Au-delà de l’EPR, dérivé des réacteurs à eau pressurisée (REP) actuels, qu’attendre des centrales nucléaires du futur ? La quatrième génération de réacteurs à fission, dont le déploiement industriel est attendue pour 2040, marquera une véritable rupture technologique. A plus long terme, les chercheurs travaillent sur la fusion nucléaire.

Henri Safa, physicien, travaille à la Direction scientifique de la Direction de l’énergie nucléaire du Commissariat à l’Énergie Atomique (CEA).

Propos recueillis par Guy-Patrick Azémar.*

En quoi les réacteurs de 4e génération seront-ils « révolutionnaires » ?

Ils ressembleront probablement aux modèles actuels dans leur apparence, mais pas dans leur technologie. Les réacteurs de 2e génération – actuellement en service – ou de 3e génération – tel que l’EPR en cours de construction – consomment de l’uranium 235, l’isotope fissile de l’uranium naturel, dont les ressources planétaires ne sont pas illimitées.

Cette situation n’est pas durable, surtout dans une perspective de développement du parc nucléaire mondial. Si nous voulons continuer à produire demain de l’électricité par ce moyen, il faut faire appel à de nouveaux types de chaudières nucléaires. La solution réside dans le développement de réacteurs à neutrons rapides (RNR) [qui utiliseront l’uranium de façon bien plus efficace].

Des prototypes ont démontré depuis longtemps leur faisabilité. Il faut toutefois encore travailler à la fois sur la conception de ces réacteurs et sur le cycle du combustible pour utiliser au mieux la matière fissile : c’est pourquoi on parle plutôt de systèmes nucléaires du futur.

Qu’apporteront ces systèmes nucléaires du futur ?
Dans le domaine de la sûreté, il s’agira de faire aussi bien (ou mieux, si possible) que l’EPR, qui définit un standard pour les décennies à venir. Parallèlement, la 4e génération doit garantir une production d’énergie dans une vision long terme, avec deux objectifs majeurs.

Le premier est la durabilité des ressources. Les réacteurs actuels font un véritable gâchis de matière première en brûlant seulement une très faible partie de l’uranium. En régime de croisière, les systèmes de 4ème génération fabriqueront autant de matière fissile qu’ils en consommeront. Il faudra pour cela les alimenter en uranium naturel [mais] les ressources s’en trouveront multipliées par 140. Avec un parc mondial composé de réacteurs RNR, les réserves en uranium passeraient de quelques centaines d’années à plus de vingt mille ans. Les RNR pourront aussi brûler du thorium 232, un autre élément très abondant dans certaines parties du monde. La crainte d’une pénurie de combustible sera derrière nous !

Un autre grand objectif consiste à minimiser les déchets nucléaires. Lorsqu’ils absorbent un neutron rapide dans le cœur d’un RNR, les « actinides mineurs », éléments les plus dangereux, car hautement radioactifs et à vie longue, peuvent être soit fissionnés, soit transformés en d’autres éléments à vie courte. À la sortie d’un système de 4ème génération, ne resteront alors que les déchets ultimes, c’est-à-dire les produits de fission dont la durée de vie ne dépasse guère 30 ans.

Enfin, ces réacteurs de demain seront « multi-applications », c’est-à-dire capables de produire de l’électricité, mais aussi de la chaleur, de l’hydrogène et de l’eau douce (par dessalement de l’eau de mer).

On parle aussi de réacteurs à très haute température, de quoi s’agit-il ?

Les réacteurs à très haute température (VHTR) ne sont pas à neutrons rapides : utilisent des neutrons modérés par une large masse de graphite et refroidis par circulation d’hélium. Leur cœur, très réfractaire, peut fonctionner à des températures très élevées (jusqu’à 1 200°C au lieu de 300°C pour les centrales actuelles), ce qui donne d’excellents rendements énergétiques.

Dotés d’une grande inertie thermique, ces réacteurs se montrent aussi particulièrement sûrs. Ils offrent de multiples possibilités d’utilisations industrielles : cogénération d’électricité et de chaleur, d’électricité et d’hydrogène, production de carburants de synthèse, etc. C’est à ce titre qu’ils ont été retenus parmi les réacteurs de 4ème génération.

À quand l’arrivée des premiers réacteurs industriels ?
La validation complète des nouveaux systèmes de 4ème génération requiert encore un gros effort de recherche et de développement. […] Cela renvoie à 2020 environ la construction d’un premier démonstrateur, et le déploiement industriel à l’horizon 2040.

Et la domestication de la fusion nucléaire, c’est un rêve ?
L’énergie nucléaire peut être en effet libérée de deux façons : soit comme dans les réacteurs actuels, par fission (cassure) de noyaux lourds (par exemple l’uranium), soit comme dans les étoiles, en fusionnant des noyaux légers. Parmi les réactions de fusion possibles, la plus intéressante à réaliser sur Terre assemble les noyaux de deux isotopes de l’hydrogène, le deutérium et le tritium.

Cette fusion crée un noyau d’hélium, tout en libérant un neutron et une énorme quantité d’énergie : 1 gramme d’un « mélange » deutérium + tritium pourrait idéalement donner autant d’énergie que 5 tonnes de pétrole, soit environ 55 MWh ! Le problème est de vaincre la force électromagnétique qui sépare les noyaux, tous deux de charge électrique positive (un peu comme deux aimants qui s’opposent).

