Le groupe de réflexion EC (Europe Citoyenne) s’est penché sur l’avenir de la démocratie locale dans une perspective européenne. Présentée sous forme de plusieurs scénarios alternatifs – « tendanciel », « rose » et « noir » -, voici une synthèse de leur travail, voyage dans le temps qui nous invite à réfléchir aux enjeux actuels.

Voir aussi les scénarios pour l’éducation et l’article sur Europe citoyenne

Nous avons abordé la démocratie locale au quotidien au niveau du voisinage, de la localité et des associations. Nous avons écarté la démocratie au sein de la famille.

Nous avons directement esquissé trois scénarios qui intègrent :

 les enjeux de changement ;

 les innovations en matière de  » participation  » ;

 les acteurs qui gagneront en importance et en pouvoir, et leurs objectifs ;

 le choix des contextes économique, sociologique, culturel, technologique ;

 une hypothèse des stratégies, des politiques et des événements qui engendrent un tel avenir ;

 une hypothèse des événements qui font tout bousculer.

Cette démarche s’appuie sur la méthode anglo-saxonne du scénario développement.

Quelle démocratie locale en Europe en 2020 ?

 Scénario tendanciel : une Europe animée par l’efficacité de la gestion des affaires publiques (l’Europe gouvernance et de subsidiarité)

La politique dans presque tous les pays européens s’est convertie à la philosophie de la gouvernance : c’est-à-dire à la recherche de plus d’efficacité, moins de gaspillage et une plus grande réactivité de la politique vis-à-vis des problèmes surtout d’ordre économiques et sociaux.

Les budgets des Etats et de l’Europe ont été gelés en 2005, et beaucoup de services publics ont été privatisés ou supprimés. La professionnalisation de la politique a largement écarté le citoyen actif de la vie démocratique : ce dernier n’est plus consulté qu’au coup par coup, sur des thèmes locaux et lors des élections.

Du coup, le citoyen s’est également détourné de la politique. Son désintérêt pour la démocratie a fait remplacer les sondages de l’opinion publique par une pseudo « agora » où les notables de la politique et de l’économie confrontent leurs points de vue à la télévision. Ces mises en scène de divergences sur les moyens de la politique ne laissent guère de doute sur le consensus des élites à propos du modèle libéral de la société. D’ailleurs, la mondialisation fait que de plus en plus d’échanges, surtout avec les pays extra-européens, ont dilué le projet politique européen et accru la dépendance de la zone Euro vis-à-vis d’autres super-puissances économiques. Les technocrates de la politique ont bâti une Europe basée sur le droit qui limite considérablement les marges de manœuvres des politiques nationales.

En revanche, l’Europe a accéléré le processus de la décentralisation politique (subsidiarité) dans les pays encore fortement centralisés, en liant toute aide à l’obligation d’un transfert du pouvoir politique aux autorités locales. Elles ont profité de cette décentralisation et l’utilisent pour développer le tissu économique et social à leur guise. Cela a entraîné d’importantes inégalités territoriales, mais les gens, complètement absorbés par la société de loisir, préfèrent changer de région plutôt que de se saisir des affaires publiques. Leur sociabilité, entièrement tournée vers leur vie privée, n’interfère pas avec la sphère publique.

Là où le tissu associatif local pourrait constituer un pôle de contre-pouvoir, la politique de la ville encadre les associations pour s’assurer leur soutien. Des mini-consultations des citoyens sur des plans d’aménagement ou de construction satisfont ceux qui sont préoccupés par l’efficacité des équipements publics locaux. Il n’y a guère de négociations avec les associations, dont les plus contestatrices n’ont jamais réussi à vraiment s’implanter dans le nouveau décor local.

Les associations civiques ont suivi l’exemple de la politique et se sont fortement professionnalisées. Pour être reconnues, elles sont désormais obligées de se « médiatiser » à leur niveau, du moins dans la presse locale. Par ailleurs, les associations se sont de plus en plus spécialisées, notamment dans la protection de la personne, là où le droit ne suffit pas.

