Mardi 11 mai 2010

« Pensez-vous que la Grèce remboursera les prêts accordés par l’Europe ? » « Pensez-vous que la crise grecque puisse s’étendre à l’Espagne ? » ou encore « Nicolas Sarkozy a-t-il bien géré la crise de l’euro ? »

On pourrait penser que ce genre de questions, proposées chaque jour en page d’accueil du Figaro.fr, sont posées à des experts, des spécialistes patentés. Pas du tout. Elles le sont aux lecteurs internautes qui ne peuvent que cocher « oui » ou « non » pour y répondre. Il s’agit donc d’une sorte de sondage, dont on n’a d’ailleurs jamais la réponse (ou alors elle est bien cachée dans l’arborescence du site).

Ce type de questions me laisse pantois.

Qu’est-ce que le journaliste (ou le webmaster) qui les soumet au lecteur de passage peut bien en attendre ? Déjà un économiste aurait du mal à y répondre clairement. Il serait obligé de vaticiner en faisant semblant d’y comprendre quelque chose. Et bien sûr, il finirait par dire « ça dépend, ptêt ben qu’oui, ptêt ben qu’non ». Déjà qu’aucun n’a été capable de prédire quoi que ce soit de la crise en elle-même.

Mais là, pas question de tergiverser et d’avancer la moindre argutie. C’est oui ou c’est non. Supposons que moi, quidam, qui n’ai absolument aucune idée de la capacité de la Grèce à rembourser ses dettes, je décide quand même de faire part de mon intime conviction. Je coche une réponse (je ne vous dirai pas laquelle !). Nous sommes quelques centaines à cocher et finalement 40 % pensent que les Hellènes pourront s’acquitter de leur dette et 60 % qu’ils n’y parviendront pas.

Et alors ? Qu’est-ce que ça apporte ? Ça ne changera rien au fait que la Grèce, dans la réalité, remboursera ou non les milliards empruntés. Ou que l’Espagne sera touchée. Ou que le Président aura bien ou mal géré la crise. Ça n’est ni une information, ni un commentaire, ni une analyse, ni même un sondage, ce que ça prétend plus ou moins être. Un sondage d’opinion peut donner une indication sur l’état d’esprit de la société. Ceux-là n’en disent rien, car ils sont totalement aléatoires.

Ce sont des questions virtuelles posées sur un support virtuel et qui n’amènent que des réponses virtuelles.

On perçoit bien, ici, les dérives de « l’interactivité ». Il faut faire participer les internautes pour qu’ils aient l’impression d’être des acteurs de l’information et surtout qu’ils aient envie de revenir sur le site. Il faut les faire réagir pour créer du « trafic ».

Alors on pose n’importe quelle question sans même s’interroger sur sa validité, son intérêt. Je vois la scène, dans la salle de rédaction : « Eh, les gars, qu’est-ce que je pourrais poser comme question aujourd’hui ? »

Je suis sympa, je vais l’aider, le préposé aux questions du Figaro.fr.

Voici quelques idées pour les jours qui viennent : « Pensez-vous que Carla Bruni aurait dû s’habiller en Chanel pour aller à Cannes ? », « Y a-t-il une vie avant la mort ? », « Selon vous, notre univers est-il né d’une infime variation de la soupe quantique ? », « Souhaitez-vous qu’on abaisse l’âge de la retraite à 50 ans ? », « Ribéry va-t-il épouser Zahia D. ? », « Est-ce que je vais gagner le gros lot au prochain tirage du Loto ? »

Répondez par oui ou par non !

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Au sujet de Bruno Tilliette

Bruno Tilliette est journaliste indépendant, ancien rédacteur en chef des revues Autrement, Management et conjoncture sociale et Dirigeant. Il tient une chronique régulière sur place-publique.fr depuis plusieurs années. Il est également auteur ou coauteur d’une dizaine d’ouvrages portant sur la communication et le management en entreprise, l’éducation et la formation ainsi que sur l’évolution de la société française.

Catégorie(s)

Le Magazine, Médias et démocratie

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