Secrétaire général d’Europe et Entreprises, consultant en affaires européennes, co-auteur du livre « Il faut sauver le citoyen européen ! » (1)

 Place Publique : La construction européenne n’est plus populaire, pourquoi le fossé s’est-il creusé avec les citoyens européens?

Bruno Vever : «On a pu constater que l’Europe n’interpellait pas directement les gens de la rue, cette crise de confiance et de désenchantement s’est traduite lors des référendum en France, aux Pays-bas et en Irlande. Certains diraient que c’est injuste, mais cela ne suffit pas. Les européens ne critiquent pas les acquis de l’Europe. Cette crise est née de deux faits, jamais associés, d’un coté les Etats, les diplomates, de l’autre le marché. Or, le marché est devenu global et on ne sent plus la spécificité d’un marché commun européen. En revanche, on remarque le manque d’une puissance publique européenne, importante pour construire une Europe plus forte.

L’Europe qu’on leur propose ne répond pas aux attentes des citoyens-en terme de visibilité, de lisibilité- c’est encore plus vrai en situation de crise. Ils ne comprennent rien aux traités constitutionnels, traités dont les diplomates sont si fiers. Ils n’y trouvent pas leur compte. Il leur faut retrouver confiance dans un projet commun, au contenu économique et social.

 Place Publique : Comment les citoyens – notamment les jeunes- peuvent –ils se réapproprier l’Europe?

Bruno Vever : Jean Monnet avait dit que l’objectif de l’Europe était d’unir les hommes et non de coaliser les Etats, or on a, en quelque sorte, fait l’inverse. Les citoyens ne se sentent pas foncièrement européens. La nature de la pyramide européenne est bancale : elle repose sur le microcosme de Bruxelles donc sur la tête, même s’il s’y trouve un concentré d’expériences très utile. On ne peut consolider cette pyramide en la laissant sur la tête.

Il faut d’abord que les citoyens se sentent européens. Cela passe notamment par la culture. Mais on ne fait pas grand-chose pour l’encourager. Par exemple, si on regarde le paysage audiovisuel européen, l’information sur l’Europe c’est 2 % au plus du temps d’antenne, le reste est vu à travers le prisme national. On évacue souvent l’Europe des programmes de télévision, avec l’idée que cela ennuie.

En revanche, Erasmus est un succès, mais en fait cela touche qu’une petite partie des jeunes. C’est un des meilleurs investissements qu’on peut faire. Pourquoi ne pas en faire davantage dans ce sens. Les jeunes citoyens ne sont pas vraiment encouragés. Par exemple, il n’y a pas de statuts européens d’association, chaque pays à ses statuts. C’est un comble que les associations qui militent pour l’Europe soient cantonnées dans un cadre national. Il n’ y a pas d’outils pour devenir plus européen. On ne peut pas parler d’ euro-entrepreneuriat.

Faire confiance aux seuls Etats pour relancer l’Europe dans l’opinion publique est une mauvaise pioche, quant aux institutions européennes, elles n’ont pas le contact avec l’opinion publique. La commission européenne devrait se saisir de ces questions, afin de permettre aux européens de le devenir. En cela, l’euro est une réussite, c’est le début d’un processus. L’union monétaire existe mais pas l’union économique et sociale, et cela nécessite le concours des citoyens, et à travers de grands projets européens, comme un emprunt commun, des projets de relance communs….c’est une des réponses à donner à la crise, et aux citoyens.

 Place Publique : Faudrait-il introduire de nouvelles règles du jeu, lesquelles ?

Bruno Vever : Les aides ne sont pas toujours données aux initiatives fondamentalement européennes, beaucoup viennent refinancer des projets nationaux. Il faut donc remettre les européens au cœur du projet. Adopter le traité dit de Lisbonne ou le plan B- ne sert à rien, s’il n’ y a pas de plan C, un plan citoyen qui répond aux attentes du terrain.

Il s’agit en quelque sorte de dire, le traité est nécessaire pour fonctionner, il faut le voter mais en échange on met en place le plan C, qui est un plan de comportement et de programmes. Un code de conduite élaboré avec les institutions, les associations, les citoyens, prenant en compte ce qui ne va pas, faissant évoluer les règles de consultation… et qui serait complété par une feuille de route avec des objectifs à dix ans pour progresser dans les attentes des citoyens.

 Place Publique : La poursuite de la construction européenne passe t-elle par un fonctionnement autre associant les citoyens ?

Bruno Vever : Jusque là l’Europe était, si on la compare à une voiture, une traction avant ; aujourd’hui il faut une motricité de 4X4 avec l’aide de la société civile, qui devient moteur et pas seulement suiviste. Pour ce faire, il faut lui en donner les moyens, à travers justement le code de conduite. Une société civile plus active et motrice facilite le travail de l’axe « avant » qui est plus politique. En conclusion, pour sauver le citoyen européen, il faut le rendre actif.

(1) avec Henri Malosse, aux éditions Bruylant, décembre 2008

Au sujet de Estelle Leroy

Estelle Leroy-Debiasi est journaliste professionnelle, Diplômée en Economie, ex rédactrice en chef du quotidien économique La Tribune. Elle contribue régulièrement au site ElCorreo, site de la diaspora latinoamericaine.

Catégorie(s)

GEOPOLITIQUES, Spécial Europe

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