Les autres associations à but social ont été obligées de se constituer en acteur économique, car il n’y a presque plus de subventions pour les associations. Compte tenu de leur précarité financière, les associations locales dépendent encore plus que dans le passé des collectivités locales dont elles sont obligées de suivre les grandes tendances politiques, au risque d’être privées de locaux et de subventions.

Les collectivités/élus locaux ont d’ailleurs bien infiltré les associations, voire sont à l’origine de leur création pour mieux les contrôler. Par exemple, en matière d’emploi, les plans locaux de l’emploi se sont institutionnalisés sous formes d’associations qui gèrent ces initiatives, également subventionnées par l’Europe. L’initiative économique et sociale repose d’ de plus en plus sur les épaules d’associations qui semblent, à l’échelle européenne, moins exposées à la corruption et politiquement plus neutres.

Au niveau européen, un nouveau statut pour les alliances d’associations/ONG a permis aux plus professionnalisées (syndicats, Amnesty international, Greenpeace, etc.) de s’organiser en réseau et d’entretenir leur propre lobbying auprès des institutions européennes. Entre ces ONG professionnelles et les associations de simples citoyens, un fossé s’est creusé. Les nouvelles générations ont démissionné du monde politique contestataire à moins que cela se fasse de manière « professionnelle » (cf. Attac). Cette démission massive a tué dans l’œuf beaucoup d’initiatives de citoyens moins organisées.

De plus, une grande campagne gouvernementale contre les associations à but non-lucratif (qui cachent des activités économiques) a causé beaucoup de tort au tissu associatif, qui a ainsi subi les retombées d’actes douteux de quelques « moutons noirs ». Le nombre grandissant d’associations communautaires (islamiques, juives, chrétiennes, de pays d’origine des immigrés, etc.) a également jeté la suspicion sur les véritables intentions des associations politiques.

 Scénario rose : une civilisation européenne animée par la conscience individuelle, qui s’est distancée de ses appartenances héritées de l’histoire (l’Europe citoyenne et démocratique)

Ce scénario repose sur une exigence humaniste forte, et sur un individu émancipé, non embrigadé dans des revendications communautaires. Ainsi la démocratie au quotidien est capable de transcender son cadre local (voisinage, associations, municipalité). L’espace public s’inspire de la définition donnée par Kant : « ce par quoi je rends mon opinion publique et l’ouvre à la critique d’autrui ».

La vie démocratique locale s’est beaucoup rapprochée de « la communauté de communication sans pouvoir » (Habermas). Elle dispose désormais de plate-formes délibératives qui ne connaissent pas d’a priori, pas de pression, ne sont pas persuasives et sont compétentes en ce qui concerne les moyens et les finalités. Un bon compromis entre un maximum de participation du citoyen à la politique locale et la gouvernance de la localité a été trouvé.

L’application systématique du principe de la subsidiarité, des commissions mixtes (politiciens, représentants de la société civile, experts) et de l’usage de l’Internet (web-démocratie, référendums en ligne) a même augmenté l’efficacité de la politique. Par ailleurs, des incitations intelligentes ont été mises en place pour que la moitié des citoyens d’une commune participent régulièrement à la gestion de la vie locale.

L’unification de l’Europe au niveau national/international s’étant plutôt sclérosée depuis l’élargissement en 2004 et 2010, les régions et municipalités sont devenues les principaux relais d’échanges et de coopérations en Europe. En témoignent aussi bien les collaborations entre acteurs locaux européens au niveau du développement économique, du social, de l’immigration, de la sécurité et de l’éducation.

Des chaînes de télévision locales (que l’on peut recevoir à travers l’Europe et qui sont multi-langues grâce au progrès de la traduction automatique en temps réel) participent activement à la construction des liens entre citoyens et leur localité, d’une part, et entre les citoyens de différentes localités jumelées à travers de l’Europe, d’autre part.

