Comment se débarrasser d’une association un peu encombrante ? Trouver une autre organisation reconnue pour son action en faveur des plus démunis, et opposer les intérêts des protagonistes. Exemple à Toulouse…

chapelle09-299x199.jpgDepuis 14 ans, l’Atelier Idéal occupe une chapelle désaffectée au coeur de Toulouse. Un lieu d’expérimentation politique et sociale, autour d’une idée maîtresse : « poésie contre marchandise, une ville à vivre et non à consommer ».

Un projet qui ne semble pas au goût de la mairie de Toulouse, ni du diocèse, propriétaire du terrain. Plusieurs propositions de vente ont été faites, dont une au Groupe Amitié Fraternité, qui avait déjà décliné l’offre, il y a une dizaine d’années. « J’avais alors expliqué à l’archevêque que nous ne prendrions pas le terrain, mais aussi que le projet en place était tout à fait intéressant. Les choses avaient eu l’air de se tasser », se souvient son président.

Nouvelle offre aujourd’hui, en direction d’Habitat et Humanisme. Cette association jouit d’une solide réputation, car elle a aidé 957 familles à se reloger en 2005 sur toute la France. Le projet initial est de raser la chapelle pour construire une Maison-Relais. Pour Armand d’Agrain, qui dirige la section toulousaine, « entre de l’habitat social et quelques joueurs de cartes entourés d’oeuvres d’art, le choix est vite fait ». Embarras de l’opinion publique et des médias : comment s’opposer au logement social, en ces temps de cruelle pénurie ?

Lieu de vie

L’histoire mouvementée de la chapelle remonte au début du siècle. L’édifice est construit par une paroissienne toulousaine, mais il est vite menacé par la loi de 1902, qui prévoit le « retour à la nation des biens meubles et immeubles appartenant aux congrégations religieuses ». Pour contourner la loi, une Société Civile Immobilière est alors créée en 1909, puis la chapelle est léguée au diocèse en 1928, accompagnée d’une « clause résolutoire ». L’édifice doit rester voué au culte, et ne peut être ni loué ni vendu en dehors de ce cadre. Il devient alors chapelle de secours de la basilique Saint-Sernin, puis laissé à l’abandon. « Nous ne sommes pas en mesure d’utiliser cette chapelle pour l’exercice du culte et son entretien dépasse nos possibilités financières », écrit l’association diocésaine en 1993.

Elle devient alors le refuge de deux sans-abri, Jiri Wolf, poète tchèque et ancien chargé d’enseignement à l’université du Mirail, et « Georges B », surnommé ainsi parce qu’il chantait les chansons de Georges Brassens.

En 1993, les militants de l’association Planète en Danger investissent les lieux pour protester contre la main-mise des intérêts immobiliers sur la ville. Quelques mois plus tard, les travaux de rénovation commencent, et le projet – baptisé l’Atelier idéal – prend forme. En 2006, le thème choisi est l’Espagne de 1936, mais l’association organise aussi des projections-débats. Chaque semaine, ce lieu permet à tous de se retrouver autour d’un verre ou d’un plat préparé à partir de légumes de l’Amap (Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne) de la chapelle. Mais l’association diocésaine refuse la proposition de bail, au nom de la clause résolutoire. Une précaution abandonnée pour les associations plus fréquentables.

Association contre association

En janvier 2007, Jean-Paul Bourgès, coordinateur de la fédération nationale Habitat et Humanisme, réalise que le cadeau est empoisonné. « Nous ne pouvons pas combattre l’exclusion en pratiquant nous-mêmes l’exclusion. Nous avons chargé notre architecte de redessiner les plans, pour que les deux associations puissent coexister ». « Impossible sur une si petite parcelle, on veut nous expulser à long terme », rétorque l’Atelier Idéal.

Dans tous les cas, la nouvelle ne semble pas avoir atteint Toulouse. Armand d’Agrain déclare aux occupants de La Chapelle qu’il « n’est nullement question pour lui d’abandonner le projet, qu’il n’y a pas de plan B et qu’il s’est engagé personnellement auprès de l’archevêché.» Et la municipalité vole à son secours. Lors d’une réunion publique, Françoise de Veyrinas, première adjointe au maire, tente de rallier Les Enfants de Don Quichotte à sa cause. « Nous avons besoin que vous nous aidiez », lance-t-elle. Un terrain, où l’on pourrait construire une Maison-Relais, « est squatté par des gens qui font simplement des activités culturelles ». Réponse des intéressés : « On est ici depuis cinq semaines, personne de la mairie n’est venu nous voir. Et aujourd’hui, on nous dit qu’il faudrait virer les gens ailleurs, alors que nous partageons le même combat. On ne peut pas accepter des propositions comme ça . »

Collusion entre la mairie et Habitat et Humanisme, pour se débarasser de gêneurs ? Les deux parties s’en défendent. Le soutien de la commune expliquerait pourtant la rapidité d’obtention du Certificat d’Urbanisme, qui permet d’obtenir un permis de construire ou de démolir. La demande a été déposée le 10 février et l’accord donné le 14, alors que le délai est habituellement de plusieurs mois.

La stratégie n’est pas nouvelle à Toulouse. Le Clandé, un squatt associatif qui accueillait entre autres l’association Act Up et le collectif Chiapas en a fait les frais. Il hébergeait aussi un lieu d’information et de diffusion d’ouvrages militants, un cinéma, une salle de répétition et une salle informatique.

L’immeuble, occupé depuis une dizaine d’années, appartenait à la Ligue contre le Cancer. Son ancien président, Pierre Puel, était également chargé des affaires culturelles à la mairie. Les occupants ont été finalement expulsés début décembre 2006.

Mais l’idée d’utiliser la notoriété des associations pour diviser les gêneurs n’est pas l’apanage du sud-ouest. Dans un article de la revue Plein Droit, Antoine Mary et Lola Schulmann décrivent la manière dont les accords de relogement entre le gouvernement et certaines associations ont brisé la solidarité des Mille de Cachan à l’automne 2006. Nicolas Sarkozy s’était alors réjoui que « des associations raisonnables et responsables comme la Licra, SOS Racisme, France terre d’asile [aient] convaincu ces malheureux ». Les auteurs concluent qu’« à partir du moment où les stratégies de division fonctionnent, le droit actuel et les pratiques administratives plus ou moins légales qui en découlent, perdurent. » Au risque de n’obtenir ni papiers, ni logement, ni culture pour personne.

En savoir plus :

 Le site de l’atelier idéal : www.abri.org/atelier-ideal

 L’article de Plein Droit : www.gisti.org/doc/plein-droit/71/cachan.html