Quatre ans après l’impressionnante mobilisation des chercheurs contre la loi de réforme du gouvernement Raffarin, voilà que la communauté scientifique sort à nouveau de ses gonds. Ils étaient plus de 600 responsables, enseignants-chercheurs, directeurs d’unités de recherche, et élus dans les instances scientifiques, réunis dans l’amphithéâtre Margueritte de Navarre du Collège de France, à contester les nouvelles orientations de la recherche dans notre pays, en particulier la réforme du CNRS.

« Plus de 600 directeurs de laboratoires de recherche et membres d’instances scientifiques de tout le territoire (Voir Motion de l’AG des chercheurs) se sont réunis à Paris, mardi 4 mars, pour exprimer leur vive inquiétude sur le nouveau paysage de la Recherche qui est en train de voir le jour au travers des réformes, déjà mises en place (loi d’orientation et de programmation de la recherche de 2006), ou en train de l’être (loi LRU sur les universités), ou annoncées dans le discours du président de la République du 28 janvier dernier. On n’avait pas vu pareille mobilisation des responsables scientifiques depuis quatre ans. Mais alors qu’en mars 2004, les directeurs de recherche menaçaient de démissionner en bloc pour protester contre « la coupure des crédits pour les labos », en mars 2008, c’est de « liberté de faire de la recherche » qu’il s’agit. « Nous sommes le seul pays développé au monde où le pouvoir politique considère que c’est à lui de définir les grandes thématiques de recherche au lieu de donner les moyens pour que les chercheurs puissent travailler » souligne, consterné, Yves Langevin, président de la Conférence permanente du Comité national de la recherche scientifique.

Dirigisme politique, mais absence de politique de la recherche!

En cause, la politique des « lettres de missions » et autres « feuilles de route » du gouvernement visant à affaiblir la recherche fondamentale menée dans le cadre du CNRS au profit de la recherche finalisée conduite par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR). Inédit ! Dans une lettre adressée du 27 février à Catherine Bréchignac (Voir Lettre de Valérie Pecresse) , la ministre de la recherche a carrément donné l’ordre à la présidente du CNRS de transformer l’établissement en holding d’Instituts, faisant fi de toute concertation. Quelle lubie a pris la ministre, se demandent les chercheurs qui parlent de « grande manip ». Pourquoi changer les départements en Instituts ? Un ton dirigiste qui passe mal dans les labos inquiets de perdre leur autonomie scientifique et qui témoigne de la volonté affichée du gouvernement d’affaiblir la recherche publique par un contrôle politique étroit. Francis-André, directeur de l’Institut de Biologie physico-chimique y voit une constante idéologique du pouvoir et l’incapacité de l’état à comprendre que la science ne se plie pas aux ordres: « Les mentalités des décideurs n’évoluent pas. Le ministère de la recherche considère que l’argent public injecté dans la recherche publique est gaspillé. Il devrait selon à entraîner la recherche privée qui reste très timorée en matière d’investissement R&D. Or ce n’est pas le cas ». Ce nouveau passage en force du gouvernement a pour but de porter un nouveau coup à la zone tampon qui fait, selon lui, obstacle : les organismes et en particulier le CNRS, qu’il accuse de ne pas rentabiliser les financements. Résultat, une constante la volonté régulièrement affichée du gouvernement d’affaiblir la recherche publique par un contrôle politique étroit.

En ligne de mire : la destruction du CNRS.

« La mise en place de l’ANR a pour conséquence la systématisation du financement de projets à très court terme, sans que de surcroît ce pilotage ne s’appuie sur une véritable politique scientifique » soutient Philippe Blache, directeur de recherche à l’Université de Provence. Le collectif Sauvons la recherche (SLR) craint en particulier que l’importance prise par l’innovation dans le système de recherche ne se fasse au détriment du progrès des connaissances. SLR accuse la présidente du CNRS, Catherine Bréchignac, d’entériner la politique dirigiste du gouvernement. « Elle mise sur la recherche industrielle et sacrifie la recherche fondamentale. Nous ne sommes plus dans la science, la connaissance, mais dans l’innovation, la création de produits » indique SLR. Il y a quelques mois, 7 des 8 représentants du Conseil Scientifique du CNRS ont exprimé leur préoccupation devant les attaques de la présidente du CNRS concernant la recherche en biologie dont l’affaiblissement serait un des signes précurseurs de la volonté de supprimer le CNRS (Voir Coup de gueule d’Henri Audier). Cette dernière s’était permise de faire publiquement une évaluation « sauvage » du travail des chercheurs en déclarant : « avec tout l’argent que nous avons injecté dans les sciences de la vie, je trouve que le rapport qualité-prix n’est pas terrible ». Elle avait en outre fait savoir que seules les neurosciences et la biologie intégrative trouvaient grâce à ses yeux.

