. UWC Mostar est un bel exemple de réussite. Tous ces jeunes, venus du monde entier, ensemble à Mostar… et ça marche ! Pourquoi pas alors pour les différentes communautés culturelles de Bosnie-Herzégovine. Je reste optimiste.

– Pourquoi la Bosnie-Herzégovine vous a-t-elle marquée particulièrement ?


W.P.
– « La Bosnie-Herzégovine est un pays qui a tellement marqué toute ma famille que nous parlons tous la langue. Pourquoi ? Trois aspects expliquent cet état de fait. Il y a d’abord une histoire commune entre la Bosnie et la monarchie autrichienne. Il y a aussi l’histoire de l’Autriche qui ressemble sous certains aspects à celle de la Bosnie-Herzégovine, je pense notamment à certains périodes d’après-guerre. L’Autriche a été également confrontée à la pauvreté et à des conflits internes ; malgré tout, elle a réussi à se relever, c’est ce que je souhaite aussi à la BH. Enfin, la Bosnie-Herzégovine aspire à intégrer l’Union Européenne. Elle peut s’inspirer ici de l’expérience autrichienne en matière d’intégration et aussi de bonne entente avec ses pays voisins… malgré une histoire difficile ».

– Comment jugez-vous la situation en BH ces dernières années ? Est-ce qu’elle s’améliore ou au contraire, vous avez l’impression que les choses s’empirent ?

W.P. – « Les 5 premières années après Dayton se laissent caractériser par la reconstruction et la consolidation de la paix. Très malheureusement, plusieurs erreurs irrémédiables qui ont été commises. Je songe ici par exemple à la non intervention de l’IFOR (OTAN) qui aurait dû, dans l’immédiat après-guerre, empêcher l’exode de quelque 70’000 Serbes de Sarajevo. Manipulés par les extrémistes serbes, ces personnes ont quitté leur ville et contribué ainsi à une « division ethnique » du pays.

De 2000 à 2005, on a pu mettre en œuvre de nombreuses réformes, assurer le retour des réfugiés et personnes déplacées, améliorer des relations de bon voisinage, en particulier avec la Croatie. Enfin, l’adhésion au Conseil de l’Europe le 24 avril 2002 marque une étape importante dans le processus d’intégration à l’Europe. Ce processus culmine le 25 novembre 2005 avec l’ouverture des négociations d’un Accord de stabilisation et d’association (ASA). En revanche, depuis 2006, force est de constater que le conflit épique entre Haris Silajdzic et Milorad Dodik bloque tout progrès, pire : défait ce qui a été patiemment construit pendant une décennie.

Depuis, la Bosnie-Herzégovine se trouve dans une impasse et ne sait comment en sortir. Ce blocage, le manque de volonté politique d’« aller de l’avant », a progressivement éloigné la BH de l’Europe et de la communauté internationale ».

– Vu de Paris, Bruxelles ou de Vienne, quelle est l’image que vos collègues européens ont de ce pays ?

W.P. « L’image de la Bosnie-Herzégovine est toujours surdéterminée par le conflit. Encore aujourd’hui, la guerre et ses conséquences est encore omniprésente dans le discours politique des leaders locaux ; c’est cette réalité médiatisée à l’étranger. La « politique de la manipulation » de la guerre, les différentes représentations antagonistes du conflit constitue pour les Bosniens un double échec. Après une guerre avec son lot de tragédies, la Bosnie-Herzégovine fait toujours face à un problème politique. Soulignons que l’« architecture institutionnelle » imposée à Dayton est le maillon faible du système politique et institutionnel. Je vois cependant en Autriche, mais aussi ailleurs en Europe, de nombreux Bosniens qui réalisent de grandes choses et qui réussissent très bien. Ces personnalités, des artistes mais aussi des hommes d’affaires donnent un image positive du pays. Pourquoi la réussite ne serait-elle pas possible en Bosnie-Herzégovine ? Parce que il y a un problème politique ! Il importe de le résoudre ».

– Est-ce que vous regrettez de ne pas avoir fait quelque chose lors de votre mandat du Haut représentant en BH ?

W.P. – « Le plus grand regret que j’ai, c’est de ne pas avoir initié des réformes dans le domaine de l’éducation ; ce qui, encore aujourd’hui, n’a malheureusement pas été fait. C’est dramatique. L’éducation, c’est la base pour le changement ».
Zehra Sikias
Wolfgang Petrisch est aujourd’hui ambassadeur d’Autriche auprès de l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE) à Paris. Pour autant, le diplomate autrichien d’origine slovène garde encore un œil sur la BH

 Cet article a été publié dans la newsletter n°36 de bhinfos
http://www.bhinfo.fr/spip.php?page=article&id_article=1223

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

Catégorie(s)

SANTE

Etiquette(s)

, ,