Entretien réalisé par Evelyne Jardin le 30 mars 2005

Créé en décembre 2003, l’observatoire des discriminations répond à la volonté de mesurer des phénomènes d’inégalité des chances dans l’emploi et leur évolution. Face à cet enjeu économique, social et politique, l’observatoire publie des études concernant toutes les formes de discriminations, ethniques, géographiques, sexuelles, etc. Entretien avec Jean-François Amadieu, son directeur.

Evelyne Jardin : Comment mesure-t-on scientifiquement un comportement discriminatoire ?

Jean-François Amadieu : Il y a plusieurs manières de procéder. Tout d’abord, on peut utiliser une approche statistique consistant à observer combien de personnes ont postulé à un emploi et à compter combien il y avait parmi eux de femmes, de gens de couleur, etc. Si, sur une période de plusieurs années, on constate qu’il n’y en avait pas (comme cela a été le cas dans l’affaire du cabaret le « Moulin Rouge »), on peut alors en conclure que nous sommes face à un phénomène discriminatoire.

Mais, ce n’est pas la meilleure approche ; elle n’est du reste pas reconnue comme une preuve de discrimination du point de vue juridique. La certitude que les caractéristiques des personnes étaient identiques n’est en effet pas absolue. Aussi, la méthode du testing apparaît beaucoup plus performante. Utilisée depuis les années 1950 aux Etats-Unis, elle est recommandée par le Bureau International du Travail (BIT).

En France, les associations – SOS racisme, le Mrap – s’en sont emparés. La méthode consiste à envoyer deux CV identiques avec une seule variable qui change : l’origine, l’âge, le genre…

E,J. : Quels sont les principaux résultats du testing que vous avez mené au sein de l’Observatoire des discriminations ?

J-F.A. : L’enquête menée au mois de mai 2004 a porté sur plusieurs variables (le genre, l’origine, l’apparence physique, l’âge, le handicap, le lieu d’habitation) alors que les enquêtes du BIT portent sur une seule variable : l’origine ethnique. Par exemple, l’étude qui a été menée en Allemagne par le BIT mesurait la discrimination à l’embauche des personnes d’origine turque.

Notre enquête confirme l’existence de fortes discriminations à l’embauche. C’est le candidat handicapé qui est le plus discriminé, c’est lui qui a reçu le moins de réponses à sa candidature et la plus faible quantité de réponses favorables lui proposant de passer un entretien. Plus précisément, il a reçu 5 réponses positives alors que le candidat de référence en a reçu 75. En deuxième position, se trouve le candidat avec un patronyme maghrébin, talonné par le candidat âgé de 50 ans. Reste que l’apparence disgracieuse ou le lieu de résidence pénalisent aussi le candidat pour décrocher un entretien d’embauche.

E,J. : Dans votre enquête, les CV répondent à une offre d’emploi de commercial. N’y a-t-il pas des types d’emplois où la discrimination s’exercerait moins fortement qu’ici ?

J-F.A. : Le testing a en effet été réalisé pour des emplois de commerciaux de niveau bac+2. Si nous avions mesuré les discriminations pour des emplois sans contact avec le public ou dans le BTP, il est probable que les résultats auraient été sensiblement différents. Selon les secteurs d’activité, les discriminations s’exercent plus ou moins fortement. C’est le cas pour les postes de commerciaux où, pourtant, les candidatures ne sont pas pléthoriques. Que dire des recrutements où l’offre est nettement inférieure à la demande ? La discrimination joue à plein.

E,J. : Quelles solutions préconisez-vous pour lutter contre les discriminations ?

J-F.A. : On pourrait imaginer des politiques de quotas ou des systèmes de discrimination positive si on devait faire face à un seul problème. Or, ce n’est pas le cas. Dans la réalité, de multiples discriminations se cumulent : un ouvrier maghrébin, une femme de plus de 45 ans, etc.

Les tenants de la discrimination positive pensent qu’il faut fabriquer artificiellement de la diversité. Je pense qu’il ne faut pas résonner de la sorte. Si on lutte efficacement contre les discriminations, la diversité sera automatiquement produite. Il ne s’agit pas de produire de la diversité et de la produire à tout prix. De plus, la discrimination positive vise à corriger après coup quelque chose que l’on a laissé faire. De fait, on retarde la prise de conscience et la réforme nécessaire en amont et en profondeur.

Prenons l’exemple des quotas de lycéens originaires d’établissements défavorisés, instaurés par « Science Po » à Paris. C’est l’arbre qui cache la forêt ! Le vrai scandale, c’est qu’en tant qu’élève d’un établissement classé en ZEP, je n’ai pas les moyens d’être au même niveau qu’un élève menant sa scolarité au lycée Louis Le Grand. Voilà la véritable injustice. Opter pour des méthodes de discrimination positive, version Science Po, retarde l’adoption de vraies réformes.

E,J. : Vous appliquez le même raisonnement pour l’emploi ?

J-F.A. : Oui, c’est la même chose pour les recrutements ou les promotions en entreprise. S’il n’y a pas assez de femmes ou de maghrébins dans certains emplois ou à des niveaux de responsabilités importants, il faut chercher pourquoi ces candidatures sont systématiquement mises sur la touche. Quand le groupe PSA annonce qu’il va désormais recruter son personnel en faisant passer aux candidats des tests professionnels, on peut penser qu’ainsi le phénomène discriminatoire diminuera. Il en va de même pour les CV anonymes. Ces diverses solutions pratiques portent en germe le respect du principe républicain d’égalité. C’est de ce cette manière, me semble-t-il, que l’on évitera de stigmatiser les populations et que l’on cessera de déliter le lien social.

Entretien réalisé par Evelyne Jardin

Sites :

Site de l’Observatoire des discriminations :
//cergors.univ-paris1.fr/observatoiredesdiscriminationsfd.htm

Enquête récente menée par SOS Racisme : www.novethic.fr