Afin de franchir cette barrière et d’amener les noyaux de deutérium et de tritium à se rapprocher assez pour fusionner, il faut leur donner beaucoup d’énergie, en les portant à très haute température : au moins 100 millions de degrés, plus qu’au cœur du Soleil. Et si l’on veut récupérer de l’énergie, il faut pouvoir confiner assez de matière dans un temps suffisamment long pour franchir un seuil au-delà duquel la réaction s’entretient elle-même par la chaleur dégagée, libérant alors davantage d’énergie qu’elle n’en consomme. Restera ensuite à transformer cette énergie en électricité ou en chaleur utile, comme dans une centrale classique.

Quels seraient les avantages de ce mode de production d’énergie ?
À condition de la maîtriser, l’humanité y trouverait une source d’énergie abondante et bien répartie sur la planète, sûre et relativement propre. L’eau de mer contient du deutérium, à raison de 30 g par m3. Le tritium, noyau très radioactif dont la période est de 12,3 ans, n’existe pas à l’état naturel sur la Terre.

Il s’obtient en bombardant de neutrons des noyaux de lithium, un élément présent en quantité dans la croûte terrestre et l’eau de mer : les réserves se chiffrent en milliers d’années, comme pour l’uranium. À la différence de la fission, la fusion est une réaction qui peut difficilement s’emballer ; pour l’arrêter, il suffit de cesser de l’alimenter en combustible. Enfin, la fusion nucléaire n’engendre que des déchets radioactifs à courte durée de vie.

Serons-nous un jour capables la maîtriser ?

C’est déjà ce que l’on va essayer de faire avec le réacteur ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor), dont la construction a démarré à Cadarache (Bouches-du-Rhône) et qui entrera en service dans une dizaine d’années. Le technique utilisée (dite par « confinement magnétique ») consiste à enfermer et à échauffer un plasma (gaz formé de particules ionisées) peu dense pendant des temps très longs, à l’intérieur de parois immatérielles grâce à des champs magnétiques, dans des machines en forme de tore (c’est-à-dire de gros pneu) appelées « Tokamaks ». Cette méthode a permis par le passé d’obtenir des réactions de fusion pendant quelques secondes, au prix d’une formidable dépense d’énergie : le jeu n’en vaut donc pas la chandelle.

ITER va-t-il faire mieux ?
Il doit permettre de produire une réaction donnant 5 fois plus d’énergie que celle fournie au départ, pendant… 1000 secondes. On est donc encore loin d’une réaction entretenue 24 heures sur 24 : restent à trouver un moyen de contenir le plasma durablement, des matériaux capables de supporter ces conditions extrêmes, un caloporteur permettant d’extraire l’énergie, etc. Si tout va bien, la construction d’un véritable prototype de réacteur de fusion pourrait s’engager vers 2040-2050. Le passage au modèle industriel suivrait une vingtaine d’années plus tard, si sa pertinence économique se confirme.

Quels seraient les avantages de ce mode de production d’énergie ?
À condition de la maîtriser, l’humanité y trouverait une source d’énergie abondante et bien répartie sur la planète, sûre et relativement propre. L’eau de mer contient du deutérium, à raison de 30 g par m3. Le tritium, noyau très radioactif dont la période est de 12,3 ans , n’existe pas à l’état naturel sur la Terre. Il s’obtient en bombardant de neutrons des noyaux de lithium, un élément présent en quantité dans la croûte terrestre et l’eau de mer : les réserves se chiffrent en milliers d’années, comme pour l’uranium. À la différence de la fission, la fusion est une réaction qui peut difficilement s’emballer ; pour l’arrêter, il suffit de cesser de l’alimenter en combustible. Enfin, la fusion nucléaire n’engendre que des déchets radioactifs à courte durée de vie.

Coopérations planétaires

La recherche sur les réacteurs de 4e génération  fait l’objet d’une coopération internationale dans le cadre du Forum international génération IV, lancé en 2000, qui regroupe 13 pays membres : Argentine, Brésil, Canada, Chine, France, Japon, Corée du Sud, Afrique du Sud, Suisse, Royaume-Uni, Russie, États-Unis et Union européenne. Ces pays ont établi un cahier des charges fondé sur des critères industriels (rentabilité et économie de ressources), environnementaux (sûreté et minimisation des déchets) et politiques (réduction des risques de prolifération).

La complexité de la fusion nucléaire a également poussé les pays à
regrouper leurs efforts, d’abord au niveau européen (Euratom), puis à l’échelle internationale. De nombreuses installations expérimentales (dont Tore Supra en France et le JET au Royaume-Uni) ont précédé ITER. Ce dernier associe l’Union européenne, les États-Unis, la Russie, la Chine, la Corée du Sud, l’Inde et le Japon.

* Ce texte est extrait de l’ouvrage Le Nucléaire, quel intérêt pour la planète. 85 questions à Henri Safa, Spécifique éditions, 2008.

Au sujet de Claire Marzin

Claire est coordinatrice de projet pour Place Publique, rédactrice et documentaliste pour Canal Plus, Télérama, Les Echos et Place-Publique. Claire Marzin est la webmaster des sites Place-Publique.fr et Place-Publique Edition. Spécialiste de la gestion de contenus, elle conseille et accompagne les petites entreprises et les associations dans la création ou la refonte de leur site internet. Sa formation de documentaliste et la gestion des services de Documentation du Nouvel Economiste, de Management et de La Tribune, l'ont naturellement conduite à la production de contenus pour site internet.

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