Le 28 janvier à la faculté d’Orsay, les oreilles du Prix Nobel Albert Fert, fervent défenseur du CNRS, ont du siffler lorsque à l’occasion d’une cérémonie en son honneur, Nicolas Sarkozy a envoyé un de ses scuds favoris contre un « système de recherche vieux d’un demi-siècle ». Dictant déjà les conclusions de la Commission d’Aubert avant même la fin des auditions de celle-ci, il annonce quasiment le démantèlement de toute structure élective « Les organismes de recherche devenus agences de moyen davantage qu’opérateurs,mettront en œuvre la politique scientifique définie par le gouvernement. Les organismes pourront ainsi en étroite concertation avec l’ANR, se consacrer pleinement à leur mission, à savoir le pilotage des recherches menées dans les universités ».

Pour le chef de l’état, les organismes devront à terme se limiter aux grands moyens de calcul, aux bases de données, aux grands équipements et aux grandes plateformes technologiques, avec quelques programmes nationaux gérés dans des instituts. Entre temps, ils pourront piloter avec l’ANR les recherches menées dans les universités. Mais avec quel budget et pour combien de temps ? Un discours, plein d’approximations et de contre vérités, insupportable aux yeux du syndicat SNTRS-CGT : « Pour Nicolas Sarkozy, le statut de chercheur à temps plein ne se justifie plus. Il préconise des détachements en recherche pour une certaine proportion d’enseignants chercheurs de haut niveau…/…Il verse une larme sur la faible rémunération des chercheurs, pour ne proposer que des primes aux plus brillants dans le cadre de la Loi LRU../.. Il redit sa conception utilitariste de la science, qui de façon magique devrait relancer la croissance et l’emploi en se mettant au service des entreprises » Commentaire de Bertrand Monthubert, de Sauvons la recherche : « La tactique de communication est claire : il s’agit de noircir le tableau à l’excès pour mieux imposer ses « solutions ». Des solutions dont il prétend qu’elles vont « sauver la recherche ». Nous oscillons, là aussi, entre l’exaspération de la petite récupération politicienne, et l’indignation face aux propos prononcés (qui n’étaient dans le discours écrit) laissant entendre que nos positions se résumeraient à l’immobilisme. Nicolas Sarkozy feint de ne pas comprendre que le mouvement peut s’effectuer dans plusieurs directions, pas une seule, pas seulement celle qu’il nous impose. Celle-ci est en contradiction flagrante avec le message qu’Albert Fert a développé juste avant lui, où il expliquait le profit qu’il a pu tirer des atouts de la recherche française ».

Non au chercheur kleenex

A cette menace, s’ajoute celle concernant la bonne évaluation de la recherche. Elle a été confiée à une agence, l’AERES, avec comme conséquence un baisse considérable de sa qualité : « nos laboratoires, qui étaient évaluées à la fois ponctuellement par des comités de visite et sur la durée par un groupe de pairs assurant un suivi sur plusieurs années, sont désormais soumis à une seule forme d’évaluation, les comités de visite, dont la durée a de surcroît été considérablement diminuée » précise Philippe Blache. Le comité de visite fait son rapport mais bizarrement, ce rapport n’est pas signé par le président des comités de visite. Il est directement envoyé à l’AERES qui endosse le rapport et a tout pouvoir de décision. Les scientifiques envisagent un boycott de l’évaluation.

Autre serpent de mer ; l’emploi des chercheurs avec la multiplication annoncée de contrats provisoires. L‘objectif du gouvernement est de développer les emplois contractuels. Cela entraîne un énorme accroissement de la précarité. Cette politique est confortée par la décision de Valérie Pécresse de ne pas créer de postes statutaires pendant les quatre prochaines années. Ainsi, il y a, aujourd’hui, près de 32 000 équivalents ETPT (emploi temps plein travaillé) au CNRS dont 18 % sont des emplois contractuels. Comme les temps partiels sont plus développés chez ces derniers que chez les statutaires, plus d’un tiers des personnes physiques de l’établissement sont rémunérées sur emplois contractuels. Du coup les jeunes scientifiques hésitent à se lancer dans un emploi de chercheurs. Certains s’exilent, d’autres vont vers la finance et le métier de « quant »

Quatre ans ont passé depuis la grande mobilisation des chercheurs contre la Loi de réforme de la recherche. Entre mars 2004 et mars 2008, les similitudes sont grandes : nous sommes dans les deux cas dans un contexte d’élections locales, régionales en 2004, et municipales en 2008. Dans les deux cas, des centaines de directeurs de laboratoires scientifiques se mobilisent pour défendre la recherche et la politique de la terre brûlée. Nous sommes au mois de mars et les giboulées arrivent. Chacun a en tête que la défaite de la droite qui a perdu en 2004 les conseils régionaux a été attribuée à la popularité du mouvement des chercheurs. Un dernier élément fait office de cerise sur le gâteau : l’annonce récente de l’intérêt du Président de la République pour une collaboration avec Claude Allègre. Elle est interprétée par les chercheurs comme un renforcement des choix ainsi faits d’un pilotage absolu de la recherche entre les mains de quelques experts. Rares sont ceux souhaitant que l’ ex-ministre de la recherche de 1997 à 2000, que Nicolas Sarkozy décrit comme un « grand scientifique » « voulant changer les choses » prenne le contrôle de la rue Descartes. Ni au PS, ni à l’UMP on aimerait voir le « dégraisseur de mammouth » s’installer aux commandes.

Yan de Kerorguen

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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