Le tissu associatif s’est également internationalisé : grâce à un nouveau statut international, beaucoup d’associations sont devenues « glocales », de plus en plus de problèmes se posant au niveau européen (développement durable, immigration, précarité…). Les associations militent ainsi dans un esprit citoyen européen pour des intérêts collectifs à l’échelle européenne (échanges « best practice », observateurs des minorités sociales, mobilisation interrégionale pour des plébiscites réguliers selon le modèle de « l’enquête qualité » allemande sur la satisfaction envers les institutions publiques) et sont également financées en partie par l’Europe.

La nouvelle législation européenne sur les associations a permis à celles-ci de respecter la parité entre les sexes, la démocratie interne et la transparence dans la distribution des « budgets participatifs » émanant des collectivités publiques.

Le voisinage s’est également mobilisé, car une semaine par an, on célèbre désormais la « fête des guirlandes » reliant tous les appartements et maisons d’une ville. Les copropriétaires et locataires sont régulièrement sollicités par la politique locale, lors des « hearings publics » ou pour participer à l’aménagement de leur environnement direct.

Les boutiques « grains de sel », subventionnées par la localité, ont pris un essor énorme, particulièrement parmi des jeunes créateurs en situation de précarité. Des services à domicile permettent à beaucoup de personnes âgées de vieillir dignement. Des échanges entre quartiers de ville et quartiers de la campagne/montagne transfrontaliers ont vu naître plus d’une association à partir des nouveaux contacts entre voisins.

Mais comment sommes nous parvenus à un tel monde ? La surévaluation de l’euro par rapport au dollar et la surévaluation des actions des sociétés extra-européennes ont poussé l’Europe à se désengager progressivement des zones économiques où règne un libéralisme à outrance. L’élargissement a permis au marché intérieur d’atteindre une taille critique (70 à 80 % des échanges) pour ériger à nouveau des protections à l’égard des marchés aux très bas salaires.

Ainsi la spécialisation des économies sur le savoir et les services a pu être stoppée. Avec les nouveaux membres, un tissu économique mixte et presque autarcique permet d’appliquer les règles du développement durable.

La classe politique nationale s’est définitivement décrédibilisée par de nombreux scandales de corruption au sein des organismes internationaux, vers la fin de la première décennie du nouveau millénaire. C’est pourquoi des instances de contrôle citoyen ont été mis en place (parlements de la société civile) qui ont parallèlement renforcé l’impact des régions et des municipalités sur la politique nationale, voire européenne.

Presque tous les pays européens sont désormais contrôlés par des « deuxièmes chambres », représentant des régions qui par ailleurs ont beaucoup gagné dans la péréquation des recettes d’impôts. L’Europe des régions s’avère depuis 2012 plus efficace, plus transparente et plus démocratique que l’Europe des Etats-Nations.

Afin de construire une nouvelle démocratie européenne, on a instauré au sein de l’éducation obligatoire des cours sur « la vie associative locale » et « l’agir démocratique ». La sensibilisation à d’autres cultures est devenue un cours où les élèves découvrent d’autres styles de vie, échelles de valeurs, vies familiales et locales.

Dès le collège, les élèves passent systématiquement un an à l’étranger, et cette expérience est renouvelée au lycée, à la licence et au mastère. Les classes européennes sont généralisées. L’éducation à l’indépendance de l’esprit sous-tend toute éducation et permet de relativiser toute appartenance à une communauté religieuse ou ethnique. L’objectif de la création d’une conscience civique européenne (société civile européenne) se réalise jour après jour.

