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Propos recueillis par Estelle Leroy et Yan de Kerorguen

Ian Pearson, Eleonora Barbieri Masini, Jean Paul Baquiast et Hazel Henderson répondent aux questions sur l’avenir de l’économie, l’éthique, la société, la technologie, l’environnement…

Ian Pearson, ex- futurologue de British Telecom, il est fondateur de Futurizon. Grande-Bretagne.

Vous avez récemment écrit un rapport sur les possibles futures formes de vie. La convergence entre les Biotech et les Technologies de l’information sera t-elle une des principales révolutions des dix prochaines années ? Comment cela va t-il changer notre vie ?

Oui, la convergence entre les Biotech et les Technologies de l’information sera un grand événement, mais commencera à peine dans les dix prochaines années. Au début, on l’utilisera principalement dans le domaine médical. On voit déjà différents types d’implants électronique pour l’ouïe, la vue, et des techniques pour réguler des pathologies comme la maladie de Parkinson ou même l’Alzheimer.
Plus tard d’autres maladies seront ainsi bloquées dans leur développement. Pour ma part, je suis plus intéressé par le fait de pouvoir ajouter des fonctionnalités y compris à des gens en bonne santé. Des implants sous votre peau pourraient contrôler votre santé, mais aussi être connecté au système nerveux pour permettre de se souvenir et de revivre des sensations, ou aussi permettre à des ordinateurs de simuler certains état émotionnels comme le stress, l’excitation, et la relaxation. Autour de 2030 on sera peut être en mesure d’utiliser les technologies de l’information pour améliorer, renforcer notre capacité sensorielle et même notre mémoire ou notre QI dans certains cas.

Peut-on parler d’une convergence plus large avec des progrès dans la technologie cognitive, quelles en seront les conséquences?

Il y a déjà des choses qui existent, par exemple la capacité de renforcer les potentialités de notre cerveau. Si on peut détecter et comprendre nos processus de pensée, tout sur le net alors sera disponible, accessible à nous, juste en le pensant.
Ainsi, vous pourrez entendre une voix de synthèse vous répondre à l’ oreille à une question que vous vous posez. Ajouter des sens supplémentaires est possible comme par exemple, être capable de voire des rayons infrarouges, des ultra violets ou entendre des ultrasons . On pourra également convertir n’importe quelle sensation en une autre. La technologie cognitive va aussi améliorer les ordinateurs. Le progrès des connaissances sur les mécanismes de notre pensée, de notre cerveau nous permettra de les utiliser aussi dans l’univers des ordinateurs. Le résultat sera inévitablement des ordinateurs et des robots, conscients, ultra intelligents et nous ne serons pas pour longtemps la seule forme de vie savante sur terre. Cela prendra du temps et la transition ne sera pas de tout repos car beaucoup de gens sont opposés au développement de machines intelligentes.

Face à tous ces changements, y aura t-il plus de solidarité entre les gens, cela va t-il changer leurs comportements dans la société ?

Je pense que cela va profondément diviser les gens. Certains voudront prévenir le développement de liens plus étroits entre l’homme et la machine, et rejettent déjà l’idée de machines intelligentes. D’autres se réjouiront du fait de pouvoir améliorer leur corps et leur esprit en les liants à des machines pour de nouveaux sens, de l’intelligence et de la mémoire et un accès direct à la pensée d’autres gens.
Il y a beaucoup de sujets de conflits et les enjeux sont très importants. Ces technologies peuvent créer une sorte de conscience globale, des liens par télépathie entre les gens, une personnalité « customisable ». Elles peuvent favoriser le partage de corps, le déplacement dans le cyberespace et une immortalité reposant sur l’électronique. Dans une tel monde, les humains seraient très différents de ceux d’aujourd’hui.

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Eleonora Barbieri Masini, sociologue, professeur de sciences sociales à l’université Gregoriana de Rome. Italie

Les problèmes culturels vont-ils peser plus dans les décennies à venir ?

Certainement, les questions culturelles seront les plus importantes à l’avenir. Et plus qu’elles ne le sont déjà aujourd’hui. Elles doivent être abordées sur le long terme, car les changements culturels sont plus lents que les autres, en même temps, ils influencent tous les autres domaines. Mais les autres changements, sociaux, politiques, et économiques, influencent à leur tour les cultures. Il y a une accélération possible des changements culturels, ce dont nous n’avons pas beaucoup l’expérience.

Va-t-on assister à un double phénomène : de nouvelles valeurs partagées par les différentes cultures et un renforcement des valeurs intrinsèques à ces cultures ?

Si les changements culturels sont plus lents que les autres, en même temps d’autres changements, comme l’immigration, poussent des gens de cultures différentes à vivre dans un même environnement social. Certaines valeurs partagées émergent par la nécessité de vivre dans le même environnement de travail, les mêmes quartiers, marchés, magasins, hôpitaux et écoles. En même temps, certaines valeurs historiques et traditionnelles seront toujours préservées. L’équilibre entre les deux tendances est au centre de la survie future, à défaut d’une coexistence qui pourrait être un objectif à long terme.

Quel est pour vous le principal défi de la société future ?

