Le projet de loi “Hôpital, patients, santé, territoire” vise la rationalisation d’un système de soin complexe et gagné par les déséquilibres. Si la réforme n’est pas contestée dans son principe, certaines de ses dispositions suscitent des inquiétudes chez les professionnels et les élus.

“Touche pas à mon hôpital”. C’est ainsi que l’on pourrait résumer l’état d’esprit des Français vis-à-vis du service public hospitalier.

Dans un sondage TNS Sofres/Logica publié en mars par Le Parisien/Aujourd’hui en France, ils sont 93% à juger “le personnel de l’hôpital public compétent” et 89% à dénoncer le “un manque de moyens financiers et humains”. Cet attachement à l’hôpital comme fleuron d’un service public de qualité, le projet de loi HPST (“Hôpital, patients, santé, territoire”), dont la première lecture s’est achevée mi mars à l’Assemblée, pourrait bien venir le contrarier.

Un projet de loi qui flirte d’emblée avec le paraxode. Car au-delà de son titre, le terme d’“hôpital” est étrangement absent du texte. On lui préfère celui d’“établissement de santé”. “Hôpital” serait-il devenu un gros mot ? Son substitut présente en tout cas le grand avantage d’effacer toute opposition statutaire entre public et privé : “établissement de santé” se décline indifféremment aux sphères publique et privée. Alors qu’“hôpital” induit un référent public (on ne parle pas d’hôpital privé, mais de clinique). Si le projet de loi HPST se garde bien de revendiquer la moindre intention de restriction du service public hospitalier, cette occultation lexicale peut à tout le moins intriguer.

La réforme de l’hôpital, nul n’en met en cause la nécessité. Et à plus d’un titre, le projet de loi de Roselyne Bachelot va dans le bon sens, en visant clairement une rationalisation du système : comblement des “déserts médicaux”, rapprochement des acteurs de santé locaux, gestion de la démographie médicale, développement d’approches plus collectives de la délivrance des soins…

La Fédération hospitalière de France (FHF) et la majorité des associations d’usagers se sont d’ailleurs dans un premier temps déclarées globalement favorables au projet de loi. Pourtant, depuis le début de l’année, les esprits semblent s’être réveillés : personnels hospitaliers très présents dans les manifestations du 29 janvier et du 19 mars, professions de santé libérales s’inquiétant de mesures contraignantes pour lutter contre les déserts médicaux, parlementaires déposant des centaines d’amendements sur le texte…
Que reprochent au projet de loi ses détracteurs ? Essentiellement un objectif de rentabilité, jugé incompatible avec une optimisation de l’accès aux soins et de la qualité des prestations. Ce, rappelle l’Intersyndicat national des praticiens hospitaliers (INPH), alors qu’“il y a déjà eu cinq réformes à l’hôpital, dont la dernière en 2004 qui n’a toujours pas été évaluée, ni digérée par les personnels».

Car c’est un fait, la France n’en est pas à sa première tentative de réforme du système de santé. Une étude récemment menée pour le compte de Dexia auprès de 2 100 établissements hospitaliers de court séjour (“Dix ans de recompositions hospitalières en France, 1995-2005”) recense 1 146 opérations de recomposition, qui concernent 60% des établissements.

Etrangement impassibles dans un premier temps, les élus ont fini par s’alarmer devant certaines dispositions d’un projet de loi qui prévoit le remplacement des conseils d’administration des hôpitaux par des conseils de surveillance. L’essentiel du pouvoir de décision sera désormais concentré entre les mains d’un directoire présidé par le directeur de l’hôpital et dont le vice-président sera le président de la commission médicale d’établissement (CME). D’où une réelle inquiétude des élus quant à leur propre relégation dans la future gouvernance au profit de cette toute puissance des directeurs d’hôpitaux.

Autre objet d’alerte : les “communautés hospitalières”, suspectes de vouloir priver les petits hôpitaux de leurs services de court séjour. Eléments majeurs de la réforme, ces communautés signent la mise en réseau de petits hôpitaux autour d’un hôpital référent et d’un projet médical commun. Et comme les aides à la contractualisation et les subventions du programme hôpital 2012 bénéficient en priorité aux hôpitaux publics qui entreront dans cette logique, il y a fort à parier que l’ensemble des acteurs locaux tenteront de la mettre en œuvre.

Pour autant, l’Association des petites villes de France (APVF) veut rester vigilante et obtenir l’assurance que la réforme ne se solde pas une fermeture accélérée des petits hôpitaux.

Selon un rapport de la Mission d’information sur l’offre de soins remis en septembre 2008, les inégalités d’accès aux soins ne cessent de s’accroître, creusant des écarts parfois criants entre départements : de 1 à 2,5 pour les généralistes, de 1 à 7,4 pour les spécialistes, de 1 à 4 pour les dentistes, de 1 à 7 pour les infirmiers libéraux…

Par un effet mécanique de la diminution du nombre d’étudiants en médecine au cours des années 80 et 90, la densité médicale devrait retomber en 2025 à son niveau de 1985. Ce, dans un contexte de besoins accrus en soins primaires, vieillissement de la population et diminution des durées d’hospitalisation oblige. Si l’on ne frôle pas encore la catastrophe sanitaire, les anticipations tablent sur de réelles difficultés d’accès aux soins dans les trois ou quatre ans à venir.

Les solutions à la désertification ne peuvent pas relever uniquement de l’incitation financière. Il faut créer des conditions et un environnement de travail favorables, en tablant notamment sur le travail collaboratif entre professionnels de santé.

C’est la vocation des “maisons de santé” interdisciplinaires, pivots de l’offre de soins de premier recours qui doivent valoriser la couverture médicale des territoires les moins peuplés ou les plus fragiles.

C’est aussi la vocation des “communautés hospitalières de territoire” (CHT), qui faciliteront la coordination des interventions et des ressources dans une logique de gradation des soins, en jouant sur les complémentarités entre hôpitaux de proximité et grands établissements.

Reste que les inégalités d’état de santé ne s’expliquent pas par les seules inégalités d’accès aux soins. Elles sont suspendues à une somme de déterminants (conditions de vie, environnement affectif, qualité de vie au travail, isolement social…) que le projet de loi HPST semble tout bonnement avoir oubliés. De même, les écarts d’état de santé ne se résument pas à un critère de pauvreté. Les plus précaires, que l’on peut identifier aux bénéficiaires de la CMUC (Couverture maladie universelle complémentaire, proposée gratuitement depuis 2000), ne sont pas seuls à rencontrer des difficultés dans l’accès aux soins. L’amplitude inégalitaire s’est significativement élargie pour gagner les foyers modestes.

Dans un pays classé par l’OMS au premier rang mondial pour la qualité de soins de santé, les dispositions du projet de loi “Hôpital, patients, santé, territoire” sont loin de susciter l’approbation générale. Une réforme de plus, qui a du mal à convaincre les professionnels. Et pourrait se heurter à l’incompréhension des Français.

*avec connexite.fr

Voir aussi

Contre le projet de réforme : l’appel de 25 grands professeurs d’hôpitaux publics publié par le Nouvel Obs