Kenyane de 32 ans, Wangui Mbatia milite au sein du Parlement du peuple, mouvement de base informel qui rassemble des milliers de gens pour débattre de sujets sociaux, économiques et politiques, mais aussi faire entendre la voix des sans-voix.

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Elle parle un anglais parfait et s’exprime avec force et conviction. Elle est en colère. Mais reste maîtresse d’elle-même, soucieuse avant tout de faire passer son message. Wangui Mbatia se présente : elle est kenyane, originaire d’un village qui se trouve à 40 minutes de Nairobi, la capitale.

Elle a 32 ans, pas d’enfants, fait rare pour une Africaine de cet âge. Oui mais Wangui a fait ses choix, et ils ne vont pas sans sacrifices. Elle se bat pour donner la parole aux plus démunis, ceux là même exclus du Forum social mondial pour des raisons financières (voir Forum social mondial 2007 : entre questions et actions), au sein du Parlement du peuple, association de fait sans membres officiels ni subventions, créée en 1992. « Le comité d’organisation kenyan du FSM a eu un comportement élitiste, il n’a pas valorisé ce rassemblement auprès du peuple et l’intérêt pour les plus pauvres de s’y exprimer et de débattre », affirme Wangui. Conséquence : le Parlement du peuple va, en parallèle du FSM, organiser un contre-forum au parc Jee Van Jee, jardin public de la capitale, où discussions et débats sur le logement, le commerce, la justice, la nourriture, etc. seront menés… gratuitement.

Statut économique

Car le débat est bien au cœur de la démarche de cette agora populaire permanente, aux objectifs bien définis : organisation de campagnes pour améliorer les conditions de vie des plus démunis et développement d’une prise de conscience politique au sein de ces mêmes populations.

Le Parlement se tient dans le dit parc où le contre-forum a été organisé : selon Wangui, un millier de personnes y passent chaque jour pour écouter, apprendre, comprendre et entamer des discussions. Tout informel qu’il est, le Parlement a quand même su se structurer. Ainsi, un « cabinet fantôme », à la mode britannique, est élu tous les ans avec des responsables de secteurs clés tels que l’éducation, la santé…

Un modérateur travaille, par ailleurs, à réguler les discussions afin de rendre les débats les plus équitables possibles. Car des tensions peuvent subvenir, entre personnes issues de milieux différents notamment. « Parmi les personnes qui viennent discuter, 5 % ont reçu une éducation universitaire, 40 % ont fréquenté le lycée, et tous les autres n’ont bénéficié que d’une éducation de base… Conséquence : les premiers ont parfois tendance à penser qu’ils savent mieux que les autres. Or, chaque individu a son expertise », confie Wangui.

Autre caractéristique du Parlement, 42 tribus s’y côtoient ainsi que diverses religions. « C’est un fait unique au Kenya, ajoute la jeune-femme. La plupart des mouvements ne sont composés que d’une seule tribu. Pour nous, le tribalisme n’est pas une question-clé. Notre leitmotiv, c’est notre statut économique ». Et pour l’améliorer, le Parlement mène des campagnes contre, par exemple, la hausse du prix des transports ou de la nourriture de première nécessité. « Sur cette question, le gouvernement n’a pas apprécié nos actions et a interdit toute manifestation. Nous avons distribué des pamphlets et discuté avec les gens. La plupart veulent comprendre et débattre, mais ils ont peur d’agir car les risques sont trop grands », explique Wangui, la seule femme du Parlement du peuple.

Les risques, elle est prête à les courir contrairement aux autres femmes qui, selon elle, sont plus passives dans leur combat. Wangui, elle, est en attente de deux procès qui pourraient lui valoir des peines de prison. Mais, ce combat, c’est sa vie. Et le moyen de rendre à ceux qui la soutiennent et qui ont cru en elle : Wangui a en effet pu étudier le droit aux Etats-Unis durant deux ans grâce à une bourse, mais aussi à une tontine organisée dans son village.

« Etre pauvre ici, c’est un crime »

Pour être à la hauteur de cette confiance mise en elle, Wangui milite. Et pour vivre, elle s’occupe de sa ferme, qui lui permet de subvenir à la moitié de ses besoins en nourriture. De temps à autre, elle se fait consultante pour des ONG sur différentes thématiques juridiques.

Bref, le droit, ça la connaît… Et c’est forte de ce savoir qu’au moment d’un référendum organisé par le gouvernement pour modifier la constitution, elle et son Parlement ont organisé moult discussions à travers tout le pays sur le nouveau projet, incitant les plus pauvres à s’intéresser au sujet, à en comprendre les enjeux, les invitant même à écrire leurs propres règles sur le logement, la santé, l’éducation… In fine, le gouvernement ne prendra en compte aucune de ces propositions. Et le projet de réforme constitutionnelle sera rejeté. Pour autant, les discussions sur le sujet se poursuivent, car les enjeux sont de taille. Faire entendre la voix des sans-voix : telle est la mission de cette passionaria kenyane. Car elle en est sûre : « Etre pauvre ici, c’est un crime ».

Crédits photo : Anne Dhoquois

Au sujet de Anne Dhoquois

Anne Dhoquois est journaliste indépendante, spécialisée dans les sujets "société". Elle travaille aussi bien en presse magazine que dans le domaine de l'édition (elle est l'auteur de plusieurs livres sur la banlieue, l'emploi des jeunes, la démocratie participative). Elle fut rédactrice en chef du site Internet Place Publique durant onze ans et assure aujourd'hui la coordination éditoriale de la plateforme web Banlieues Créatives.

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