 Scénario noir : une Europe « forteresse » animée par la force des Etats-Nations aux dépens du local (Europe communautaire et repliée sur elle-même)

Suite à une montée dramatique des attentats terroristes d’intégristes islamiques en Europe, depuis les Jeux olympiques d’Athènes, l’Europe de la sécurité (« forteresse ») s’est fortement développée. Les nouveaux pays membres servent depuis 2004 de nouvelles bases arrières aux activités mafieuses qui financent aussi le terrorisme politique.

Ce climat d’insécurité a revivifié les réflexes xénophobes, empêché un rapprochement entre les peuples européens et renforcé les Etats-Nations aux dépens des collectivités locales. Les relations de l’Europe avec ses voisins du Sud se sont refroidies, et il n’est plus question de l’entrée de la Turquie dans l’UE.

La violence urbaine a beaucoup augmenté par manque de modernisation des infrastructures dans les pays moins riches de l’UE. Des polices privées et de « citoyens » se sont beaucoup développées. Dans les autres pays, les inégalités sociales ont beaucoup augmenté, car une politique libérale d’austérité est partout de mise depuis le déclin économique de l’Europe sur la scène mondiale en 2010.

Cette situation de crise a partout renforcé le centralisme et dévalorisé la politique locale. Du coup, le projet d’une démocratie locale citoyenne est repoussé aux calendes grecques, et une gestion plus ou moins autoritaire selon les besoins de la sécurité de la localité a remplacé la participation associative à la politique de la ville.

Une responsabilité juridique accrue des collectivités locales a aboli des initiatives d’insertion expérimentales de certaines villes. La plupart des classes moyennes habitent dans des résidences surveillées et la vidéo-surveillance des grandes rues s’est généralisée. L’anonymat entre voisin a encore grandi, et le citoyen moyen se replie sur une attitude NIMBY (« not in my backyard », « pas dans mon jardin »).

Les seuls véritables animateurs sociaux sont la police locale et les travailleurs sociaux : ils œuvrent main dans la main pour contenir une criminalité qui souvent dépasse leurs forces. Sur leur expertise reposent beaucoup de décisions politiques locales.

Les associations ne sont presque plus impliquées dans la politique locale et sont aussi abandonnées par leurs adhérents, faute d’objet. Les citoyens ont également déserté les associations, car celles qui restaient sont étroitement contrôlées par les collectivités (associations para municipales) ou récupérées par les partis politiques.

Des associations « mafieuses » cachent souvent des intérêts communautaires extrémistes (islamiste, sectes, Eglise, etc.). Le seul but de ces associations est la chasse aux subventions pour financer des activités politiques, voire économiques. Seules les associations d’“auto-défense des citoyens” se développent encore. Beaucoup des associations sont fortement personnalisées et dirigées de manière paternaliste, ce qui reflète également la faiblesse de la démocratie dans cette société mise à l’épreuve par des menaces de type guerrier.

Au niveau européen, le statut des associations n’a guère fait de progrès depuis le début du troisième millénaire. L’Europe politique est toujours en friche et l’Europe économique peine, handicapée par une Europe à plusieurs vitesses. L’Europe à 29 (+ Bulgarie, Roumanie, Croatie, Norvège) s’est avérée beaucoup trop complexe pour tenir compte des régions ou des collectivités locales.

Les affaires économiques se décident toujours au Conseil de l’Europe. Mais au niveau national, beaucoup de pays ont du mal à contenir leurs régions séparatistes qui profitent du climat d’insécurité pour commettre à leur tour des attentats et d’autres incivismes.

L’éducation à l’ouverture vis-à-vis d’autres cultures, races ou peuples a été abandonnée. Seuls les crimes xénophobes sont effectivement poursuivis par les forces de l’ordre. L’intégration des immigrés arrivés avant 2010 s’opère difficilement depuis que les frontières de l’Europe se sont fermées à l’immigration, à l’exception de quelques réfugiés politiques triés sur le volet.

Pour en savoir plus sur le statut d’associations européennes, lisez l’article de deux animateurs de Café Babel : A quand l’association « made in Europe » ?

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