En marge du Débat public sur les nanotechnologies

*Extrait du livre : « Les nanotechnologies, espoir, menace ou mirage ? » Editions Lignes de Repères. (www.lignes-de-reperes.com)

1. Les nanosciences sont elles un domaine nouveau ?

Rien de très nouveau sous le ciel des nanosciences ! Cela fait plus d’un demi-siècle que physiciens, chimistes et biologistes étudient le comportement de la matière à l’échelle du nanomètre, l’échelle à laquelle évoluent atomes et molécules. Les biologistes qui travaillent spécifiquement sur des enzymes ou les ribosomes sont par la nature même de leur activité les premiers concernés. Tous les spécialistes des molécules peuvent dire qu’ils font de la nanoscience, et cela depuis la révolution de la biologie moléculaire. En fait, les nanosciences ne doivent leur appellation qu’au fait que l’on peut désormais observer et mener des expériences à l’échelle atomique. Finalement, la nouveauté, c’est que pour la première fois, la compréhension à l’échelle atomique des propriétés de la matière, a mené à une unification croissante des sciences de la physique, de la chimie, et de la biologie. Cette réunion en une pluridiscipline ouvre des perspectives de développement à des recherches trop fermées sur elles-mêmes.

2. Pourquoi les scientifiques n’aiment pas trop parler des nanotechnologies ?

Bric à brac, fourre-tout, poudre aux yeux… à l’évidence les scientifiques restent distanciés quand on les interroge sur les nanotechnologies, même s’ils sont impliqués en direct dans des observations ou manipulations à l’échelle du nanomètre. « Beaucoup de bruit pour rien », comme aurait dit Shakespeare. Le phénomène des « nanos » rappelle un peu l’enthousiasme pour la « supra » (supraconductivité à haute température) à la fin des années 80, expliquent les chercheurs. On se souvient également de l’engouement dans les années 80 pour la thérapie génique. Les biologistes étaient convaincus que l’année 2000 verrait sa consécration. L’année mythique est aujourd’hui passée et cette technique, certes prometteuse, demeure au stade de projets de recherche. Avec les nanotechnologies, il est possible que l’histoire se répète de la même façon. Certes, il existe des techniques de production à l’échelon nanométrique, certes de nombreuses recherches font état d’avancées majeures dans ce domaine. Mais aujourd’hui, la fiction précède la science et le marketing devance les connaissances. Par dessus tout, la confusion entre la réalité des nanotechnologies, leurs potentialités, et la science-fiction est très répandue.

3. Où en est l’avancée de la recherche dans ces domaines ?

Pour nombre de chercheurs, quand on parle de nanosciences, il faut raison garder. On est encore loin de tout ce qui est annoncé. Et on est même pas sûr que tout cela va marcher. Un rapport de l’Otan soutient que beaucoup d’applications relèvent encore de la littérature d’anticipation. Dans l’état actuel des recherches, on n’a toujours aucune idée de la façon dont on peut créer de nanorobots et on ne sait pas si cela est d’ailleurs possible. La fabrication de machines moléculaires, capables de se dupliquer est loin d’être faisable. Richard .Smalley, le prix Nobel, met en avant deux difficultés majeures, le phénomène des doigts collants – la forte adhérence de la matière à l’échelle nanométrique – , et le phénomène des gros doigts – limitations imputables au nombre de liaisons chimiques que peut établir un atome. On n’arrive même pas à pousser sur une molécule pour la faire tourner sur une surface. Comment dans ces conditions piloter un nano-robot moléculaire pour intervenir sur telle ou telle cellule ? Une chose est sûre : on a encore besoin de la science fondamentale pour faire progresser les connaissances. Face à la pression industrielle, la recherche sur les nanosciences doit se préserver des espaces de liberté et d’indépendance, sans quoi la créativité des chercheurs risque de s’enfermer dans des cadres trop étroits de rendement. C’est à cette condition que les véritables percées conceptuelles existent. On créé un domaine nouveau non avec des mots mais avec des idées. Pour les scientifiques, le progrès n’est ni continu, ni univoque, ni cumulatif comme l’affirmait le scientisme. Il emprunte des chemins divers et complexes, souvent imprévisibles.

4. Sous prétexte de risque nanotechnologique, doit-on arrêter les recherches ?

S’opposer au fait qu’une connaissance nouvelle puisse produire des applications est illusoire. Bloquer ce processus serait forcément autoritaire mais de toute manière transitoire ou de perte de temps. La science et la technologie ont toujours susciter la volonté chez certains d’arrêter le progrès, par exemple quand les transports sont devenus plus rapides. Ou quand internet a affranchi les distances. La connaissance ne se bloque pas sauf dans les régimes dictatoriaux ou intégristes. La question est plutôt : comment maîtriser l’insertion des technologies dont le propre est de produire aussi bien des dommages que des bienfaits.