Ils sont liés aux questions culturelles, expression de valeurs, de comportements, ce qui aboutit soit à des conflits, soit au respect réciproque. Y est lié le changement de la structure familiale, la nécessité que les institutions et structures sociales soient flexibles au changement. C’est aussi l’adaptation des niveaux de l’école au changement de l’environnement social, créant la possibilité d’une meilleure compréhension parmi les jeunes générations. Autre problème socioculturel, celui de lier toujours l’identification de la richesse comme étant la possession de biens de toutes sortes.

Jean Paul Baquiast. Président d’Admiroutes. France

 

Vers quelle civilisation allons-nous?

Il y a quelques années, voire quelques mois, avec le développement des connaissances scientifiques et des solutions technologiques, on pouvait espérer voire apparaître des formes de vie, d’humanité et d’intelligences « augmentées » dans presque tous les domaines, dont profiteraient tous les hommes sans exclusive. Aujourd’hui, la crise systémique, sans obliger à refuser complètement cette vision, appelle à plus de prudence, sinon de pessimisme. Elle semble montrer que ce que je nomme les systèmes anthropotechniques, c’est-à-dire les associations d’intérêts entre groupes humains et technologies, sont incapables de maîtriser leur croissance et leurs compétitions. Il pourrait en résulter une destruction des écosystèmes et sans doute aussi des sociétés dites avancées telles que les nôtres.

Pourquoi la politique a-t-elle besoin de la science?

Malheureusement, la science actuelle ne dispose pas encore de tous les outils permettant de comprendre l’évolution des systèmes anthropotechniques. Elle ne peut donc pas prétendre les décrire, les prédire et les faire évoluer au mieux de la survie des écosystèmes (dont nous faisons évidemment partie). Ce qu’il faudrait nommer une « hyperscience » devient donc indispensable. Il faut y travailler. Cependant, malgré ses angles morts, la science actuelle reste le meilleur moyen d’envisager les problèmes et les solutions, face à la recrudescence des mythologies et métaphysiques exploitées par les systèmes politiques autoritaires qui vont proliférer autour de la crise.

Que peut être une démocratie éclairée par la science?

Une démocratie scientifique, faisant appel à toutes les sciences, depuis la cosmologie et l’infra-quantique jusqu’à l’écologie politique et les sciences humaines, doit aider les citoyens et responsables politiques à mesurer les conséquences de leurs choix. Même si la démocratie scientifique doit être consciente, comme nous venons de le voir, des limites de la science actuelle, elle doit se persuader que la meilleure façon de se tromper serait de renoncer à comprendre l’évolution du monde ou se fier à des incantations. Dans l’ensemble, les éclairages et les diagnostics des scientifiques sont meilleurs que ceux des non-scientifiques. On le voit par exemple face à ces grandes questions que sont la compréhension des changements climatiques et la préservation de la bio-diversité. Mais cela ne doit pas dire que la démocratie scientifique puisse se couper des non-scientifiques et plus généralement du grand public. Si l’on veut développer les sociétés de la connaissance et les économies de l’immatériel à faible empreinte écologique dont l’humanité a besoin, il faut que tous les citoyens se rencontrent et dialoguent (ou s’affrontent) au sein notamment des réseaux participatifs modernes.

Hazel Henderson, spécialiste des questions éthiques. Royaume-Uni

Pourquoi, à l’avenir, aurons-nous besoin de nouveaux indicateurs pour mesurer la richesse des pays ?

Nous avons besoin de mesures plus larges, alors que le PNB mesure seulement le cash-flow à travers l’économie. La richesse, le progrès, la qualité de vie d’un pays doivent prendre en compte beaucoup d’autres données sur la santé publique, sur la qualité environnementale, par exemple mesurer la quantité de polluants dans notre air et de toxines dans notre eau. L’indicateur Calvert-Henderson – que j’ai créé avec le groupe Calvert – mesure 12 secteurs qui relèvent de la qualité de vie (éducation, droit de l’homme, santé, emploi…).

Quelle place pourraient avoir les questions éthiques ?

On pourra construire des sociétés durables qui permettront de distribuer plus équitablement les ressources et de réduire notre charge sur la Terre en allant vers des sources d’énergies renouvelables, le recyclage… Les pays doivent corriger le PNB en soustrayant la pollution et les autres coûts sociaux de la croissance économique et en ajoutant les investissements publics dans les routes, écoles, hôpitaux… Cela compensera le coût de telles dépenses et réduira l’apparente dette des pays en valorisant ces actifs. À l’avenir, ces indicateurs de qualité de vie aideront les gens à compter sur d’autres formes de richesse au-delà de l’argent : capital social et humain, actifs environnementaux et services.

Cela va-t-il entraîner une nouvelle société, moins inégale, en 2030 ?

Éthique et lutte contre les inégalités sont très liées. Les hommes sont capables de faire évoluer leurs propres consciences. Dans une petite planète polluée, les humains ne vont pas survivre à moins que nous apprenions comment coopérer, partager et faire attention à chacun et à toute la vie, à la fois individuellement et en remodelant nos sociétés. Les nouvelles recherches scientifiques sont déjà complètement capables de ces changements et nous devons détrôner l’économie comme seule discipline dominant les politiques publiques ou privées.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

Catégorie(s)

Le Magazine, Sciences et société

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