Qui veut de la démocratie européenne ? A force de personnaliser les débats pour sacrifier à la « pipolisation » de la vie politique, et de ne pas parler d’Europe réputée trop peu sexy pour séduire les électeurs, les grands partis en France sont complètement passés à côté des élections du 7 juin 2009.

L’abstention serait-elle comparable à celle des autres pays européens ? La belle affaire. Lorsqu’on est membre fondateur de la Communauté et qu’on se prévaut de faire partie du moteur de l’Union, la comparaison n’est pas de mise et ne saurait masquer les stratégies d’échec mises en œuvre pour ces élections.

Echec des stratégies

Les ténors du PS ont fatigué leurs électeurs qui attendent d’autres débats que des conflits de personnes et ne traduisent même plus des divergences idéologiques. Quant aux vainqueurs de l’UMP, ils n’ont dû leur avantage qu’à la médiocrité du principal parti d’opposition, sans même avoir pu en tirer un bénéfice considérable. Car avec 40% de participation, les deux partis de gouvernement ont tous deux échoué à rassembler et mobiliser leurs troupes : un peu plus d’1 électeur sur 9 inscrits pour l’UMP, 1 sur 14 pour le PS. La « pipolisation » n’a pas payé, le silence sur l’Europe non plus. Dans le cas d’élections européennes, c’est finalement presque réconfortant.

Les tacticiens de la politique n’ont notamment pas compris les jeunes. Ceux-ci sont nés à la chute du mur de Berlin, ils ont toujours entendu parler d’Europe au cours de leur enfance et de leur adolescence – comme jadis un Basque, un Alsacien ou un Piémontais entendait parler de la France. Pour eux, il ne s’agit plus d’exprimer si l’on est pour ou contre l’Europe : elle est un acquis, tout comme l’euro est leur monnaie. L’important pour eux consiste maintenant à se déterminer en fonction des projets présentés. Et justement, c’est sur ce terrain des propositions que les grands partis ont failli.

Même le Modem, qui se voulait autrefois le champion de l’ambition européenne, a cru jouer l’efficacité en se décalant sur un autre terrain. La sanction a été cuisante. Si le Modem ne s’estimait pas à son juste niveau dans les précédentes consultations, ce n’est pas à l’Europe qu’il le devait. Il paie cher son erreur de diagnostique. A la limite, les petits partis plus clairs dans leur positionnement ont presque mieux remplis leur mission. Un seul gagnant en vérité : Europe Ecologie, grâce là aussi à un positionnement clair, à des priorités bien identifiées avec des réponses – appréciées ou non, mais revendiquées.

Echec politicien

La leçon de ces élections est tout aussi clair : l’électeur n’est pas un âne qui vote avec des oeillères. Et comme les partis se sont éloignés de l’Europe, il n’a pas voté, ou s’est exprimé dans le cadre de sanctions ou d’engagements nationaux. Ainsi tout le monde est perdant… sauf l’écologie. A défaut d’avoir su donner envie d‘Europe, l’UMP et le PS auront fait le lit – en creux et sans le vouloir – de l’écologie, sans avoir pu en tirer aucun bénéfice.

« Nous sommes dans l’échec pour ne pas être parvenus à faire comprendre que nous étions nous aussi au cœur de problématiques environnementales », regrette Martin Malvy, président de la région Midi-Pyrénées et en politique depuis d’une quarantaine d’années sous la bannière socialiste. « Pourtant, c’est l’Europe qui peut faire avancer les politiques en concordance avec le développement durable. Et dans cette optique, le Parlement européen a un rôle important à jouer. Mais nous n’avons pas su l’expliquer ».

Echec de la pédagogie

L’échec est également dans la médiocre idée de l’Union véhiculée par le monde politique en France, Europe repoussoir et responsable de tous les maux alors qu’aucune décision ne peut aboutir sans le blanc-seing des Etats. Ils sont donc, à ce titre, tout autant engagés dans les décisions. Ce pouvoir exercé par les gouvernements et la Commission est d’ailleurs contesté par le Parlement qui réclame plus de marges de manœuvre, et les obtient. C’est d’ailleurs pourquoi on peut constater que, en France, les partis de gouvernement ont traîné les pieds pour entamer la campagne, et n’ont jamais réussi à l’emballer. Le voulaient-ils ?

Moins d’un mois pour expliquer l’Europe, montrer l’incidence de ses décisions au quotidien pour les citoyens, décrire son rôle au niveau mondial dans la sauvegarde de l’environnement, prendre position sur la non-harmonisation des politiques fiscales et sociales, comparer les systèmes de services publics et de services universels… Avant la présidence française de l’Union, pour expliquer « l’Europe dans la mondialisation », un rapport avait été remis à Matignon sur « Une stratégie européenne pour la mondialisation » avec une préface cosignée par Christine Lagarde et Olivier Bertrand. Et l’on aurait voulu que, pour expliquer les enjeux à des citoyens pour qui mondialisation et concurrence sont souvent synonymes de délocalisation et de moins-disant social, le tout soit expédié en quelques phrases.

Echec de l’intelligibilité

Comment mettre en avant les atouts de l’Union à 27 qui est forte de près de 500 millions d’habitants contre 300 millions pour les Etats-Unis et 130 pour le Japon, et qui réalise 21% du PIB mondial en 2007, devançant les Etats-Unis (20%) et le Japon (17%) ? Comment souligner que même décrié, l’euro lancé il y a seulement dix ans ( seulement sept ans si l’on s’en tient à l’euro physique) est devenu la deuxième monnaie mondiale et agit comme un stabilisateur économique pour les pays qui l’ont adopté ?

Il suffit pour s’en convaincre de considérer l’amplitude des cours de la livre sterling dans la crise financière. Le franc, qui n’avait pas la même stature, aurait eu à subir des assauts encore plus brutaux, suivis de dévaluations comme par le passé et des conséquences néfastes non pas pour les spéculateurs qui savent s’en protéger, mais pour les épargnants – qui, en plus de la décote des valeurs en bourse, auraient eu à supporter une décote de la monnaie.

Comment, aussi, revenir sur le rôle jouer par l’euro pour amortir le choc de la hausse du prix du baril de pétrole grâce à un différentiel favorable avec le dollar, la monnaie de référence sur les marchés des matières premières ? Comment distinguer les options entre une Europe plus intégrée (dans la dynamique initiée par le moteur franco-allemand), et un simple grand marché (conforme au projet anglo-saxon et aux aspirations de certains nouveaux membres) ? Comment, enfin, rendre intelligible un vote européen lorsqu’on sait que les quelque 72 députés français seront dilués dans un ensemble de 736 parlementaires, eux-mêmes répartis dans des formations qui n’expriment rien à l’électeur français ?

Echec de l’envie

Les partis politiques n’ont pas su donner envie d’Europe, ni de démocratie européenne. L’ont-ils voulu, à part Europe Ecologie ? A force de se comporter comme si l’Union européenne était un mal nécessaire, en la défendant du bout des lèvres, sans chaleur, sans engagement humain et sans projet politique, en la réduisant au plus petit dénominateur commun de ses membres, les responsables des partis risquent de la transformer l’Union en une banale toile de fond.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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