5. Faut-il avoir peur des nanos ?

Le pessimisme radical qui était déjà l’apanage du mouvement romantique, dans la deuxième moitié du siècle dernier, refait surface avec le doute tenace sur la capacité des hommes à maintenir la planète en bon état. Aujourd’hui, avec l’écologie, ce qui compte, c’est de préserver la nature . Ce n’était pas le cas pour nos ancêtres qui ont passé leur temps à vouloir échapper à son impitoyable contrôle pour s’en rendre « maître et possesseur », comme le disait Descartes. Pour les pessimistes, la science n’est plus synonyme de progrès, de liberté, de bonheur comme l’entend l’esprit des Lumières, mais au contraire d’inquiétude et de risque. Ce pessimisme a toujours existé pour tout et n’importe quoi. Le nouveau appelle le doute. La technologie suscite peur et fascination. Bien-être et meilleur environnement, d’un côté, toxicité et terrorisme, de l’autre, on le voit bien, les nanotechnologies peuvent servir le meilleur comme le pire. Une chose est sûre, la peur est mauvaise conseillère. Elle ne révèle rien, elle est productrice de panique ou de pulsion, de repli religieux ou mystique, de recherche de bouc-émissaires. Les mises en garde contre la menace, qu’elle soit technologique, militaire, ou naturelle, s’épuisent dans le vertige métaphysique. Comme le disait Richard P Feynman, « il importe de comprendre que ce pouvoir de faire des trucs nouveaux n’instruit en rien sur la façon de l’employer. Les fruits de ce pouvoir peuvent être soit bons soit mauvais, selon l’usage qu’on en fera.

6. Ou avoir confiance ?

Les optimistes supposent que la société, la connaissance est capable de surmonter les risques. Elle peut même prévenir d’éventuels dégâts à force d’explications et de débats. On peut d’ores et déjà rassurer les anxieux en soutenant que si la nanotechnologie s’inscrit dans la vie quotidienne, rien ne changera radicalement en apparence. On éprouvera toujours le même plaisir à s’asseoir à la terrasse d’un bistrot. Sans doute même plus car sur le boulevard le bruit des moteurs devrait en toute hypothèse, rester silencieux. A peine un bourdonnement. Le méthanol utilisé dans les piles à combustible remplacera l’essence. Il n’en reste pas moins vrai que l’on devra rester vigilant sur les questions de toxicité et de risques liées aux libertés individuelles provoqués par ces technologies invisibles. Mais cette vigilance ne doit pas être obsessionnelle, mais citoyenne. Elle concerne toutes ces catastrophes quotidiennes qui nous échappent car elles ne figurent pas dans l’inventaire des tragédies mythiques nouvelles. C’est maintenant que la science et la société doivent produire ensemble les outils permettant de maintenir le cap du progrès et de sa régulation sociale. Certains parleront de foi en l’homme, d’autres de confiance dans sa lucidité ou de sa capacité à trouver des solutions.

7. Que faut-il faire pour maîtriser leur développement ?

Depuis que les atomes sont visibles, l’ingénierie au niveau nanométrique n’est plus seulement un objet de laboratoire, c’est devenu un objet social. L’absence d’un vrai débat sociétal se fait sentir. La question de la responsabilité de la science est devenue trop sérieuse pour qu’on laisse le soin de conclure aux seuls scientifiques. « Si vous ne vous intéressez pas aux nanotechnologies, ce sont elles qui s’intéresseront à vous » (*Jean-Louis Pautrat, auteur de Demain le nanomonde. Fayard 2002). Parce qu’une aventure audacieuse doit rendre des comptes, elle implique un contrôle scientifique. L’ignorance est mauvais juge. C’est la sagesse du raisonnement scientifique qui impose de ne pas céder aux fantasmes de l’irrationnel. Le débat est nécessaire pour permettre aux gens de prendre conscience de la vitesse des changements technologiques dans les 25 prochaines années et pouvoir appréhender cette mutation . La vraie question reste celle de la régulation éthique et sociale.

*Extrait du livre : « Les nanotechnologies, espoir, menace ou mirage ? » Editions Lignes de Repères. (www.lignes-de-reperes.com)

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

Catégorie(s)

ETUDE, Le Magazine, Sciences et société

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