A l’occasion de la reprise du procès de la journaliste Florence Hartmann, le 1er juillet 2009, Place publique publie le résumé des arguments apportés par la défense lors de l’audience des 15, 16 et 17 juin 2009. Cet éclairage décisif est essentiel pour bien comprendre l’injustice faite à notre consoeur, dévouée à la cause humanitaire. Elle risque sept ans de prison et 100 000 euros d’amende.

RAPPEL
La journaliste française Florence Hartmann a été inculpée d’«outrage à la cour» pour avoir révélé, dans son livre « Paix et Châtiment » (Flammarion, 2007) et dans un article (« Vital genocide documents concealed », janvier 2008) publié par le Bosnian Intitute, l’existence de deux décisions de la Chambre d’Appel du TPIY plaçant sous le sceau de la confidentialité les documents du Conseil Suprême de Défense (CSD) de l’Etat serbe. Le dossier de l’Accusation repose sur l’affirmation qu’en dépit des circonstances, toute violation des ordonnances du Tribunal constitue un délit d’outrage relevant de la compétence du TPIY en vertu de la Règle 77).

Que dit l’accusation ?

L’accusation n’accuse pas F. Hartmann d’avoir obtenu les informations incriminées alors qu’elle travaillait au TPI. Avant le procès, l’accusation a confirmé par écrit à la Défense qu’elle ne prétendait pas que « F. Hartmann ait pu lire les deux décisions de la Chambre d’appel que le tribunal lui reproche d’avoir révélées avant que ces documents lui soient transmis dans le cadre de la procédure » ni qu’elle ait agi « avec des motivations répréhensibles ».

L’Accusation affirme que F. Hartmann a révélé 4 éléments confidentiels :

 l’existence des ordonnances confidentielles de la Chambre d’Appel et leur date

 le fait que ces ordonnances étaient confidentielles

 l’identité de l’Etat requérant (l’Etat serbe)

 le fait que les mesures de confidentialité concernaient les documents du Conseil Suprême de Défense (CSD)

Que répond la défense ?

La Défense a montré que tous ces éléments avaient été rendus publics et qu’ils étaient de notoriété publique avant que F Hartmann ne publie son livre et son article.

1- Rendus publics par le Tribunal Pénal International lui-même
A l’époque où la journaliste a écrit son livre et son article, le TPI ne considérait pas les faits reprochés à F. Hartmann comme étant confidentiels. Dans plusieurs affaires, les juges du TPI ont eux-mêmes révélé ces mêmes faits. (NOTE [[(. Notamment les documents suivants :

  Le Procureur contre Milosevic, Deuxième Décision relative à l’admissibilité des documents du Conseil Suprême de Défense, 23 Septembre 2004

  Le Procureur contre Milosevic, 27 Avril 2007 “Ordonnance désignant des juges dans une affaire devant la Chambre d’Appel”.

  Le Procureur contre Milutinovic, Décision relative à la Requête des Etats-Unis, 12 mai 2006

  Le Procureur contre Delic, Décision relative à la requête en révision de l’Accusation, 23 août 2006;

  Le Procureur contre Delic, Décision relative à la Requête visant à modifier la “Décision relative à la sixième demande de l’Accusation d’admission de moyens de preuve en application de l’article 92 bis”, 14 janvier 2008.

  Le Procureur contre Perisic, Ordonnance relative au renouvellement de la demande du requérant en vu d’obtenir l’accès à des documents confidentiels de l’Affaire Milosevic avec une Annexe A, 22 septembre 2006.)]] )

2- Rendus publics par l’Etat requérant (l’Etat serbe)
L’Etat serbe qui a demandé au TPI de garder confidentiels les documents du CSD a, à maintes reprises, débattu publiquement des mêmes faits que F. Hartmann. L’Etat serbe avait ainsi levé la confidentialité sur les ordonnances du TPI relative à la confidentialité des documents du CSD.

Notamment :

Le 8 mai 2006, lors d’une audience publique à la Cour Internationale de Justice (CIJ), le représentant de la Serbie-Monténégro a évoqué publiquement ces questions dans le cadre de la plainte pour génocide déposée par la Bosnie contre la Serbie. Il indiqua alors « ne pas être en mesure de parler du contenu des passages expurgés des documents du CSD » distinguant ainsi l’objet de la confidentialité (les documents du CSD) de l’ordonnance de la cour et de l’argumentaire juridique sur lequel elle se fonde qui, à ses yeux, sont publics.

3- Rendus publics par les media
Plus d’une vingtaine d’articles de presse, antérieurs aux écrits de F. Hartmann, ont traité des faits reprochés à F. Hartmann. Notamment :

– Institute of War and Peace Reporting (IWPR) en 2005 (17 mai), 2006, 2007, 2008 (20 mai)

– New York Times en 2006, notamment le 9 avril 2007

– International Herald Tribune, le 9 avril 2007,

Le Règlement de procédure du TPI ne précise pas les modalités de la levée de la confidentialité. Le Règlement n’exige pas une décision formelle des juges pour rendre public une ordonnance confidentielle. Et dans la pratique, il est apparu que le Tribunal pouvait, par un autre acte (« actus contrarius »), lever partiellement ou entièrement la confidentialité de décisions.

Exemples à l’appui, la Défense a montré qu’à de nombreuses reprises, le TPIY a rendu public des documents initialement confidentiels sans ordonner formellement la levée de la confidentialité. La Défense a également montré que le TPIY n’avait pas poursuivi pour « outrage à la cour » les organisations comme l’OTAN qui avaient à maintes reprises révélé le nom d’accusés sous mandat d’arrêt confidentiel après leur arrestation et avant la levée formelle des scellés par le Tribunal..

La Défense a, par ailleurs, indiqué que le Règlement du TPI ne suggérait pas la mise sous scellés des décisions de justice sauf les passages des décisions faisant référence à des éléments protégés par des mesures de confidentialité.

La Défense a souligné qu’il n’y avait ni actus rea (acte illégal) ni mens rea (d’état d’esprit coupable).

La Défense a, par ailleurs, indiqué qu’une condamnation annulerait des décennies de jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH). Notamment concernant :

– Le droit des journalistes à être les “chiens de garde” de la société dans les systèmes démocratiques et pluralistes, c’est à dire les “chiens de garde » non seulement vis-à-vis de l’exécutif mais de tous les segments, y compris du judicaire et des organes législatifs.

– Le droit du public de connaître la vérité et de recevoir des informations

– Toute restriction, en particulier de la liberté d’expression, doit respecter le principe de proportionnalité entre l’objectif recherché et les moyens employés

Place Publique soutient Florence Hartmann
Parce que le procès fait à Florence Hartmann représente une aberration juridique dénoncée de façon quasi unanime par les spécialistes du droit international et qu’il discrédite le Tribunal Pénal international;
Parce que l’interdiction d’utiliser les 3 pages du livre de Florence Hartmann ferme tout recours des victimes (les familles des 150 000 morts, les femmes violées, les hommes détenus dans des camps, etc.) pour contester l’accord litigieux entre la Serbie et le TPI et rouvrir le dossier de la responsabilité de l’Etat serbe ;
Parce que ce procès met en péril la liberté d’expression ;
Place Publique participe depuis le début à la campagne de soutien pour Florence Hartmann

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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